Les poissons carnassiers se capturent généralement au
lancer, à l’aide de leurres : métalliques, en caoutchouc, en bois, en
celluloïd, etc., ou avec des appâts naturels : petits poissons, crevettes,
petites grenouilles, etc.
Cette pêche — ou, plutôt, cette chasse — oblige le
pêcheur à des déplacements continuels le long des berges, à la recherche des
voraces : c’est du vrai sport. Mais il n’est pas permis à quiconque d’être
sportif, soit que la conformation physique ou l’âge ne s’y prêtent pas, soit
parce qu’on n’a pas de dispositions particulières pour un exercice fatigant,
soit enfin parce que cela ne plaît pas.
Aussi, certains confrères préfèrent-ils attendre patiemment,
sur place, la venue problématique d’un carnassier, dans un endroit propice où
ils ont constaté, de visu, sa présence, ou parce que leur « connaissance
de l’eau » leur a fait supposer un repaire probable.
Disons que les captures seront, avec ce procédé, supérieures
en belles pièces à celles effectuées de toute autre manière, les seigneurs de
l’onde se cantonnant en des points précis, qu’ils ne quittent que forcés, lors
d’une crue, ou chassés par un congénère plus puissant, ne tolérant pas
l’intrusion d’un concurrent dans son territoire de chasse.
Ces pêcheurs pratiquent la pêche au vif.
Comme son nom l’indique, c’est à l’aide d’un poisson vivant
ou d’une petite grenouille qu’ils vont tenter l’appétit ou la férocité de
l’ogre.
Pêche calme, reposante, fastidieuse aussi, pénible même, en
hiver, nécessitant une patience à toute épreuve, peu compatible avec un
tempérament actif ; mais, tous les goûts étant dans la nature,
gardons-nous de toute appréciation absolue ou exclusive.
Et puis la pêche au vif est parfois la seule utilisable dans
les cours d’eau ou étangs encombrés de végétation, dans les trouées de
nénuphars, de sagittaires ou de joncs, souvent peuplées en brochets.
L’époque la plus favorable est la saison froide pour la
perche, le brochet et le gros chevesne, quand les petits poissons qui
constituent leur repas habituel se sont cachés pour l’hivernage.
Il faut jeûner alors et, cependant, l’estomac crie
famine ; aussi est-ce une bonne aubaine quand ils aperçoivent le pauvre
fretin accroché au bout de la ligne et livré, impuissant, à leurs cruelles
mâchoires.
Où allons-nous poser notre engin ? Dans les trous
profonds, derrière les piles, les épis, les digues, en eau calme, surtout en
hiver ; dans les trouées de végétation, le long des herbiers et des bancs
de roseaux, en toute autre saison.
Et, maintenant, voyons le matériel : une longue canne,
en bambou noir si possible, solide, avec un scion mi-rigide, terminé par un
anneau en porcelaine ; elle portera des anneaux spirales tout du long pour
guider la soie tressée d’un moulinet quelconque, assez grand cependant.
Cette soie sera de grosseur moyenne, verte ou noire,
peut-être moins visible, terminée par un émerillon solide, bronzé, à système.
Le bas de ligne sera constitué par 1 mètre de nylon,
28/100e, par exemple, terminé par 10 centimètres de soie
d’acier, extra-souple, fine, mais cependant capable de résister aux dents d’un
gros brochet. Les diamètres du nylon et de la soie d’acier varient suivant la
grosseur des captures éventuelles que l’on suppose hanter la rivière, mais,
pour être à l’abri d’une surprise, n’affinez pas trop votre matériel, le
brochet n’étant pas d’une « susceptibilité » exagérée.
Évidemment, si vous recherchez la truite, la perche ou le
chevesne, montez-vous finement.
Le plombage sera constitué par une olive de quelques
grammes, peinte en vert, si vous voulez, placée juste au-dessus de l’émerillon.
Certains pêcheurs plombent le bas de ligne lui-même, à l’aide de petites
chevrotines, en dégradé, la plus grosse étant placée du côté de la soie, mais
ce procédé gêne parfois les évolutions du vif, surtout si ce dernier est de petite
taille.
Et le flotteur ! N’employez pas un gros bouchon comme
une poire, mais un liège très allongé vert ou de couleur neutre en dessous,
blanc dessus (ce qui n’est pas obligatoire), plongeant aisément, juste capable
de soutenir le vif ; plus haut, sur la ligne, mettez trois autres petits
bouchons, appelés conducteurs, séparés par 15 à 20 centimètres environ, pour
soutenir la bannière de ligne sur l’eau et servir en même temps d’indicateurs
pour le ferrage.
Comme vifs, tous les petits poissons sont utilisables, même
la perche, discréditée par certains. Personnellement, je ne l’emploie pas,
n’ayant jamais eu de bons résultats avec elle.
N’oubliez pas que certaines espèces ne peuvent être
employées qu’avec une dimension légale.
Pour la truite, la perche et le chevesne, le vairon et la
petite goujonnette sont d’excellentes amorces.
