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Pas de limite d'âge

pour le cycliste

On nous signale de toutes parts des plus de « quatre-vingts ans » qui se tiennent encore fort bien à bicyclette ; et parmi ces pédaleurs persévérants, on compte bon nombre de femmes. Ainsi, à Mme Fraysse, de Vichy, quatre-vingts ans, qui, comme Le Chasseur Français nous l’a appris, abat encore gaillardement ses 35 kilomètres, il nous faut ajouter Mme Zélia Franc, quatre-vingt-trois ans, qui se rend chaque semaine de Mont-cornet (Dordogne) à Sainte-Foy-la-Grande, 36 kilomètres, et Mme Barrouillet, quatre-vingt-deux ans, de Soufrosse (Landes), qui parcourt chaque jour 20 kilomètres pour aller à son travail des champs et en revenir.

Quant aux octogénaires de l’autre sexe, une pléiade d’entre eux a stupéfié le public lors d’une course de 50 kilomètres qu’on leur avait organisée en Avignon. Le vainqueur, M. Lardillier, quatre-vingt-deux ans, mit 2h.3 minutes à couvrir cette distance ; M. Bouisset, quatre-vingt-sept ans, 2h.30, et quelques autres s’échelonnèrent, par leur âge et leur performance, entre ces deux concurrents.

Voilà qui fait crier bien des gens au miracle, tant est commune l’opinion qu’après cinquante ans on n’est physiquement plus bon à grand’chose, et qu’à soixante le repos et la retraite s’imposent. Cependant, chaque fois qu’on prend la peine d’étudier un de ces « phénomènes » dont la vigueur et l’endurance semblent défier les lois de la nature, on constate qu’il s’agit de personnes qui, vers la cinquantaine, loin de s’abandonner à cette paresse qu’on leur reconnaît comme un droit, ont persévéré dans une activité corporelle constante et soutenue. On peut affirmer qu’il n’est de centenaires, et même d’octogénaires, que parmi ceux qui ont franchi allègrement, encore en pleine vie laborieuse, le cap fatidique de leurs soixante-dix ans.

Mais, parmi les activités physiques qui permettent au vieillard d’entretenir sa vitalité, il faut sans doute faire une place privilégiée au cyclisme, car c’est un sport facile, qui assure commodément tous les avantages d’hygiène et de santé que l’homme « d’un certain âge » peut retirer de l’exercice.

En effet, les mouvements énergiques de vitesse et de détente dans lesquels triomphe la jeunesse lui deviennent de plus en plus difficiles. Ses réflexes se ralentissent, sa puissance musculaire diminue. Les sports athlétiques, courses, sauts, lancements, boxe, poids et haltères, ne lui seraient que de dangereuses occasions de constater son affaiblissement. Mais il conserve le pouvoir de prolonger assez longtemps les exercices modérés, à gestes automatiques. La marche et le cyclisme viennent au premier rang de ce genre d’exercice ; et le second nous paraît avoir, dans un temps donné, une heure par exemple, plus « d’efficacité physiologique ». En effet, le vieillard qui s’abandonne à l’inertie voit de jour en jour diminuer sa respiration, se ralentir sa circulation, se réduire ses échanges nutritifs ; et c’est contre ces causes de sénilité précoce que l’exercice doit le défendre, en stimulant toutes ses grandes fonctions vitales.

Or, par 15 kilomètres parcourus à bicyclette en une heure, la quantité d’air respiré et d’oxygène fixé dans le sang se trouve à peu près triplée. Cette augmentation considérable du « débit respiratoire » n’est pas atteinte par la marche à allure normale, 4 à 5 kilomètres-heure ; il faudrait courir à 10 ou 12 kilomètres-heure, ce qui est beaucoup plus difficile que de pédaler à la vitesse de promenade.

