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La chasse aux grives

La grive de vendange et la bécassine sont, parmi les oiseaux de chasse, ceux que j’aime le mieux. J’ai déjà conté mes faiblesses pour la bécassine, les raisons de mon amour pour la « grande Mademoiselle ». Je n’y reviendrai pas. En tant que chasseur et amoureux des choses de la nature, peut-on imaginer plus fine gorge blanche roussâtre que celle de la grive, la poitrine de même couleur, ornée d’un grand nombre de taches d’un brun foncé en forme de cœur ?

L’iris, lui-même noisette, ne se marie-t-il pas à la teinte de chasse de ce petit gibier ? Son vol, suivant l’endroit où on la chasse, peut être zigzaguant dans les vignes ou rectiligne lorsqu’elle cherche à se dissimuler à l’abri des rangs, pour monter plus loin, hors de portée, lourde parfois lorsque l’abondante cure de raisins l’a gonflée de son jus grisant.

Elle adore le raisin en octobre, mais c’est une habitante des bois, et principalement des bois d’érable, qui conviennent si bien à la finesse de sa tonalité.

En général, nous conservons en hiver des grives qui aiment la région et qui, après les vendanges, se répandent dans nos campagnes en quête de prunelles bleues, baies d’alizier, de genévrier, de grains de laurier, de lierre, qui suivent la production de ces grains au fur et à mesure de leur maturité. Je puis signaler que l’an dernier, au moment du passage d’aller, les grives n’avaient pas trouvé, au mois d’octobre, les prunelles bleues des haies qui, à ce moment-là, sont généralement une nourriture abondante pour elles ; elles ont passé sans s’arrêter.

De même cette année, alors que la vendange avait été très précoce, le passage des grives s’est trouvé décalé. Sont-elles restées à musarder en raison du beau temps sous des cieux plus chauds encore, ou ont-elles, exceptionnellement, suivi une autre voie de migration ? Je ne le pense pas, car au mois de novembre nous avons eu des passages de grives très importants, que les fruits sauvages ont retenues. J’ai écrit souvent que la migration et le comportement des oiseaux au moment du départ est un problème très complexe.

À côté des grives de vendanges, il est une autre grive, appelée mauvis ou tourde ; elle est plus petite que sa grande sœur et se distingue d’elle par la couleur des plumes rouges qu’elle porte très timidement cachées sous les ailes et dont la teinte très marquée est caractéristique ; comme la grive de vendange, elle est excellente de goût.

Nous avons, dans notre région, deux autres grives plus importantes que les deux précédentes : la litorne, ou tia-tia, qui est une grive qui s’arrête fréquemment dans les marais et dont il semble qu’elle ait conservé le goût : on l’appelle dans certaines régions la grive bleue, à cause de sa teinte gris bleuté. Lorsqu’elle se déplace, elle pousse « un cri » tia-tia. Dans le Sud-Ouest elle porte ce dernier nom, qui n’a rien de scientifique.

Enfin la draine, qui est la plus grosse des grives, atteint la dimension de la tourterelle. C’est le gui qui est son mets préféré. À la fois sédentaire et erratique, elle se perche sur les plus hautes branches des arbres pour y trouver sa nourriture. Pour le chasseur, on peut dire que c’est un coup de fusil assez exceptionnel, et que pour le gastronome elle ne permet aucune comparaison avec nos exquises grives de vigne ou nos mauvis ; à mon point de vue, cela a aussi son importance.

Octobre est là, les vignes sont surchargées de raisins. Il y a huit jours environ que les grives ont commencé leurs vendanges ; elles y resteront à grappiller pendant une semaine encore. C’est pendant cette période que les chasseurs organiseront de courtes battues.

Chasses de battues.

— Un chasseur marche, l’autre se place à l’affût à l’extrémité de la vigne ; c’est le procédé que longtemps nous avons appliqué et qui nous a permis de réaliser nos plus beaux tableaux. Mais c’était après la guerre de 1914-1918 et avant celle de 1940. Un jour, à deux fusils, nous avons tué dans notre matinée quarante-neuf grives avec un de mes neveux. Ce fut une demi-journée de chasse exceptionnelle. Les grives ont fini, après bien des réflexions, par comprendre la balistique. Comme tous les oiseaux en contact fréquent avec l’homo sapiens, les grives partent plus loin aujourd’hui qu’en 1945, époque bienheureuse à tous points de vue, où elles avaient oublié l’homme.

La battue de grives peut être partout pratiquée à condition d’être deux ou trois chasseurs. Lorsqu’elles ont quitté les vignes, c’est dans les haies qu’il faut les tirer à trois fusils. Deux de ceux-là marchent chacun d’un côté de la haie, l’autre attend à l’extrémité.

Je puis dire qu’en France j’ai chassé la grive dans de nombreuses régions : Sud-Ouest, région parisienne, Touraine, Bretagne. Mais à cette époque bienheureuse, j’achetais le cent de cartouches le prix que je dépense aujourd’hui pour une cartouche. Aussi je chasse avec des cartouches plus modestes.

Chasses de poste.

— Suivant la saison, vous rechercherez de bons postes de grives. Aussi bien la grive de vigne que la mauvis ou la draine viendront avec ferveur dévorer le fruit du moment. Le tir se pratique au « posé » ; il est moins sportif, mais convient mieux aux vieux chasseurs. Il est essentiel d’être en place un quart d’heure avant la pointe du jour, sans cela vous perdrez les meilleurs moments de cette chasse, qui se poursuivra jusqu’à dix heures environ. Après cet essai matinal, vous pourrez circuler le long des haies et le soir chasser à l’affût au moment où les oiseaux viennent se coucher. Quand les derniers rayons du soleil éclairent les acacias ou les pins de leurs ultimes rayons, c’est le moment favorable. L’affût du soir réussit parfois très bien, mais ne permet pas de gros écrasements. Aux environs de Marseille, on chasse la grive à l’arbret. C’est un petit arbre, amandier de préférence, qu’on plante au milieu de massifs de buissons à baies estimées des grives. L’affût doit être enterré ; il est quelquefois construit en maçonnerie et couvert de branches et, de loin en loin, dans la toiture, de petites lucarnes sont pratiquées pour faciliter le tir. À côté de l’arbret, qui peut être très simplement un arbre mort, des cages contenant trois ou quatre grives bien vivantes, mais légèrement dissimulées lierre, servent d’appelants.

L’arbret a été planté là à côté des autres arbres, car la grive se pose d’abord sur une branche élevée afin d’assurer sa sécurité dans l’exercice de sa gourmandise. Le merle, frère endeuillé de la grive, fonce plus souvent droit sur les haies. Et la chasse commence, qui peut vous permettre de tuer trois ou quatre douzaines de grives. Mais c’est du tir posé, moins amusant que le tir au vol.

Pour terminer, je me souviendrai toujours de ce jeune garçon auquel on demandait ce que son père, qu’il accompagnait à la chasse, avait tué. À la question :

    — Y avait-il des bécasses dans le bois ?
    — Non, il n’y avait pas de bécasses, mais il y avait des grives.
    — Il en a tiré beaucoup de grives, ton père ?
    — Boudiou, s’il en a tiré.
    — Combien en a-t-il tué ?

Et le garçon un peu gêné, baissant la tête et la voix, dit comme pour excuser son papa :

    — C’est petit, la grive.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 387