Le Salon de l’Automobile 1948 restera, malgré toutes les
difficultés de l’heure, un beau salon. Les innovations ont été nombreuses et
réelles. Il n’a pu, encore, être consacré « Salon de la liberté »,
mais nous pouvons affirmer que le prochain le sera. Nous verrons bientôt la
gabegie des prix disparaître et les anomalies des conditions de vente
s’aplanir.
Il semble bien que les pouvoirs publics pensent peu à peu à
notre marché intérieur, poussés peut-être, il est vrai, par les premières
difficultés que rencontrent nos efforts vers l’exportation. La gamme des prix,
neuf et occasion, devient plus rationnelle, surtout avec le nouveau pourcentage
admis de une voiture pour les Français pour trois destinées à l’étranger. Pour
peu que la race des prioritaires soit plus ou moins exterminée, on commencera à
voir clair. Quant au système de l’essence « double secteur », on
peut le combattre ou le défendre suivant que chacun émarge ou non à la
distribution privilégiée. Constatons seulement que le bénéficiaire sera l’État,
au détriment des margoulins de tout poil qui tiraient parti d’un tel état de
chose. Encore un effort et nous voici au but.
Sous l’angle technique, ce Salon ne manque pas d’intérêt. En
tout premier lieu, la 2 CV Citroën a été le clou du Salon, la nouveauté
sensationnelle. Elle le doit tant au modèle lui-même qu’aux moyens employés
pour lever le voile sur elle, levée qui a été tenue secrète jusqu’à la dernière
minute. Et encore, maintenant, nous ne savons que peu de choses. Il nous a été
possible de voir une petite voiture, ultra-légère, comportant quatre places
assez confortables ; essentiellement économique, puisqu’elle ne dévorera
guère que 4 à 5 litres aux 100 kilomètres. Vitesse moyenne sur
route : 50 à 55 en terrain facile, 40 en pays accidenté.
Tout apparaît révolutionnaire dans ce véhicule : sa
suspension particulière, son moteur de 375 centimètres cubes, deux cylindres
quatre temps à refroidissement par air. Trois vitesses normales, plus une
surmultipliée avec marche arrière. Pas de batterie d’accus, le démarrage se
faisant par commande mécanique du siège du conducteur. On ne compte que quatre
points à graisser. Toit découvrable. Son prix, en l’état actuel des choses,
bien entendu : 185.000 francs.
Avant de porter un jugement définitif, attendons-la aux
épreuves de la route, mais nous avons l’impression que Citroën va permettre une
intense diffusion de la voiture populaire en France.
À l’autre extrémité de l’horizon automobile, nous pouvons
admirer, toujours sous l’angle nouveauté, la Ford française Vedette 12 CV,
voiture de grande classe avec ses huit cylindres, ses roues avant indépendantes
et son visage américanisé.
Des modèles d’hier se confirment. La 203 Peugeot, dont la
ligne a su rester française, a confirmé son excellente impression du Salon dernier.
Il en est de même de la Simca-six. Des marques, aux audaces mécaniques plus
accentuées, ne manquent pas de confirmer leur succès. Telle la 4 CV
Renault, qui sort maintenant d’usine à cadence accélérée et dont la
réalisation, tout à l’arrière, est devenue populaire. Son prix de 245.500
francs va lui permettre d’affronter, à force sensiblement égale, sa rivale du
quai de Javel. Le flat twin, deux cylindres de 610 centimètres cubes,
deux temps, de la Dyna-Panhard est à présent fabriqué en grande série. C’est
une belle voiture légère.
Bénéficiant de quelque dix ans de mise au point, sanctionnée
sur toutes les coutures, la 202 Peugeot, la 11 CV Citroën rencontrent la
préférence des usagers qui demandent à leur voiture un travail maximum joint à
une sécurité presque totale.
Les constructeurs aux moyens limités, n’émargeant guère aux
distributions dirigées des pouvoirs publics et dont la plupart ne présentent
que des prototypes, continuent encore, cette année, à nous faire admirer leurs
enfants dans un fourmillement d’idées originales et souvent remarquables.
