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Pêches au ver de terre

Depuis que le premier homme a eu l’idée d’extraire de l’onde un de ses habitants, à l’aide d’un fil et d’un hameçon, il a, très probablement, utilisé le ver de terre (lumbricus) comme appât, d’abord parce qu’il est accepté avec empressement par tous les poissons, ensuite parce qu’il est très facile de se le procurer.

Pourquoi le poisson, quel qu’il soit, est-il si friand de cet annélidé qui ne vit pas, comme les larves aquatiques, dans le lit de la rivière ?

Les eaux rapides rongeant les berges des ruisseaux, des rivières, des rigoles de prés même, entraînent avec elles, parmi toutes sortes de débris, de la terre et des mottes, les vers qui y séjournaient ; dans les prés et par eaux fortes, lors d’un orage subit par exemple, ils sont amenés vers le cours d’eau et c’est par centaines qu’ils filent au courant, en bordure principalement.

Le poisson prend l’habitude, peut-être aussi par atavisme, d’un tel état de choses ; il fait bombance les jours de crue, et vous pouvez être certains qu’en promenant un beau ver de terre le long des bords, par eau trouble, vous ne reviendrez pas bredouilles.

C’est l’appât par excellence pour la truite ; tous les campagnards, amateurs ou professionnels, l’emploient exclusivement.

J’ai débuté ainsi dans les torrents de la Haute-Loire, et je n’étais encore qu’un gamin de douze ans que j’avais déjà à mon actif quantité de belles truites.

J’avoue qu’aujourd’hui j’ai complètement délaissé le ver pour la mouche artificielle, le vairon mort et une petite cuiller de mon invention. Mais ne croyez pas que la truite seule soit susceptible d’être capturée au ver ; je répète ; tous les poissons, depuis le goujon jusqu’au saumon, lui font un sort quand ils le recontrent.

À mon avis, nous pouvons citer, dans l’ordre, nos futures victimes : la truite, l’anguille, la perche, la tanche, la brème, le chevesne, le barbeau, la carpe, le brochet ... et j’en passe.

Évidemment, la question de grosseur de l’appât jouera nécessairement ; le lombric n’aura pas la même dimension pour pêcher le goujon ou le saumon, lequel n’accepte d’ailleurs que le paquet de gros vers. Mais nous reparlerons de tout cela plus tard.

En général, le procédé de pêche au ver appliqué à une espèce de poissons peut, à la rigueur, servir pour d’autres, mais il sera bon de signaler quelques cas spéciaux ; nous n’y manquerons pas.

Je disais plus haut que la grosseur et la longueur, conséquemment, du ver variaient avec le poisson recherché ; nous indiquerons, sans en faire une règle immuable, les dimensions suivantes : 2 à 3 centimètres pour le goujon, la brème, la tanche, 5 à 6 centimètres pour la truite, la perche, le chevesne, 7 à 8 centimètres, ou plus, pour les grosses espèces : anguille, carpe, barbeau, saumon, brochet ; ce qui ne veut pas dire qu’avec un petit ver vous ne capturerez que du fretin : la surprise n’en sera que plus agréable.

Nous pouvons aisément nous procurer une grosse quantité de vers sans avoir quoi que ce soit à notre disposition : recherchons un pré en contre-bas, frais, sans être inondé cependant, et nous piétinerons vivement le sol à la même place. Nous ne tarderons pas à voir glisser entre les brins d’herbe et fuir rapidement des lombrics de toutes dimensions, tout autour de nous : ce remue-ménage leur a fait croire à l’arrivée d’une taupe, leur mortelle ennemie, creusant ses galeries dans le voisinage. Vous n’aurez qu’à cueillir ceux qui vous conviennent.

Quand la sortie se ralentit, changez de place et recommencez votre danse, jusqu’à ce que votre boîte soit pleine.

Un autre moyen aussi simple : enfoncez assez profondément dans le pré une barre de fer ou de bois solide et secouez-la fortement en tous sens sans la sortir de terre : le résultat sera aussi excellent.

De vieux sacs mouillés abritent également de nombreux vers à la belle saison ; la nuit, par temps humide, on fait une ample provision dans les terrains nouvellement travaillés, mais ... en s’aidant d’une lanterne.

Il nous faut des vers pendant les mois froids ou au début du printemps, et on n’en peut trouver à cette époque dans la terre.

Aussi, pendant l’été, nous en constituerons une réserve que nous conserverons à la cave, dans l’obscurité et à l’abri du froid.

