La raréfaction du gibier, le nombre croissant des
chasseurs, qui le rendent plus farouche, exigent, dit-on, des chiens à la quête
plus ample, donc à l’allure rapide. C’est l’explication que l’on donne
officiellement à la raréfaction des vieilles races françaises au bénéfice de
celles qui, ayant su s’adapter à ces nécessités nouvelles, réalisent ce que
Korthals appelait « le trait d’union entre les chiens anglais et les
chiens continentaux ». Ce que cette formule a de vrai tend à faire perdre
de vue à l’élevage français la vraie raison du chien d’arrêt, qui n’est pas de
galoper comme un cheval lâché en plaine, mais de permettre au chasseur de tirer
dans les meilleures conditions le plus grand nombre de gibiers et de ne pas les
perdre. Le résultat est que trop de chiens sont insupportables pour les
chasseurs moyens n’ayant pas l’âme d’un dresseur ou laissent le gibier derrière
eux, surtout s’il est tapi dans une haie ou un fossé. Puisque nous avons cité
Korthals, rappelons que ce grand maître et ses disciples immédiats n’avaient
nullement sacrifié à la vitesse les qualités pratiques et meurtrières de leurs
chiens ; ils en avaient maintenu l’équilibre et l’atavisme meurtrier.
Ayant l’honneur d’être secrétaire du club de cette race, la correspondance et
les visites que nous recevons nous prouvent que la plupart des utilisateurs
recherchent moins la vitesse et l’amplitude de la quête que toutes les autres
qualités pratiques. Entre le chien dit à roulettes, que représentaient
certaines races défuntes, et le chien-fusée, il y a un juste milieu dans lequel
pourraient se placer toutes nos races nationales.
Après être tombés sur des chiens à trop grande allure, bien
des chasseurs nous expriment le désir de revenir à un chien calme chassant sous
le fusil, recherchant le gibier où il est, le retrouvant et rapportant s’il est
blessé. Ces chasseurs sont dans la vraie formule de Korthals qui a défini le
griffon à poil dur « un moyen galopeur » et « chien apte à tout
faire ». Moyen galopeur, il l’est par construction ; apte à tout
faire, il le devient par la fonction et le reste par atavisme.
Mesurant l’importance de ces fonctions, le Club français du
griffon à poil dur vient de mettre au point des règlements de brevets spéciaux
de rapport pratique, de nature, s’ils sont compris, à mettre en valeur et à
assurer à cette race les hautes qualités qu’elle a reçues des devanciers.
Mais les vœux exprimés par maints griffonniers nous montrent
aussi qu’il existe une clientèle importante de chasseurs recherchant des chiens
se rapprochant plus du trotteur que du galopeur. Or, dans les portées de
griffons, il naît des chiens trotteurs et d’autres galopeurs. J’ai constaté par
ma propre expérience que les premiers trottaient au marais ou en plaine et
galopaient énergiquement sous bois, tout en restant à portée de fusil. Ceux-là
étaient bien les plus meurtriers.
En dehors des amateurs de griffons, une telle clientèle doit
exister évidemment aussi. Cette constatation nous paraît de nature à contredire
le postulat selon lequel les races nationales seraient condamnées à la mort si
elles ne se résignent pas à se donner de la vitesse.
C’est pourquoi nous pensons que l’avenir de nos races
françaises n’est pas encore compromis. Leurs qualités ne sont nullement
supérieures à celles des races allemandes, il suffit de les faire connaître et
surtout de les entretenir. Il faut sauver nos races nationales ; ne les
immolons pas sur l’autel du snobisme ou de ceux qui voudraient imposer leur
façon de chasser. Nous l’avons dit ailleurs, le Français n’est pas encore mûr
pour la standardisation de ses plaisirs, et la diversité de nos régions, de nos
terrains, de nos gibiers et de nos goûts laisse la place à toute une gamme de
façons de concevoir et pratiquer la chasse.
Et nous dirons qu’il faut sauver toutes nos races nationales
parce que toutes ont leur raison.
Ce n’est pas par hasard que la plupart d’entre elles ont un
caractère régional : le terroir, le climat les ont façonnées et adaptées.
Dépaysées, certaines races sont longtemps à pouvoir rendre les services dont
elles sont capables ; n’oublions pas l’atavisme. La preuve en est que les
races qui disparaissent se réfugient et se maintiennent dans leur province
d’origine. Cela ne veut pas dire qu’elles ne puissent rendre les mêmes services
ailleurs dans des conditions d’emploi similaires ; mais, pour cela, il
faut que l’amateur les trouve toutes à son choix, au lieu d’être obligé de
faire ce dernier entre une ou deux offertes sur le marché comme des produits
industriels. Le chien d’arrêt n’est pas article de série, c’est un produit
artisanal dont la qualité dépend de l’art de l’artisan.
C’est pourquoi nous crions casse-cou aux dirigeants des
races qui veulent à tout prix inonder le pays des chiens qu’ils ont mission de
maintenir et d’améliorer. Le jour où une ou deux races seulement subsisteront,
elles seront bien près de disparaître. Car c’est un fait, une très grande
proportion de producteurs de chiens, qui s’intitulent éleveurs, ignorent tout
de l’élevage rationnel et ne sont même pas utilisateurs. Ils croient pouvoir
vendre des chiens de chasse comme des lapins. Dès qu’une race atteint une
notoriété, les fabricants-marchands s’en emparent, et l’on produit à tour de
bras, sans rien connaître de la race, sans sélection, n’importe comment
n’importe quoi. En peu de temps les qualités de cette race périclitent ;
encore un peu, personne n’en voudra. Si, entre temps, on a laissé mourir les
autres, nous en serons réduits à rechercher à l’étranger ce que nous possédions
chez nous dans une gamme de variétés et de qualités qui rendaient l’étranger
jaloux.
C’est pourquoi, quels que soient nos penchants légitimes
pour notre race préférée, nous devons tous souhaiter le maintien de la qualité
et du nombre des autres, c’est là le seul moyen de maintenir la concurrence,
vrai facteur de progrès et de pérennité des qualités. Les fabricants-marchands
seront plus dispersés et finiront, découragés, par préférer élever des lapins
ou des poules.
Sauver nos races nationales, toutes nos races nationales,
tel doit être le but de tous les cynophiles français qui mettent l’esprit
sportif avant l’esprit destructeur et mesquin de chapelle.
J. CASTAING.
|