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Grande culture

Prairies et engrais azotés

Un effort particulier est demandé aux producteurs de fourrages ; il convient d’obtenir en dernière analyse plus de viande, plus de produits laitiers, que la consommation demande en quantités plus considérables. Il ne s’agit pas de consacrer aux prairies des étendues plus grandes, car nous avons également besoin de blé, de sucre et d’huile, mais plutôt d’améliorer en profondeur et de tirer des prairies permanentes plus que les quantités et qualités fournies actuellement.

Sans doute ne faut-il pas négliger les améliorations de base telles que l’assainissement, le chaulage, le phosphatage, sur lesquelles tout le monde est d’accord, quoique la réalité dans l’exécution en soit encore bien lointaine ; mais il n’est pas mauvais, au début de la saison, de s’arrêter sur le rôle que peuvent jouer les engrais azotés dans l’accroissement de la masse d’herbe obtenue.

La littérature agricole présente certaines réticences à ce sujet, et l’on peut affirmer que l’origine de cette tendance se trouve dans l’interprétation insuffisante d’un ouvrage classique de Joulie : La Production fourragère par les engrais. Le savant agronome qui consacra une belle carrière d’expérimentateur et de propagandiste à la connaissance et à la vulgarisation des engrais chimiques a écrit d’excellentes choses, auxquelles on doit encore se référer, faute d’un travail d’ensemble, ce qui nous reporte à soixante ans en arrière.

Un fait capital se dégage des travaux de Joulie : l’analyse des sols de prairies anciennes révèle une teneur énorme en azote, et il paraît ainsi paradoxal de répandre des engrais azotés sur une prairie alors qu’elle constitue une mine d’azote à exploiter. De là une recommandation essentielle : la mobilisation de ces réserves d’azote organique inutilisables, devenant même nuisibles par suite de l’acidification progressive du milieu, est donc la chose capitale à réaliser. Les apports de chaux combinés à l’aération du sol doivent pourvoir à la mobilisation de ces réserves azotées. En fait, les prairies anciennes parfaitement entretenues fournissent une végétation abondante et bien équilibrée au point de vue de la proportion des graminées et légumineuses.

Seulement, dans la pratique, on remarque que ces bonnes méthodes sont rarement suivies ; l’emploi de la chaux sur des domaines importants, surtout si des terres en labour existent parallèlement, ne comporte pas des difficultés insurmontables ; le possesseur de prairies qui aime à fouler le tapis dense et régulier offert par le gazon répugne à l’égratigner, et bien rares sont les cultivateurs qui ont le courage de régénérer leurs prairies fatiguées en recourant à des moyens énergiques. Ainsi s’endort-on sur la richesse accumulée.

Partant de ces observations : l’analyse des sols de prairies, les pratiques courantes insuffisantes, on comprend que l’application d’engrais azotés assimilables puisse donner des résultats surprenants et mérite de retenir l’attention. À défaut d’expérimentation précise, il suffit d’ailleurs de rappeler les effets magnifiques que produit l’application de purin sur les prairies ; herbe tendre, précoce, très recherchée par les animaux mis à l’herbe dès la sortie de l’hiver.

Il s’agit donc de mettre au point les connaissances que nous possédons, de les approfondir s’il reste quelque obscurité et de vulgariser ce que l’on sait bien. Faut-il distinguer les prairies fauchées et les prairies pâturées ? Justement, Joulie s’y est employé en déterminant ce qui est exporté par la production du foin et nécessite des apports nouveaux indiscutés, et ce qui est immédiatement rapporté si l’on envisage le pâturage et les déjections parallèlement déposées. Il est encore nécessaire de distinguer le genre d’animaux pâturant : en n’envisageant que l’azote, restitution entière s’il s’agit de gros bovins à l’engrais, restitution infiniment plus réduite si l’exploitation produit du lait ou si les animaux sont des jeunes ou des femelles en état de gestation. Toute une gamme peut être ainsi établie que les bons praticiens savent d’ailleurs nuancer dans l’appréciation de la valeur de leurs fonds.

En raison de la composition même de la flore des prairies, ce qui amène à considérer à part graminées et légumineuses, on conçoit que la prédominance des graminées accentue les besoins en azote, puisque les légumineuses jouissent de cette merveilleuse propriété d’utiliser l’azote atmosphérique. Les graminées appellent l’azote, et l’on pourrait croire que la distribution importante, même exagérée de cet élément, orienterait la prairie vers la disparition plus ou moins complète des légumineuses, dont le rôle est si précieux en ce qui concerne la valeur nutritive du fourrage. En fait, on constate que, pour la production du foin, l’azote exclusivement employé finit par provoquer la disparition presque totale des légumineuses ; au contraire, sur les prairies pâturées, il n’en est pas de même, surtout si un large approvisionnement en acide phosphorique et en potasse assure la présence du trèfle blanc, la plante type de la prairie pâturée. Nous avons vu en Angleterre, dans une station expérimentale consacrée à l’étude des engrais azotés, une végétation remarquable de trèfle blanc suivant l’application d’engrais azotés. Explication facile : si la prairie est riche, les graminées tendres broutées par les animaux permettent d’augmenter le poids entretenu par hectare : le piétinement intensif favorise l’enracinement du trèfle rampant aux tiges couchées qui donnent des rejets fort nombreux.

Conclusion immédiate : l’engrais azoté est utile dans la majorité des prairies ; nous examinerons ultérieurement les conditions de l’application.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 365