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Petite histoire du hareng

Le hareng — le clupea harengus de Linné — est, depuis des siècles, une « viande de carême » et de restrictions ; il est le poisson du pauvre, du soldat, son histoire est très importante, c’est celle de beaucoup de nos ports, c’est aussi celle de l’alimentation au Moyen Age.

Dès cette époque, nous voyons le hareng jouer un rôle très important dans l’histoire. En 809, Charlemagne fonde Hambourg pour la pêche de ce poisson. Saint-Louis, le premier, protège nos pêcheurs harengers contre les entreprises des Anglais. Nous voyons le hareng susciter des grandes sociétés commerciales. Lors du siège d’Orléans, en 1429, le duc de Bedford envoya un convoi de barils de harengs à ses soldats ; les Français résolurent d’intercepter cet envoi providentiel, mais ils n’étaient point en forces, ils furent battus ; cette journée prit le nom de la bataille des harengs (12 février 1429), une miniature du temps nous montre des chevaliers se battant à côté de grands haquets chargés de petits tonneaux de poissons, dont les conducteurs ne paraissent nullement effrayés, malgré le voisinage fort peu rassurant de nombreux hommes tirant des flèches ou brandissant des lances !

Les textes de cette époque font de fréquentes mentions de harengs, c’est ainsi qu’en 1215 nous voyons le comte de Ponthieu donner 10.000 harengs à l’abbé de Cluny, cadeau princier. Les documents nous prouvent que ce poisson était commun à Paris et que déjà — au XVe siècle — les marchandes qui le vendaient étaient fort mal embouchées ; au XVIIe siècle, les harengères des Halles étaient redoutées de la clientèle ! Le hareng avait comme compagnon le maquereau, dont le nom a depuis pris un sens assez fâcheux ; voici, d’après un grand gastronome du début du XIXe siècle, l’explication de cette appellation. « Les maquereaux, dit Cadet-Gassicourt, suivent les petites aloses, nommées pucelles, qu’ils ne quittent que lorsqu’elles ont trouvé un mâle ! » Nous laissons à cet auteur la responsabilité de cette origine ...

Les Parisiens faisaient une grande consommation de ce poisson. Les cris de Paris le citent ; en voici un, par exemple, que l’on entendait dans les rues de la capitale pendant le carême :

    Hareng soret, hareng de la nuit !
    Je crie souvent parmi la ville ;
    La marchandise est utile,
    Et si je n’en vendis d’enhui (aujourd’hui).

Un autre cri nous prouve que, sur les marchés, on débitait de la baleine.

    Lard à pois, lard à poids, la baleine !
    De crier je suis hors d’haleine,
    C’est viande de caresme,
    Elle est bonne à gens qui l’aime.

Durant l’hiver de 1943, quelques Parisiens ont pu goûter à la chair d’une baleine qui fut vendue aux Halles ; il paraît qu’elle est succulente.

À Paris, au Moyen Age, les crieuses de harengs frais appartenaient au corps des poissonniers de mer, et celles de harengs salés à celui des marchands de salines ; les premiers poissons salés que l’on vit à nos Halles furent des harengs ; ils arrivaient de Rouen par la Seine.

Il y avait alors le hareng blanc ou frais poudré, c’est-à-dire qui était tout nouvellement salé ; le hareng de la nuit, dont il est question dans le cri cité plus haut et qui avait été salé le jour même de sa prise ; celui de deux nuits, c’est-à-dire qui avait été salé le lendemain, était beaucoup moins estimé ; le craquelot ou appétit était le hareng saur ordinaire ; le hareng de marque était le hareng de Hollande, qui venait en barils, munis d’une marque officielle ; le hareng de drogue était le hareng qui, trop petit pour être rangé dans des barils, y était jeté pêle-mêle ; le hareng en vrac n’était salé qu’à moitié ; le hareng encaqué était celui qui, après avoir subi des préparations, était mis en baril.

Sous Henri II, la pêche du hareng représentait deux millions de francs par an ; en 1938, le port de Boulogne a débarqué à lui seul 50 millions de kilos de harengs. Sous le règne de Charles IX et de Henri III, un auteur estime que la pêche des harengs rapportait à la France plus de 200.000 couronnes par an, ce qui est un chiffre important. L’Église, consciente de l’importance de cette pêche, permit par une décrétale d’Alexandre III, en 1160, de pêcher le hareng même les dimanches et fêtes.

Le hareng saur, on le sait, est surnommé gendarme, ce qui faisait tressaillir de fureur le gendarme sans pitié ; en Suisse, on applique le même surnom à une sorte de saucisson qui a la forme d’un hareng. Les récents dictionnaires du langage parisien sont muets sur l’origine de ce surnom.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 384