C’est à un professionnel émérite, nommé Gouverneyre,
qui, il y a quarante ans environ, approvisionnait en grosses truites, pour
leurs banquets, plusieurs hôtels du Massif Central, que je dois de précieux
renseignements pour les capturer. Ceux-ci m’ont permis, par la suite, de
compter parmi mes prises un nombre relativement important de ces salmonidés,
variant en poids de 2 à 4 kilogrammes.
C’est sa méthode spéciale, que j’ai trouvée supérieure à
toute autre, que je voudrais exposer brièvement, aujourd’hui, à nos confrères
débutants, désireux de prendre quelques poissons sortant de l’ordinaire.
Disons tout d’abord que la grosse truite ne se pêche ni dans
les ruisseaux ni même dans les petites rivières. On ne la rencontre que dans
les grands et moyens cours d’eau, à condition que leurs eaux soient claires,
courantes et oxygénées. Plusieurs rivières du Massif Central remplissent ces
conditions.
L’habitat ordinaire des grosses truites est le
« gour », endroit profond environné d’obstacles : roches
creuses, souches-noyées, arbres morts tombés à l’eau, amoncellements de grosses
pierres dévalées des pentes voisines, etc. ... Elles fréquentent aussi le
dessous des chutes, les abords des ponts et ces grandes « levées »
des moulins, scieries et usines.
Là, elles sont chez elles, écartent tous concurrents de leur
périmètre de chasse, mais, méfiantes, sont assez difficiles à prendre, vu leur
vieille expérience. Cependant, il leur faut manger, car grand est leur appétit.
Les poissons de petite taille constituent le gros de leur nourriture, et celui
qu’elles préfèrent à tous, de beaucoup, est le véron des eaux vives.
Pour s’attaquer à ces belles pièces, un matériel de
pacotille ne serait guère indiqué. Est à recommander une solide canne en bambou
noir mesurant de 5m,20 à 6 mètres de longueur ; les catalogues
en présentent à foison. Cette canne sera munie d’anneaux fixes laissant passer
librement la soie ; celui de tête de scion à centre d’agatine ou
porcelaine, afin d’éviter l’usure prématurée de celle-ci.
On la munira d’un bon moulinet simple, à frein et à cric,
capable de contenir au moins 50 yards de soie américaine « Aux drapeaux »,
grosseur E. Le bas de ligne aura environ 2 mètres de longueur, allant
en diminuant de la florence Maraña première grosseur à celle dite Padron
deuxième, formant avancée. Au milieu, placer un émerillon bronzé no 8,
précédé d’une petite olive de plomb du poids de 8 à 10 grammes.
À l’extrémité inférieure de la dernière florence Padron,
sera rattachée par sa boucle la monture spéciale préconisée par « Toine le
pêcheur », dont j’ai pu apprécier toute l’efficacité. Elle consiste en un
fort bout de Marana de 10 centimètres, sur lequel est monté un bon hameçon
à tige longue, de forme carrée, tel le modèle dit « Kendal » no 2.
Ce morceau est terminé en haut par une boucle à laquelle sera reliée l’avancée.
Au-dessous de cette boucle, et à une distance variable selon la taille des
vifs, est lié un court bout de florence « Regular », portant un petit
hameçon carré no 9.
Cette monture, toute en florence, est très souple, ne blesse
pas le poisson-appât et lui permet de respirer et d’évoluer à l’aise.
Ce dernier est fixé tout d’abord par les deux lèvres au
petit hameçon, et sa queue, qui ne dépasse que de 2 ou 3 centimètres le
gros crochet, est liée à celui-ci, à hauteur de l’anale, par plusieurs tours de
soie rouge.
Le flotteur serait de trop, mais une petite houpette de
laine rouge, fixée sur la soie à 3 mètres de l’appât, servira d’indicatif
de profondeur.
Voyons, maintenant l’action de pêche.
Notons d’abord qu’il est préférable de pêcher en remontant,
la truite nous voit beaucoup moins et nous entend peu.
Le seul lancer possible de l’amorce vive est le
« balancé », en y mettant beaucoup de douceur. On peut retirer
préalablement 1m,50 de soie du moulinet, que l’on gardera flottante entre
celui-ci et le premier anneau. Au moment du lancer, on lèvera le doigt qui la
retenait et elle sera entraînée par le poids de l’olive et de l’appât ; la
ligne en sera allongée d’autant et ledit appât pourra parvenir à une douzaine
de mètres du pêcheur, distance ordinairement suffisante.
Dans les grandes « levées », c’est surtout en
amont, à l’arrivée de l’eau, que les touches seront constatées. Le véron
parvenu au large, le laisser s’enfoncer progressivement, en abaissant le
scion ; donner de la soie, si c’est nécessaire.
Il faut qu’il « travaille » entre deux eaux, à la
profondeur de 2 ou 3 mètres, et le soutenir avec le fil tendu, en faisant
varier son niveau, mais sans atteindre complètement le fond, habituellement
vaseux.
Dans les parties courantes, tourmentées, rechercher, nous
l’avons dit, les remous en aval des obstacles. Pour y faire parvenir l’appât,
le poser en amont, sur un côté, en laissant au courant le soin de l’amener
audit remous, comme s’il était librement entraîné ; là, on l’arrêtera
quelque temps et on le laissera évoluer à sa guise, maintenu toutefois à
quelque distance des obstacles.
Dans les « levées », où l’eau est relativement
calme, la touche est souvent assez lente ; le véron saisi, la truite s’éloigne
au large et en profondeur ; il faut lui donner du fil et ne ferrer que
lorsqu’elle a bien avalé.
Dans les parties courantes et les remous agités, elle est
souvent fort brusque ; la main ressent un coup sourd, suivi d’une tirée
rapide et violente ; le fil se déplace, en amont, en aval et en travers.
Le ferrage sera plus prompt qu’en eau calme ; souvent, un simple
raidissement de la ligne suffira.
L’accrochage, par un aussi gros hameçon, est très sûr, et il
est rare de manquer une grosse truite qui a bien mordu.
Mais on ne la possède pas encore pour cela, et toutes les
péripéties habituelles de défense sont possibles. Elles ont été si souvent
exposées dans cette revue, à propos de divers gros poissons, qu’il est, je
crois, bien peu utile d’y revenir ; d’ailleurs, la place nous manquerait.
Ce seront toujours l’épuisette ou la gaffe qui termineront
la lutte, aussi ne faut-il jamais oublier de s’en munir.
R. PORTIER.
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