Nous ajouterons, pour le brochet : le gros goujon, la
tanche et le chevesne, en hiver.
Le plus délicat sera de s’en procurer, si des marchands
spécialisés n’en ont pas à notre disposition.
Mais les pêcheurs au vif sont prévoyants : ils ont fait
leur provision à la belle saison et ont conservé leurs pensionnaires dans un
bassin ou dans un grand tonneau, à l’abri des fortes gelées ; quelques
petits vers, miettes de pain, sans exagération, les aideront à vivre.
Ils auront ainsi une réserve pour leur seau à vifs, pendant
tout l’hiver, car il est bien entendu que c’est la meilleure saison de pêche au
vif pour le brochet et la perche.
Comment accrocher ces appâts à la ligne ? Il existe une
foule de montures, les unes très simples (les meilleures), puis les autres dont
la plupart ne sont intéressantes que pour une collection.
J’ai adopté une monture bien personnelle et sans prétention,
très meurtrière, ne blessant pas le vif et qui ne m’a donné que de bons
résultats. La figure ci-dessous sera plus explicite qu’une page de texte. On
fixe le vif par une narine, après avoir traversé la mâchoire inférieure juste à
son extrémité avec l’hameçon simple, puis on place le petit poisson entre les
branches du grand hameçon double, sur lequel on le ligature avec un fil fin ou
un petit bracelet de caoutchouc ; le vif peut évoluer aisément et reste
vivant jusqu’à ce que le brochet lui fasse un sort.
D’autres montures s’accrochent au dos de l’appât sous
la nageoire dorsale, sans toucher la colonne vertébrale ; d’autres
nécessitent l’aiguille à amorcer, qui suit sous la peau pour faire passer le
fil d’acier ; disons : pourvu que le vif ne soit pas dangereusement
blessé, toutes les montures sont utilisables ; nous n’aurons ainsi heurté
aucune susceptibilité.
Et nous voilà au bord de l’eau : posons notre vif
délicatement, de façon qu’il évolue à 50 centimètre du fond environ
(sondons au préalable, si nous ne connaissons pas l’endroit) et
attendons ... plusieurs heures parfois.
Soudain, le flotteur principal danse fortement : le vif
a vu le vorace qui rôde et il cherche à le fuir ... inutilement ;
puis le bouchon plonge vivement, et même un ou deux conducteurs : le
brochet a saisi le vif et l’emporte. Gardons-nous bien de ferrer, quoique, avec
la monture ci-dessus, il y ait de grandes chances pour que le ferrage soit
efficace ; mais il vaut mieux attendre. Nouvel arrêt, nouvelle danse du
flotteur : le brochet tue le vif à coups de dents et le ressaisit tête première ;
il le tient tout entier dans sa large gueule et s’en va le déguster dans son
repaire.
Attention ! voilà le moment de ferrer : un coup
sec, sans amplitude, en sens inverse de la fuite, stoppé brusquement par un
poids inerte : le brochet est pris profondément et sans rémission. Le
démarrage sera brutal si la bête est de belle taille ; quelques
retournements, de violents coups de tête pour essayer de couper la
monture ; tout est inutile : la soie d’acier défie les dentures les
plus acérées. Le brochet a compris et, contrairement au saumon qui lutte
jusqu’à la fin de ses forces, il se laisse amener, à la merci de la gaffe.
Placez cette dernière à l’eau, pointe en haut, et, d’un
mouvement énergique et continu, piquez le brochet en arrière des ouïes, le plus
près possible de la tête, et amenez-le à terre sans hésitation. Et, maintenant,
décrochez votre prise, pas avec les doigts bien sûr, mais avec un dégorgeoir.
J’emploie, pour cela, une pince hémostatique de chirurgie.
Pour mener à bien, sans accident, cette petite
opération, vous utiliserez un « bâillon », que tout pêcheur de
brochets a dans son sac. C’est tout simplement un gros fil d’acier, en forme de V
allongé, que vous fermez par pression des doigts pour le placer dans la gueule
du brochet et qui tient tes mâchoires ouvertes dès que vous cessez cette
pression (fig. 2).
Ne laissez pas agoniser lentement votre victime, tuez-la
avec votre manche de gaffe en guise d’assommoir ou enfoncez le poinçon ou la
lame de votre couteau sur la tête, entre les deux yeux, dans la rainure qui s’y
trouve.
Maintenant, allumez une bonne pipe, vous l’avez bien gagnée.
La supériorité de la pêche au vif sur la pêche au lancer
s’explique ainsi : le brochet, paresseux par nature, ne poursuit pas ses
proies, il saute dessus quand elles passent près de lui.
Le leurre de lancer va donc trop vite pendant la
récupération, mais le bon pêcheur, qui emploie, au lieu de leurres métalliques
forcément rapides, des poissons morts ou leurs sosies en bois, en caoutchouc,
en peau, dont la densité est faible, connaîtra, s’il récupère très lentement,
un succès aussi important que le pêcheur au vif et aura ajouté, à la joie de
belles captures, celle d’avoir réellement fait du sport intéressant.
Marcel LAPOURRÉ.
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