L’augmentation de la respiration entraîne l’accélération du cours sanguin ; le cœur se met à battre un peu plus vite et surtout plus puissamment ; car il faut que le sang serve aux muscles tous les matériaux oxydants qui leur sont nécessaires pour travailler. Au fond, d’ailleurs, respiration et circulation ne sont ainsi stimulées qu’en raison de la consommation que ces muscles font des réserves nutritives accumulées dans l’organisme. Ce sont ces réserves inutilisées qui, encombrant les organes et surchargeant les humeurs, déterminent les dégénérescences et les intoxications d’où résulte le vieillissement prématuré. Agir de ses muscles, c’est donc résister au vieillissement.

On détourne cependant les vieillards de l’exercice, sous prétexte que la fatigue leur est dangereuse et que leur cœur surtout est à ménager. Mais il y a des exercices de toute sorte, dont les uns ne sont, en effet, à la portée que d’hommes robustes et entraînés, dont les autres sont utiles ou nécessaires aux enfants, aux jeunes gens, aux adultes, aux femmes, et même aux malades. Il ne faut que bien choisir ce qui convient à chacun, l’abstention ne convenant à personne.

Les exemples que nous avons donnés prouvent que la bicyclette convient aux vieillards. Les exploits de certains cyclistes âgés qui, à cinquante ans passés, se rencontrent encore en des courses de vétérans, ancêtres et vieilles gloires, prouvent aussi de façon assez péremptoire que la diminution progressive de la valeur sportive au cours de la vie est beaucoup moins rapide, beaucoup moins marquée en cyclisme qu’en tout autre sport. C’est ainsi que nous avons vu des « champions » de cinquante à soixante ans couvrir 100 kilomètres en moins de trois heures, ou 50 kilomètres contre la montre à près de 40 de moyenne horaire. Cela n’est guère que de 20 p. 100 au-dessous de ce que réalisent les coureurs professionnels en pleine forme. On ne voit pas de vétérans de cet âge approcher de si près les as d’un autre sport : course à pied, aviron, poids et haltères, boxe et lutte ; l’écart, quand on peut le juger, est, au contraire, considérable.

Mais on a très rarement l’occasion de le juger, par la simple raison que la pratique des autres sports que le cyclisme est généralement abandonnée par leurs plus chauds partisans au plus tard à quarante ans, et bien souvent à trente. C’est probablement que l’intérêt de ces sports réside essentiellement dans le plaisir de la compétition, la joie du triomphe, de sorte qu’on les délaisse dès qu’on a perdu tout espoir de vaincre. Ou bien leur pratique devient assez rapidement pénible ou fastidieuse. Par contre, les vieux cyclistes sont nombreux ; ex-sportifs, cyclotouristes ou utilitaires fidèles, on en rencontre beaucoup, tant à la ville qu’à la campagne. Cela démontre que la bicyclette procure, outre les satisfactions sportives, toujours transitoires, certains agréments particuliers qui peuvent lui conserver jusqu’à un âge très avancé la fidélité de ses pratiquants.

Il semble toutefois que, pour être cycliste au déclin de son âge, il faut l’avoir été jeune. Il est assez difficile et rare, comme on peut le constater, de s’y mettre après la trentaine. À cinquante ans, c’est exceptionnel.

D’autre part, si, pendant des années, on abandonne la bicyclette, on éprouve quelque peine à en reprendre l’usage ; les premières promenades provoquent des courbatures, des fatigues excessives. Cependant, il y a grand intérêt, pour les personnes âgées, à vaincre ces petites difficultés d’apprentissage ou de remise en train. Avec un peu de volonté et de persévérance, elles acquerront ou retrouveront les « réflexes », l’équilibre facile, le pédalage souple. Et alors, à condition de pratiquer fréquemment, presque chaque jour — car, à mesure qu’on vieillit, l’état d’entraînement se perd de plus en plus rapidement, — on sera en possession d’un des meilleurs moyens qui soient d’entretenir sa vitalité.

Quant aux cyclistes adultes, à ceux qui approchent plus ou moins du seuil de la vieillesse, qu’ils se gardent de renoncer, parce que leurs forces déclinent, à cet exercice qui, loin de les fatiguer, débiliter, forcer leur cœur, les accabler de tant de maux imaginaires dont l’ignorance et le parti pris les menacent, leur conservera facilement et fort agréablement bon souffle, cœur résistant et muscles alertes.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 355