Nous emploierons un vieux baquet en bois, contenant une couche de terre de taupinière, sans cailloux, puis une couche de mousse, une couche de débris de vieux sacs pourris et ainsi de suite jusqu’en haut. Couvrez le baquet avec une toile, car les vers sortiraient. Vérifiez de temps en temps l’état de santé de vos pensionnaires et enlevez les morts, qui contamineraient les autres.

En prévision d’une partie de pêche, placez-en quelques-uns, plusieurs jours à l’avance, dans une boîte quelconque, mais pas en fer-blanc surtout, elle rouillerait, à demi remplie de mousse ou de marc de café. Là, les vers se videront, durciront et deviendront fermes comme du caoutchouc ; ils tiendront solidement à l’hameçon, vivront plus longtemps et resteront, de ce fait, plus attirants.

Il y a une certaine façon de monter l’hameçon pour pêcher à l’aide d’un ver moyen : vous placez le long de la hampe, sans palette, deux ou trois morceaux de poils de brosse, que vous laisserez dépasser de 2 ou 3 millimètres hors de la ligature, car le montage sera celui dit « à l’anglaise », c’est-à-dire en ligaturant le crin sur l’hameçon avec de la soie fine poissée, puis vernie ensuite (voir fig. 1).

Le ver ne pourra ainsi plus redescendre sur la courbure de l’hameçon, où il se tasserait et deviendrait inopérant.

Un autre procédé employé pour les gros vers consiste à placer en haut de la hampe, toujours avec le montage « à l’anglaise », un petit hameçon qui accrochera la tête de l’appât et le maintiendra en bonne place (voir fig. 2).

Enfin, la monture dite « Steward », du nom de l’inventeur anglais qui l’a conçue, s’emploie dans la pêche en plein courant ; elle se compose d’un crin assez fort, terminé d’un côté par une boucle pour fixer au bas de ligne, et sur lequel sont finement ligaturés avec de la soie rouge trois hameçons superposés dans le même plan, mais en quinconce, pourrais-je dire ; celui du haut en no 12, celui du milieu en no 10, et celui du bas en no 8 (voir fig. 3).

Vous accrochez le ver à l’hameçon du fond et le faites remonter sur la hampe, puis vous le tournez autour du crin et le fixez à l’hameçon du milieu, le tournez encore en spirale et finalement l’accrochez par la tête à l’hameçon du haut.

Voilà pour les montures principales, car il yen a bien d’autres à la disposition des « bricoleurs » et chacun peut concevoir un montage bien personnel, en lequel il a confiance. En matière de pêche, comme en toute autre chose, la confiance est la première garantie du succès.

La plupart des pêcheurs au ver plombent leur bas de ligne à 20 ou 30 centimètres de l’hameçon par un ou plusieurs plombs fendus ; ce plombage réussit assez bien en eau trouble, mais, en eau claire, le poisson se méfie, et même parfois attaque la plombée, selon son humeur du moment.

En outre, ces plombs se coincent sous les pierres, immobilisant toute l’avancée.

Je conseille de ne mettre qu’un seul grain, juste en tête de l’hameçon ; il paraîtra être la continuation du ver. Poussant la minutie jusqu’à l’exagération — peut-être, — je coloriais ce plomb en rouge foncé, couleur de l’appât.

Il n’y a ainsi plus qu’un seul point d’attraction : le ver, et moins de risques d’accrochage.

J’ai gardé, pour la fin de cette causerie, la description d’une monture mixte, excellente pour la perche, mais fort meurtrière aussi pour tous les poissons chasseurs : c’est une des trois dessinées plus haut, avec, en plus, une hélice minuscule en fer-blanc, placée en tête (fig. 4).

Elle s’emploie dans les courants en pêchant à la descente, par des relâchés successifs, afin d’assurer à l’hélice une rotation rapide et continuelle. La perche est irrésistiblement attirée par ce leurre.

En eau calme, il faut récupérer après un lancer. Avec un moulinet à tambour fixe, on réussit des pêches magnifiques, avec un ver « à hélice ». Cependant, comme tout lancer, même à cadence ralentie, détériore rapidement le ver ; que, d’autre part, la récupération donne vie et mouvement à l’appât et que, enfin, l’hélice augmente le pouvoir attractif, il n’y a aucun inconvénient à remplacer le ver naturel par son sosie en caoutchouc, fait avec un bout de tuyau de vaporisateur.

Nous verrons, le mois prochain, au bord de la rivière, comment utiliser efficacement ces diverses montures.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 353