Depuis une année ou deux, la rubrique que les divers organes
de la presse consacrent aux accidents de chasse est assez chargée en comptes
rendus de doigts perdus et de mâchoires fracassées ; de plus, lorsque ces
regrettables faits divers sont commentés entre chasseurs, il est rare que l’un
d’entre eux n’apporte pas sa contribution en racontant quelque histoire récente
du même genre.
Nous croyons savoir, d’autre part, que la proportion des
armes de chasse envoyées en fabrique pour réparation, avec canon éclaté, a
sensiblement augmenté au cours de ces dernières saisons.
Mous pensons donc être utiles à nos lecteurs en examinant
dans cette causerie les diverses raisons de cet état de choses. Rappelons que
les éclatements par défaut de fabrication étaient, en ce qui concerne les armes
modernes, excessivement rares en raison de l’extrême sévérité des épreuves,
d’une part, et du choix des matières employées, de l’autre. C’est ainsi que les
épreuves des fusils finis sont faites : l’épreuve ordinaire à 850 kilogrammes,
et l’épreuve supérieure à 1.100 kilogrammes de pression par centimètre
carré, alors que les pressions développées par les cartouches de chasse
contrôlées ne dépassent jamais 600 kilogrammes. Quant aux armes fournies
actuellement aux chasseurs, en quantité malheureusement encore restreinte,
elles n’ont absolument rien perdu en qualité et ont même bénéficié de quelques
progrès techniques dans la fabrication des aciers spéciaux.
Nous ne pouvons donc rechercher les causes d’éclatement que
parmi les faits imputables à l’usager, lequel est parfois difficile à confesser
lorsqu’il a l’impression que l’accident est dû à sa maladresse ou à son
inexpérience.
Ceci dit, nous n’avons plus à examiner que les éclatements
dus à l’obturation accidentelle du canon et ceux dus aux surpressions.
Les chasseurs distraits réalisent d’excellentes obturations
en laissant dans leurs canons des chiffons ou même des accessoires de
nettoyage : nous connaissons un cas d’éclatement par écouvillon laissé en
place au cours d’un nettoyage et oublié définitivement. Des gens soigneux bouchent
leurs canons en cas de pluie et oublient les bouchons après l’averse. Certains
négligents ne regardent jamais, après une chute de l’arme, si un peu de terre
ou de neige n’est pas venue obturer leur arme. Lorsque l’obturation est voisine
de la bouche, il se produit assez souvent de simples gonflements, parfois une
déchirure longitudinale, le tout sans grand dommage pour le chasseur. S’il
s’agit d’une obturation voisine du tonnerre, l’accident est toujours grave. Ne
soyons donc ni distraits, ni négligents.
Une cause assez fréquente d’éclatements sérieux provient de
l’usage simultané des calibres 12 et 20, lequel entraîne le mélange des
munitions. Une cartouche calibre 20, placée par mégarde dans un
calibre 12, glisse assez loin pour y être invisible et laisser
ultérieurement place à la munition normale. Lors du tir de cette dernière, il y
a toujours accident grave. Nous recommanderons aux chasseurs pourvus d’un
calibre 12 et accompagnant une dame armée d’un calibre 20 d’être très
circonspects dans les manipulations des cartouches s’ils ont la galanterie de
transporter les munitions de leur compagne.
Arrivons maintenant aux surpressions. Les cartouches
normalement chargées et dûment contrôlées donnent, nous l’avons dit, toute
sécurité aux chasseurs. Mais, lorsque ces derniers ont recours aux explosifs
clandestins, aux poudres de guerre et à tous les mélanges recommandés de bouche
à oreille, il en va tout autrement.
Si nous en croyons la très nombreuse correspondance qui nous
est parvenue depuis deux ans et les demandes d’examen d’échantillons variés, la
quantité de chasseurs ayant employé toute autre chose que les poudres
officielles au chargement de leurs cartouches demeure assez considérable. Un
certain nombre d’entre eux s’en sont bien trouvés ; ils nous ont
aimablement offert leurs formules. D’autres, moins heureux, ont détérioré leurs
armes ; d’autres, enfin, se sont classés dans les accidentés :
ceux-là n’avouent guère la cause de leurs désastres.
Nous nous sommes toujours refusé à conseiller l’emploi des
explosifs de guerre, qui sont mal adaptés à l’usage des armes de chasse. Il ne
suffit pas qu’une poudre ressemble à la poudre M pour qu’elle lui soit
identique, pas plus qu’elle ait beaucoup d’analogie avec la poudre T pour
qu’elle puisse être substituée à celle-ci.
Encore plus hasardeux est l’usage des poudres chloratées
dont la fabrication comporte des tours de main variables à résultats plus
variables encore.
L’emploi de ces divers explosifs est, à notre avis, la cause
prépondérante dans les divers cas d’éclatement signalés au cours de ces
dernières saisons, et les accidents relevant des cas d’obturation sont beaucoup
plus rares.
Il faut enfin observer que, certaines armes ayant été
enterrées pendant plusieurs années, leurs canons ont subi des dommages
intérieurs qui, dans certains cas, en affaiblissent sensiblement la résistance.
Si de telles armes peuvent parfois supporter encore longtemps l’usage de
cartouches normales, la moindre surpression vient à bout de leur déficience et
provoque l’accident.
La conclusion ? Nos lecteurs l’entrevoient par
avance : c’est qu’avec un peu de soin et de prudence le chasseur peut, en
toute tranquillité, se livrer, aujourd’hui comme hier, à son plaisir favori.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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