Lorsque l’on chasse à courre, un dilemme se pose : ou
bien c’est « la grande affaire » — et nous verrons plus loin
comment elle se présente — ou un veneur modeste et quelques amis opèrent,
sans apparat, avec un effectif restreint, tout en restant dans les plus saines
traditions.
Étant arrivé maintenant à un moment de l’existence où le
passé dépasse, et de beaucoup, ce que l’on peut attendre de l’avenir, et ayant
pratiqué l’une et l’autre manière de servir le culte de Diane, je pourrais
essayer de faire le point et me demander ce qui donne le plus de joies au
veneur convaincu. Ceci étant uniquement écrit pour mes jeunes amis chasseurs et
afin de leur éviter, si c’est possible, des expériences coûteuses et
décevantes.
Un grand équipage de nos jours est, qu’on le veuille ou non,
une sorte d’entreprise commerciale. Cela exige un tel budget qu’il faut trouver
des ressources importantes, car, maintenant où les grandes fortunes terriennes
sont devenues si rares, il n’existe pas de personne susceptible de financer seule
les frais énormes que cela comporte.
Entretenir quatre-vingts ou cent chiens, payer trois hommes
montés, un ou deux valets au chenil, nourrir les chevaux, compter sur son
budget les palefreniers, la location du territoire nécessaire, les gardes qui
en assureront la bonne conservation, les valets de limier, etc., tout cela se
solde par un chiffre à faire frémir.
Il faut donc recourir à l’association. Qui va-t-on trouver
comme co-actionnaires ? Évidemment quelques vrais et convaincus veneurs,
mais aussi une part importante de cavaliers (ou soi-disant tels) qui ne pensent
qu’à galoper et parader sous de brillantes tenues, sans posséder cet amour de
la vénerie dont nous sommes si fiers.
Une telle entreprise sera très probablement un équipage de
cerf. Le décorum souhaitable flatte l’amour-propre des futurs boutons. Et si le
manque d’animaux ne vient pas aujourd’hui contrarier l’aventure, il sera
relativement facile de trouver les grosses fortunes prêtes à financer un
plaisir vraiment royal.
Parce que c’est le mot propre : le courre du cerf est
une chasse royale. L’animal poursuivi est le plus beau et le plus noble qui
soit. Il se défend magnifiquement ; faisant des parcours de grands
seigneurs et permettant aux participants — cavaliers ou automobilistes
— de suivre agréablement et de se livrer aux joies de l’équitation ou de
la promenade en grande forêt, tout cela avec le maximum de plaisir.
Il n’en serait pas de même, et de beaucoup, pour un de ces
veneurs d’occasion s’il suivait un équipage de lièvre, de renard ou même de
chevreuil. Ces chasses difficiles et fines, où les défauts, les balancers, les
retours abondent, ne sont suivis, et goûtés, que par des convaincus. À ces
croyants, les tenues rutilantes, l’assistance nombreuse et papoteuse
n’apportent aucun attrait. Au contraire, on souhaite d’être en petit comité
pour chasser comme il se doit, ce qui n’est pas aussi facile que le vulgaire
pourrait le croire.
Ce n’est pas moi pourtant qui médirai d’un beau
laisser-courre d’un grand équipage. Je sais trop bien quel magnifique et rare
plaisir il procure et combien il est le reflet d’une vie élégante, choisie, en
compagnie de gens aimables et bien dans les traditions de notre beau pays.
Mais je ne peux oublier les joies du modeste veneur, qui
seul ou avec quelques compagnons, fanatiques comme lui, chasse plus modestement
des animaux moins représentatifs, mais dont le courre exige autant, si ce n’est
plus, de finesse et de science.
Avec des moyens restreints, avec un budget comprimé à
l’extrême, ces maîtres arrivent à prendre et à sonner aussi, fort correctement,
des hallalis qui ont bien leur prix.
Inclinons-nous donc très bas devant tous ces maîtres
d’équipage, les grands et les petits, ayons pour eux un vrai respect et
beaucoup de sympathie.
Et, quand nous serons conviés à assister à leurs
laisser-courre, faisons en sorte de ne jamais les gêner, leur laissant
l’initiative de leurs manœuvres, et gardons-nous surtout de ces interventions,
pleines le plus souvent du désir de bien faire et d’être utile, mais qui se révèlent
dans la pratique désastreuses.
Il faut donc « écouter et se taire », ce qui nous
préservera de toute réprimande de la part des gens de bois qui ne sont ni
tendres ni mignons.
Enfin, et pour nous résumer, il faut nous conduire toujours
comme ce que nous devons être : de dociles suivants.
Guy HUBLOT.
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