Nul n’ignore aujourd’hui qu’une éponge n’est au fond
que la carapace de certains Coelentérés, tout particulièrement du type Euspongia,
dont la gamme infime en grosseur et en finesse offre toutes les variétés
possibles : de la plus vulgaire à la plus délicate et à la plus douce.
D’un usage vieux comme le monde, il s’ensuit que l’éponge,
toute modeste et vulgaire, a tout un passé historique ... histoire assez
curieuse et variée d’ailleurs, atteignant à bien des domaines, domestique,
industriel, médical, pour n’en citer que les principaux, et il n’est pas sans
intérêt de se pencher sur ce sujet des éponges, qui ont connu les fortunes les
plus variées et dont à l’heure actuelle la situation est en train de se jouer à
nouveau : éternel recommencement !
Retracer toute l’histoire de l’éponge naturelle, de
l’instant de sa naissance jusqu’à la phase ultime de transformation qui en fera
un accessoire de toilette ou un accessoire chirurgical, demanderait bien des
pages. Disons seulement pour mémoire que l’éponge, de par sa constitution, se
plaçant aux confins du monde végétal et du monde animal, on a tenté naguère la
création de « parcs artificiels », de la même façon que celle qu’ont
suscitée les parcs des mollusques. D’ailleurs de très beaux résultats avaient
été obtenus, sous l’instigation du savant anglais Oscar Shmiedt, autour de
1870. Somme toute, les exigences de telles cultures n’étaient pas
négligeables : limites de température, nature des fonds sous-marins,
profondeur, etc., de sorte que, si les résultats s’avéraient pleins de succès,
la lenteur, le personnel exigé, les conditions naturelles constituaient des
obstacles « économiques » insurmontables ; ajoutons à cela la
rivalité inévitable entre pêcheurs de profession et propriétaires de parcs
artificiels, et on aura une première idée des « difficultés ».
Enfin la pêche en elle-même, sans lui ôter son côté poétique
indéniable, digne d’inspirer Théocrate ou Virgile, ne se présente pas
uniquement sous des aspects si ... enchanteurs. Remontant à la plus haute antiquité,
pratiquée alors assidûment en Méditerranée, sur les côtes de Tunisie, Syrie,
Grèce, dans le Pacifique autour de la Floride, de Cuba, elle nourrissait bien
son homme en un temps où la vie n’offrait que peu d’exigences, peu de
tentatives. Mais ces temps idylliques ont changé, les guerres modernes sont
passées ; en outre, la pêche d’éponges, se pratiquant sur des récifs
sous-marins assez profonds, le plus généralement par des plongeurs, n’est pas
sans risques, sans compter tout l’appareillage coûteux nécessité.
D’autre part, les « spongiaires » ainsi
péniblement récoltées n’en deviennent pas instantanément éponges. Outre que les
phases préparatoires, longues, minutieuses, requièrent une main-d’œuvre
abondante, travaillant dans un milieu de vapeurs corrosives de chlore et de
sulfate, il faut en effet procéder au nettoiement, au blanchiment, aux lavages
répétés, au séchage, à l’ensachage, manipulations déjà longues et coûteuses.
Ajoutons à cela les épidémies « spécifiques », qui, il y a douzaine
d’années, ont dévasté les fonds sous-marins les plus productifs, et il sera
facile de concevoir que la plus petite éponge naturelle ne peut qu’atteindre
des prix vertigineux, nullement compensés par des avantages appréciables.
Aussi, devant une telle situation, a-t-on lancé un S. O. S.
à Dame Chimie, qui sait résoudre au mieux les problèmes les plus épineux. De
sorte qu’aujourd’hui l’éponge synthétique (fabriquée intégralement) rivalise
victorieusement avec l’éponge naturelle. Cela pour d’infinies raisons, au premier
rang desquelles se placent la simplicité de sa préparation ; et le vil
prix des matières premières : viscose, fibre végétale et sel marin sont en
effet les seuls produits nécessaires, le sel ne servant qu’à la préparation et
se trouvant récupéré en fin d’usage.
Viscose, fibre et sel marin en cristaux (de grosseur
variable avec la finesse de l’éponge à obtenir) sont malaxés intimement, puis
coulés dans des moules en fonte : ces derniers sont à leur tour plongés
dans une solution bouillante, de sorte que la viscose soit coagulée et les
cristaux de sel dissous, laissant ainsi autant de cavités qui seront les pores
de l’éponge. Il ne reste plus qu’à laver minutieusement le « gâteau »
obtenu pour éliminer toute trace de sel, à l’essorer à la centrifugeuse et à le
sécher à l’étuve pour obtenir l’éponge finale ; de simples modalités dans
la préparation donneront ainsi toute la gamme nécessaire, de la grossière
éponge pour la toilette de l’auto, jusqu’à la plus fine pour la toilette de
bébé.
Tout le monde connaît aujourd’hui l’éponge artificielle, qui
tend à supplanter sa vieille sœur, bien qu’il soit encore certains usagers qui
s’entêtent à préférer la naturelle, sans raison d’ailleurs. Je dis sans raison,
car la dernière en présente seule des qualités indéniables.
Petit volume à l’état sec, résistance infiniment plus longue
à l’usage (les éponges naturelles sont « brûlées » au cours du
blanchiment par le chlore et les bisulfates). Nettoyage notamment facile et
rapide. Absorption de tous les liquides : aqueux ou huileux (essence,
pétrole). (On conçoit alors dans ce cas spécial leur grand intérêt.) Formes et
grandeurs satisfaisant les plus exigeants et les usages les plus imprévus. (À
ce sujet, citerai-je les éponges chirurgicales, de grandeur et de formes
appropriées, comme supports médicamenteux et qui, noyés au fond d’une plaie, y
sont peu à peu résorbées ?) Douceur à l’épiderme bien supérieure.
Imputrescibilité. Enfin coût infiniment moindre.
Éponge naturelle ou éponge artificielle ?
Sans aucun doute, c’est cette dernière qui l’emporte
— en soi — la victoire, et une victoire éclatante. Mais il y a des
conditions économiques qui entrent en jeu : en effet, si, sur ses
qualités, la synthétique surpasse et de beaucoup la naturelle, il ne faut pas
oublier que les matières mêmes, nécessaires à sa fabrication (viscose et fibre
végétale), pour universellement répandues qu’elles soient, sont employées
— et sur vaste échelle, hélas ! — à des fins meurtrières, de
sorte que la situation de l’éponge, exactement des deux espèces d’éponges, est
fonction de la situation économique.
P. LAGUZET.
|