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Chiens d'arrêt nationaux

Bien que peu porté à l’optimisme, je ne vois pas l’avenir de nos races nationales de chiens d’arrêt sous des couleurs aussi sombres que mon sympathique collègue M. J. Castaing. Certes quelques-unes sont mortes ou agonisantes, parce qu’il n’y a pas d’effet sans cause, mais quelques autres, les plus intéressantes, sont parfaitement vivantes et mieux orientées que jamais.

L’Épagneul breton, dans la bonne formule bréviligne et plein cintre, à prédominance crânienne, lignes du crâne et de la face divergeant en avant, ne présente aucun caractère settéroïde, quand bien même il remonte à la famille de Fougères. Un croisement de retrempe datant de quarante ans s’est noyé dans la race comme un ruisseau dans la mer. Aucune assimilation à faire entre l’Épagneul breton tel que nous l’avons renforcé et amélioré au début de ce siècle et le Saint-Germain voulu, lui, à 50 p. 100 de sang anglais, dont la réussite dans la formule correcte est une gageure. Combien de représentants de la race possèdent-ils le profil céphalique aux lignes divergentes en avant, allié aux lignes corporelles de la race anglaise ?

Ces réussites ont pu être admirées ces dernières années, mais, encore une fois, leur rareté permet d’affirmer chimérique l’espoir de leur production régulière. L’Épagneul breton n’a rien à voir en cette galère, car ne saurait passer pour tel le chien outrageusement settéroïde qu’on voit parfois, fruit de croisements répétés, dont le dosage en sang anglais est égal, sinon supérieur à ce qu’il possède de sang continental.

L’Épagneul picard à livrée marron rouanne ne sortira pas de son coin tant qu’on le produira dans le modèle volumineux qui est le sien, modèle souhaité par ses supporters, qui, sans doute, ont motifs de le vouloir tel. Le Bleu de Picardie est très rare, on ne sait pourquoi, car, en vertu de son allure sportive, il mériterait d’être mieux connu.

Le Pont-Audemer est expirant, quoiqu’il en demeure un petit nombre, tous apparentés. On a voulu le présenter comme chien à tout faire. Or, outre qu’il n’a jamais eu la réputation d’avoir grand nez, il avait surtout les aptitudes d’un Water-Spaniel. Il est improbable qu’on le relève.

Quant à l’Épagneul français, loin d’être en mauvaise posture, ses affaires sont plus brillantes que jamais. On en voit partout et du meilleur type sportif, tel qu’actuellement en faveur. Étant donné ce qu’il vaut, comme nez, souplesse, aménité de caractère, il peut remplacer avantageusement les races à faibles effectifs qui lui sont plus ou moins apparentées.

Il n’y a aucun pleur à répandre sur la tombe du Charles X, ni du gros Braque de l’Ariège, l’un et l’autre corniaudés, volumineux à l’excès et n’ayant désormais aucune chance de succès. Le premier a eu, en outre, le tort de brouiller fâcheusement les idées à propos du Braque français, favorisant le culte du modèle trop lourd et provoquant autour de cet excellent chien des discussions dont il n’a tiré nul profit.

Le Braque français, dans une formule moyenne, ni lourde ni précisément légère, existe. Il n’est que de la cultiver pour lui conquérir des amateurs. La forme légère représentée par le Braque qu’on a tort d’appeler de Mirepoix (parce qu’il est en faveur dans cette région) est un Braque français qui, par alliance avec les familles du modèle à alléger, peut contribuer à l’unification souhaitable. Ce Braque léger, non pointéroïde, existe en nombre, plusieurs expositions en témoignent.

