À l’automne des années 1917 et 1918, péchant au lancer dans
l’Yser, il m’était arrivé souvent de voir des faucons lier des corbeaux dans
les prés marécageux. Au moment même où le corbeau était saisi, j’étais prévenu
par un cri d’effroi spécial des autres corbeaux, et j’apercevais le faucon,
alourdi par sa proie qui se débattait, ramant à coups d’ailes à quelques mètres
du sol à la recherche d’un buisson ou d’une haie, cependant que plusieurs
corbeaux, à distance respectueuse, suivaient en poussant des cris perçants.
Destruction de corbeaux ... j’aurais donc dû garder pour la suite un
préjugé favorable au sujet des faucons.
Mais on oublie vite ...
Quelques années plus tard, vers 1925, je commençai à aller
chasser les grives dans la vallée de l’Aube à partir de la fin d’octobre. Et,
cette première année-là, il m’arriva de tuer deux faucons. Combien, par la
suite, je devais amèrement regretter ces deux coups de fusil !
Chaque année en effet, et cela pendant huit ou dix années
consécutives, j’eus à faire la même constatation : quand j’étais obligé
d’entrer au plein milieu de ces haies d’épines qui ont jusqu’à 15 mètres
de largeur pour ramasser des grives tombées, je ne pouvais pas ne pas me rendre
compte, à voir les tas de plumes dispersées à terre, des carnages de becs
droits (pies, geais et corbeaux) que les faucons faisaient à l’automne pendant
leur passage.
J’arrivai très vite à la conclusion que, du moins dans nos
régions du Centre, où les faucons ne nichent pas et ne sont guère de passage
que deux ou trois mois par an, nous devons sans hésitation les considérer comme
utiles et les respecter, alors qu’au contraire nous devons essayer de détruire
sans merci tous les becs crochus qui sont sédentaires et nichent dans nos
régions (émerillons, éperviers, buses, bondrées, busards, etc.). Sans les
faucons, grands destructeurs des becs droits nuisibles, nous serions
probablement, beaucoup plus que nous ne le sommes, envahis par les pies, les
geais et les corbeaux. On va m’objecter : mais comment être sûr qu’il s’agit
bien d’un faucon, quand on aura l’oiseau, à l’improviste, au bout de son
fusil ? C’est quand, entre le 15 octobre et la fin de décembre, on
aura rencontré des carnages de becs droits en plein milieu des haies et des
buissons (et non sur leurs bordures) qu’il faudra se méfier qu’un faucon est en
train de purger le territoire de ces indésirables.
Et les belettes ?
Ces gracieuses petites bêtes sont-elles utiles ? Ou
sont-elles nuisibles ?
On les trouve partout : dans nos jardins, en plaine,
dans les prés, en bordure de taillis, plus rarement en plein bois.
Où les trouve-t-on le plus fréquemment ?
En plaine, c’est dans les fourrages, luzernes et sainfoins,
vieux de plusieurs années, car ces champs-là sont littéralement criblés de
terriers de mulots ; et c’est dans ces trous de mulots que nous voyons
disparaître la belette quand nous la surprenons en promenade. Elle est là, dans
ces vieux fourrages, pour les mulots. Il y a donc déjà présomption que
la belette est un grand destructeur des mulots, campagnols et autres petits
rongeurs qui peuvent devenir de véritables fléaux pour la culture. Mais c’est
dans les prés en bordure des rivières que nous allons avoir la certitude
que la belette est bien en effet le « furet du rat ». Combien de fois
ne nous arrive-t-il pas, assis au bord de l’eau dans l’attente d’un moucheronnage,
de voir, en plein jour, une belette faire sa chasse sur les rats d’eau, entrant
dans tous les trous des rats, que l’on voit sortir en vitesse devant ce petit
furet inattendu.
Et, de temps en temps, au cours de ces chasses, un cri
perçant nous prévient que sous terre un rat d’eau vient d’être saisi et est en
train d’être saigné.
On sait que, de tous les nuisibles, la belette est le plus
facile à piéger. Depuis que la petite boîte-piège nous est venue, d’Allemagne
je crois, il y a une cinquantaine d’années, nous avons en main l’instrument qui
nous permet de prendre jusqu’à la dernière toutes les belettes d’un
territoire. Il suffit d’avoir un nombre suffisant de ces boîtes constamment
tendues. Dès qu’une belette rencontre une de ces boîtes, il faut qu’elle y
entre, victime de sa curiosité.
On peut donc détruire toutes les belettes d’un territoire
donné. Il serait intéressant de faire cette expérience pour savoir ce qui en
résulterait. Mais cette expérience, je ne suis pas sûr qu’elle n’ait pas
été faite sans que l’on s’en soit douté, et surtout sans qu’on en ait tiré les
conclusions qu’elle comportait.
Au lendemain de la guerre 1914-1918, pendant laquelle
forcément tout avait été négligé au sujet de l’entretien des chasses, le
piégeage fut aussitôt repris plus activement que jamais. D’autres que moi se
souviendront peut-être aussi de ce qu’on observa alors dans des chasses des
environs de Paris, notamment dans la région de Melun ? Les lapins de
garenne avaient complètement disparu, et, quand on mettait les furets aux
terriers, il en sortait ... des rats. Pendant plusieurs années, il y eut
une véritable invasion de rats.
Et, à la même époque, ont commencé en Beauce des
invasions de mulots telles qu’on n’en avait jamais vu avant la guerre, une
pullulation telle de ces rongeurs qu’ils devenaient une menace pour la récolte
de blé et que périodiquement, depuis quinze ans, on est obligé certaines années
de les détruire, l’hiver, au moyen de graines empoisonnées qui malheureusement
aussi détruisent toutes les perdrix de la région.
Or on sait que, dans bien des régions de Beauce (Artenay,
Châteaudun, etc.), des amateurs de battues de perdreaux avaient, d’entente avec
les propriétaires, constitué d’immenses territoires de battues (10, 15, 20.000
hectares).
Ces sociétés de chasse avaient des gardes qui, à bicyclette
ou à motocyclette, surveillaient ces territoires, mais surtout pratiquaient un
piégeage intensif (asphyxie de renards dans leurs terriers à l’aide de gaz
toxique, piégeage de tous les petits bois des plaines, notamment à l’aide de
belettières, etc.).
On en arrive forcément à se demander : ces invasions
de mulots (FAIT NOUVEAU DEPUIS VINGT-CINQ ANS) ne seraient-elles pas dues à une
destruction trop systématique de belettes sur de grandes plaines de
Beauce ?
Je n’ai voulu ici que poser la question.
Je sais fort bien que la belette commet aussi des dégâts sur
le gibier. On trouve à la moisson des nids de perdrix dont tous les œufs ont
été percés et gobés soigneusement, et la belette paraît bien être la
coupable ; et si des peintres animaliers nous montrent parfois un lièvre
au galop avec une belette accrochée à son cou et en train d’être saigné, c’est
que certainement ce crime a été observé.
Au sujet de ce petit animal, il y a à établir un actif et un
passif, mais les invasions des bois par les rats et des plaines par les mulots
ne doivent pas être oubliées.
J’ai voulu relater ici les observations que j’ai pu faire,
les réflexions et hypothèses que ces observations m’ont suggérées.
C’est à ceux qui, si souvent dans ce journal, nous donnent
d’excellents articles sur le piégeage de dire si les hypothèses que j’ai
formulées méritent d’être examinées.
Dr J. S ...
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