C’est, dans l’ultra-léger : Boitel, avec sa 3 CV populaire, moteur 2 cylindres,
deux temps, de 589 centimètres cubes ; Julien, 325 centimètres cubes, tout
à l’arrière ; Rovin, motocar, 425 centimètres cubes ; la Sotravel,
nouvelle venue, avec un moteur de 125 centimètres cubes, quatre temps, pouvant
approcher les 60 à l’heure.
Dans une autre classe, Grégoire, pour animer sa création
tout alu, a réalisé un quatre-cylindres horizontal, deux à deux opposés, double
flat twin de 1.998 centimètres cubes, donnant 64 CV à 4.000 tours,
et dont l’ensemble moteur et traction se trouve en porte à faux à l’avant des
roues avant.
Il y a aussi, à ce Salon, les poètes de la mécanique, les
Picasso du dessin. Telle la Reine 1950 de Brandt, dont le moteur se fait
remarquer par ses huit cylindres opposés deux à deux, deux temps, d’une
cylindrée de 935 centimètres cubes, alimentation par injection, puissance
fiscale 5 CV ; traction avant, carrosserie monocoque entièrement
décapotable. On peut s’introduire dans le véhicule par l’avant, en passant
par-dessus le groupe moteur, ou par l’arrière ; il n’y a pas d’ouverture
sur les côtés. Seulement, vous ne pourrez guère vous offrir cette gymnastique
avant 1950.
Mais voici la construction de grande classe avec Hotchkiss,
en quatre et six cylindres ; Delahaye, dont le châssis s’habille si bien
de somptueuses carrosseries ; Talbot, avec, entre autres, sa Lago-Record
de 170 CV, dépassant les 4.200 tours-minute ; Salmson, toujours
recherché par ses admirateurs, etc.
En bref, nous dégagerons les tendances de la construction
automobile actuelle. Côté cylindrées de moteur, trois grandes classes : 1°
de 150 à 600 centimètres cubes pour les petites voitures ; 2° les 1.100 à
1.300 centimètres cubes ; 3° enfin, les 2 litres.
Signalons la généralisation des moteurs horizontaux à
cylindres opposés dits flat, qui, en 1946, n’étaient présentés encore
qu’en prototypes, et qui, maintenant, ont atteint le stade industriel avec,
outre Dyna-Panhard, Rovin, mais également avec la voiture anglaise Jowett et la
voiture italienne Cemsa Caproni. Mouvement confirmé, cette année, de
l’utilisation des soupapes en tête, voire de l’arbre à cames en dessus des
soupapes, avec Claveau, Singer, Tatra, Alfa-Roméo et, partisan de toujours,
Salmson. On passe le cap des 4.000 tours-minute. On atteint même les 5.000 avec
Cisitalia, Frajer Nash. Lutte très dure entre le refroidissement par air, qui
gagne des points, et le refroidissement par eau, qui reste général sur les
véhicules où le prix de revient n’est pas le facteur primordial.
Notons, pour terminer, le progrès du rendement, ou, si l’on
veut, progrès des performances pour une cylindrée donnée. La Dyna-Panhard ne
donne-t-elle pas, en effet, 10 CV environ au litre et par 1.000
tours-minute ? Solex a continué à travailler la carburation avec
d’excellents résultats. Quant aux amortisseurs, l’hydraulique télescopique a
détrôné l’amortisseur à friction. Il est en effet simple, facile à loger,
indéréglable, peu coûteux.
Quant à l’industrie automobile étrangère, elle était
dignement représentée. Les États-Unis nous donnent une impression d’ampleur et
de surpuissance. L’Angleterre continue à rechercher cette finition dans les
détails qui lui a valu de connaître une prospérité remarquable. L’Italie
elle-même se réveille et présente de la mécanique de grande classe. Il n’est
pas jusqu’à la construction tchécoslovaque qui ne se fasse remarquer en
présentant des modèles dont l’endurance saute aux yeux de tous.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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