Dans nos causeries insérées dans cette revue, comme dans les
consultations que nous avons été appelé à donner au sujet de la disposition de
l’article 42 bis de l’ordonnance du 17 octobre 1945 sur
le statut du fermage, nous avons toujours émis l’opinion que le droit que ce
texte confère au fermier consiste seulement à chasser personnellement sur les
terres comprises dans son bail, mais qu’il ne va pas jusqu’à lui permettre de
concéder à d’autres personnes le droit de chasser soit avec lui, soit en son
lieu et place s’il ne peut user personnellement de la faculté que le texte, Précité
lui accorde.
C’est là, en effet, notre opinion personnelle ; bien
qu’elle reposât sur les termes mêmes employés par le législateur, elle n’était
pas uniformément suivie, et certains estimaient que notre interprétation était
trop restrictive. Bien plus, certains préfets, dans le contrat-type de fermage
élaboré par les soins de leurs services, avaient cru pouvoir insérer un article
étendant le droit de chasser aux fils et gendres du fermier.
Dans ces conditions, il était intéressant de savoir comment
les juridictions appelées à se prononcer sur la question interpréteraient la
disposition qui nous occupe. Or, jusqu’ici, toutes les décisions venues à notre
connaissance qui se sont prononcées sur le point en question ont adhéré à
l’opinion que nous avons soutenue. Tel est le cas, notamment, pour un jugement
du tribunal d’Issoudun du 24 avril 1947, et pour un arrêt de la Cour
d’appel de Nancy du 21 janvier 1948 ; ces deux décisions ont été
publiées dans La Gazette du Palais. Un jugement plus récent, rendu par
le tribunal correctionnel de Château Gontier, le 7 juillet 1948, qu’a
publié La Semaine juridique des 14 et 21 septembre 1948, s’est
prononcé dans le même sens ; cette décision est suivie d’une note
approuvant entièrement la solution donnée, et mentionnant, comme ayant admis
une opinion identique, M. Esmein, l’éminent professeur de droit.
On peut donc commencer à envisager la solution dont il
s’agit comme représentant, sinon l’unanimité, du moins le presque unanimité des
autorités ayant examiné la question. Toutefois, le jugement du tribunal de
Château-Gontier aurait été déféré à la Cour d’appel d’Angers, laquelle n’aurait
pas encore statué, à notre connaissance.
Dans le jugement du tribunal de Château-Gontier, on relève
un certain nombre de considérants accessoires qui ne manquent pas d’intérêt. Le
tribunal déclare illégal l’arrêté du préfet de la Mayenne en ce qu’il avait
inséré dans le contrat-type de fermage des dispositions portant que les
fermiers auraient le droit de chasser sur les terres comprises dans le bail,
ainsi qu’un de leurs fils ou gendre âgés de plus de vingt ans et travaillant
sur l’exploitation. C’est en raison de cette disposition que le fils d’un
fermier, à ce autorisé par son père, avait cru pouvoir chasser sur les terres
comprises dans le bail à ferme. Sur poursuite exercée contre lui à la requête
du propriétaire, pour délit de chasse sur le terrain d’autrui, le prévenu
s’était réclamé de l’article ci-dessus mentionné du contrat-type applicable
entre les parties, à défaut de nouveau bail écrit et enregistré dans les trois
mois ayant suivi la promulgation de l’ordonnance du 17 octobre 1945. Le
tribunal de Château-Gontier a décidé à bon droit que cette disposition du contrat-type
était illégale comme se trouvant en contradiction avec les termes de l’article 42 bis
de l’ordonnance de 1945. Le jugement contient à cet égard le considérant
suivant : « Attendu qu’en raison du caractère personnel du droit de
chasser accordé par l’article 42 bis de l’ordonnance du 17 octobre
1945, le droit de chasser ne saurait bénéficier aux membres de la famille du
preneur que dans la stricte mesure où ils ont été avec lui parties prenantes au
contrat, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »
D’après ce considérant, on le voit — et nous pensons
que cette solution est exacte, — si le bail à ferme est conclu
conjointement avec un chef de famille et des membres de sa famille (femme,
fils, etc.), tous ceux auxquels est consenti le bail à ferme ont le droit de
chasser : mais, si le bail est passé uniquement avec un chef de famille,
lui seul a le droit de chasser sur les terres louées.
D’autre part, le tribunal de Château-Gontier, d’accord en
cela aussi avec la Cour d’appel de Nancy, dans l’arrêt précité du 21 janvier
1948, décide que le propriétaire qui a affermé ses terres et donné par là à son
fermier ou métayer le droit d’y chasser, n’en conserve pas moins le droit de
chasse avec la même portée qu’il avait avant la passation du bail à
ferme ; ainsi, non seulement le propriétaire conserve le droit de chasser
personnellement sur les terres affermées, mais il continue à pouvoir conférer à
tous autres la permission d’y chasser et à pouvoir passer un bail de chasse.
Signalons en terminant une disposition du même jugement
relative à un tout autre ordre d’idées. Le tribunal considère que fait acte de
chasse la personne qui, même sans être porteur d’une arme de chasse, accompagne
le chasseur, recherche le gibier et le signale au chasseur qui le tire. Sur ce
point, la décision du tribunal est en harmonie avec l’opinion générale suivant
laquelle les traqueurs doivent être considérés comme participant à la chasse.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
|