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Alpinistes d'autrefois.

Depuis quelques années, nous vivons en pleine féerie de la neige ; les sports d’hiver ont de plus en plus d’adeptes, des affiches très artistiques nous invitent à aller faire une cure de santé sur les montagnes couvertes d’un blanc manteau et à assister aux tournois qui font s’affronter, dans des assauts rapides et presque aériens, des candidats semblant ailés ... De tout temps cependant, les voyageurs durent traverser les monts recouverts de glace, et, dans les vieux récits de voyage, on peut suivre l’évolution de l’alpinisme et voir poindre, chez certains, le goût des sports d’hiver.

Pendant tout le Moyen Age, la montagne fut, en général, considérée avec un certain effroi, une certaine terreur, héritage de l’antiquité. Un auteur du XVe siècle, Félix Febri, déclare : « Les montagnes sont horribles et dangereuses par le froid de la neige ou la violence du soleil, cachant leurs sommets dans les nuages. » Aussi, les pèlerins qui entreprenaient le voyage de Rome n’oubliaient-ils pas de mettre dans leur sac des almanachs nommés Dieu soit béni, qui contenaient des conseils utiles pour traverser avec le minimum de danger les endroits périlleux.

Dès cette époque d’ailleurs, des guides étaient à la disposition de ces courageux touristes, ils portaient le nom de « marrons » et avaient des chapeaux de feutre, des gants velus, de hautes bottes ferrées à glace et de longs pieux, avec lesquels ils ouvraient les chemins pour tous les voyageurs, qu’ils fussent à pied ou à cheval. Les premiers alpinistes portaient, eux, des costumes étranges. Un pèlerin, Jacques Le Saige, de Douai, rencontra, en traversant les Alpes, en 1524, des hommes dont les yeux étaient protégés par des besicles de verre ; certains qui n’avaient pas les moyens d’acheter ces lunettes, pour éviter la réverbération, avaient coupé leurs bonnets et les avaient ainsi transformés en masques ou passe-montagnes, « ce qui estoit bien étrange à veoir », écrit notre homme.

Dans le courant du XVIe siècle, un médecin fit paraître, à l’usage des voyageurs, un traité fort curieux ; nous pouvons y relever maints conseils à l’usage de ceux qui voulaient affronter les périls des glaciers. « Ils devaient, écrit cet excellent docteur, porter des vêtements noirs, ou tout au moins porter devant les yeux quelque chose de noir sur quoi ils puissent fixer leurs yeux. » Ils devaient se munir de verres de cristal, « ces sortes de verre commencent à être vendus par les colporteurs », ils étaient aussi, comme de nos jours, employés par les chaleurs, lorsqu’il y avait de la poussière sur les routes. « Il conviendra également que ceux qui, en hiver, ont à parcourir des chemins couverts de neige, ne sortent pas à jeun, mais qu’ils mangent des gâteaux de farine et boivent un peu de vin généreux, ce qui leur permettra de résister davantage au froid et au gel. Il importe aussi d’avoir des parfums dégageant une saveur chaude, tels que l’ambre, du romarin et du musc, pour réchauffer le cerveau et réconforter l’esprit. » Les pauvres gens se contentaient de thym et de menthe. Il fallait aussi se recouvrir le cou, la tête, les oreilles et les autres parties du corps de vêtements de laine moelleux ou de fourrure.

En 1588, le sieur de Villamont, faisant l’ascension de la Roche-Melon, avec deux « marrons » chargés de vivres pour deux jours, est obligé de « s’attacher aux mains et aux pieds des griffes de fer ». Il arriva au haut de la montagne tellement fatigué que les « marrons lui firent boire un peu de vin pour lui donner du courage ». Malgré la difficulté de son ascension, notre gentilhomme fut très heureux de voir en liberté des chamois, des perdrix blanches et noires (?) ; il apprécia la beauté un peu sauvage de ces monts, « encore couverts de leurs chapeaux blancs, combien (encore) que nous fussions au mois d’août ».

Un écrivain suisse a autrefois écrit que les courses de montagnes, nous dirions les sports d’hiver, offrent des plaisirs aux cinq sens : « Le tact se vivifie quand on respire la fraîcheur des vents du septentrion et aussi lorsque, transi de froid et transpercé par la pluie, on se réchauffe soit au soleil, soit en marchant, soit auprès des feux allumés dans les chalets. L’oreille est charmée des bons mots des bergers et du chant mélodieux des oiseaux. » Viennent ensuite les parfums des plantes et les eaux limpides des sources. Les ascensions constituent pour lui le plus noble des exercices. « Elles ne fortifient pas seulement le corps ! écrit-il, elles sont aussi le délassement le plus noble de l’esprit. »

Ne croirait-on pas lire un article publicitaire de nos jours ? Cet écrivain a su mettre en valeur, à une époque où la traversée des montagnes était considérée comme un exercice très dangereux, tout le charme des glissades sur les pentes couvertes de neige, toute la beauté qui se dégage du paysage alpestre et tous les bienfaits que peuvent apporter à l’organisme la pratique de ces exercices.

Dès le XVIe siècle, on s’habillait spécialement pour aller franchir les glaciers, on s’appliquait sur la poitrine des feuilles de parchemin, on se fixait aux chaussures des crampons mobiles ; pour les neiges molles, on faisait usage de raquettes de bois avec des cordes sous les souliers ; on n’ignorait point les piolets.

C’est le XVIIIe siècle qui mit la montagne à la mode. À cette époque, le comte de Hartig se fait transporter par quatre hommes sur une espèce de chaise ou de brancard ; lors de la descente, on utilise la « ramasse », sorte de traîneau guidé par un homme qui s’aide des pieds et des mains. « Les guides, écrit-il, sont extrêmement habiles, il n’y a rien à craindre. » Il trouve cette « descente curieuse et amusante » et ajoute que les Anglais se « sont donné la peine de remonter la montagne pour avoir le plaisir de la redescendre ». En 1763, le touriste Brussel nous apprend que les insulaires viennent exprès dans les Alpes pour s’y livrer aux plaisirs de glisser sur les pentes neigeuses. Un peu avant la Révolution, Alexandre de La Rochefoucauld, dans ses Mémoires, écrit que les voyages aux glaciers sont très à la mode. Mais, vers 1780, les hôtels savoyards étant encore très rudimentaires et peu hospitaliers, ce noble sportsman recommande à ses imitateurs de se munir de viandes salées, s’ils veulent manger autre chose que des œufs et du laitage, et d’emporter une toile à paillasse — ancêtre de notre sac de couchage, — ainsi que des draps, les lits de ces auberges étant amplement garnis d’insectes voraces !

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 336