Du Braque d’Auvergne, on ne saurait mettre en doute sa faveur lorsqu’on a vu sur les bancs plus de quarante de ses représentants à la fois. Ce n’est certes pas l’hydre de la pointérisation qui le menace. Les faces au profil continental sont la règle, et même j’ose dire que c’est d’un peu trop de sévérité dans un sens autre dont il aurait à se plaindre. En effet, les têtes les plus correctes doivent être sanctionnées si l’oreille n’est ni assez longue ni tournée. Peut-être devrait-on se méfier des beaux chiens un peu trop épais et chargés dans l’avant-main, plus que des oreilles peu roulées ?

Les quelques Braques du Bourbonnais parus en 1948 ne méritent en général aucune admiration. Les croisements avec les Braques français et allemand sont évidents. Quelques sujets corrects aux robes et yeux délavés. La race remontera-t-elle le mauvais courant ? Là aussi on en peut douter. Le Dupuy, de son côté, s’est évanoui. C’était un joli chien et probablement bon, puisque les Poitevins l’affirment, mais il n’est guère sorti de son trou.

Pense-t-on vraiment qu’avec les Épagneuls français et breton, les Braques français et d’Auvergne, nous ne soyons pas assez bien nantis ? Les vaincus dans la lutte pour l’existence peuvent inspirer des regrets, mais les seuls vainqueurs sont intéressants.

Le Griffon Boulet, avec lequel j’ai chassé vers 1898, avait toutes les vertus du Barbet, avec en plus la beauté et l’arrêt. Chien de marais, l’erreur a été de le proclamer chien de plaine. Déçu par ce court-quêtard aux moyens limités, l’amateurisme lui a tourné le dos et la consanguinité l’a achevé.

Nous avons dans le Griffon d’arrêt à poil dur un auxiliaire qui le remplace avantageusement, son égal au moins pour les chasses aquatiques, son supérieur en plaine et au bois ; c’est le seul des deux à mériter le titre de chien d’arrêt à tout faire. La vogue justifiée dont il est l’objet, tant en France que dans les pays voisins, témoigne de la qualité de la formule réalisée, du savoir-faire de l’amateurisme qui l’a maintenue et j’ose dire améliorée. Mon bon collègue M. Castaing, un des membres les plus distingués de la confrérie, connaît ma sympathie pour le Griffon à poil dur. Je suis aussi assuré de son avenir que de celui des quelques races françaises plus haut énumérées, quelles que soient les inquiétudes qu’elles lui inspirent.

En vérité, il faut se résigner à la disparition de quelques-unes qui n’ont jamais été les plus achalandées, probablement parce qu’il leur manquait quelque chose. Certaines étaient des créations artificielles difficiles à maintenir ; d’autres ont été victimes d’exigences portant sur des minuties pigmentaires ; toutes, plus ou moins, au cours du siècle dernier, ont été soumises au régime du poids lourd, par crainte du reproche d’anglomorphisme. Les meilleures et actuellement les plus prospères elles-mêmes souffrent encore peu ou prou de cette phobie. Phobie ridicule, car enfin mieux vaut-il figure corniaudée que soupçon de lointaine alliance anglaise ? Croit-on que les Allemands aient fait tant de façons pour alléger leur Braque (maintenant répandu en Europe et hors d’Europe) au moyen d’une méthode où le sang pointer utilisé avec science a joué le rôle que l’on sait ?

Il faut se délivrer de cette timidité dans le jeu des réalisations zootechniques et ne s’inspirer que de la nécessité de produire les chiens propres à servir au mieux en un milieu où le gibier va en se raréfiant, où la situation économique postule l’emploi du chien maître Jacques. Réalisé hors de nos frontières, il peut l’être chez nous. Ceci ne veut nullement dire tentative de création de prétendues races ; celles que nous avons ont toutes les qualités requises. Il suffit de les cultiver sans se laisser freiner par des routines baptisées traditions, dont la vénerie française, plus audacieuse, s’est depuis longtemps débarrassée. En vérité, certains Braques et Épagneuls ont devant eux des jours assurés. Pensons à ces survivants et ne nous souvenons des disparus que pour méditer les erreurs dont ils ont été les victimes, pour n’y plus retomber.

R.DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 301