Le monde du chien d’arrêt conserve l’habitude de respecter
certaines routines depuis longtemps condamnées par les faits, encouragé en cela
par l’une ou l’autre plume s’estimant qualifiée. En réalité, cette attitude est
à base de timidité. De tout temps l’amateur de chien d’arrêt s’est laissé
impressionner par des dogmes sans fondement, qui n’ont jamais inquiété les
veneurs, ni même le chasseur au chien courant à tir.
C’est pourquoi, lorsqu’on choisit une race de chiens
d’arrêt, est-il recommandable de se fier surtout à sa propre expérience, après
examen, sur divers terrains, des représentants des quelques races pourvues de
clientèle. Des races faiblement achalandées autant ne rien dire. L’abandon dont
elles sont l’objet n’est pas sans fondement. Il en demeure un assez grand
nombre à l’état de prospérité pour permettre un choix de nature à satisfaire
tous les goûts.
Une assertion est encore très souvent émise qui vraiment
fait douter du sens d’observation de ceux qui vont la produisant. Des esprits
légers et conformistes vont répétant, après tant d’autres : « Lorsque
vous commencerez à baisser de train, prenez des chiens chassant sous le
fusil. » Il y a déjà un quart de siècle, le regretté Samat a fait observer
combien pareil propos est dénué de bon sens. Outre qu’il est permis d’observer
la modestie habituelle des facultés olfactives des chiens d’arrêt d’allure
lente, comment peut-on songer à leur efficacité en milieu généralement
médiocrement fourni de gibier ? Ajoutons, que ce gibier est beaucoup plus fuyard
depuis bien des lustres déjà et, peut-on dire, depuis l’apparition des armes se
chargeant par la culasse.
Sur un terrain où il pullule littéralement, un chien
naturellement calme, avec quelque nez et bon retriever, est évidemment très à
sa place. J’ai chassé jadis le lapin sur les dunes de Picardie, servi par un
griffon de pays à physionomie de barbet. Pour ce travail spécial, je crois
impossible de concevoir un chien mieux adapté ; mais ceci n’est
qu’exception.
La règle est que, que vous chassiez perdrix, bécasse
ou au marais, étant donnée la densité de l’oiseau recherché, le chien
d’entreprise couvrant du terrain à un bon train soutenu (et, il faut le dire,
assez vif) est le plus indiqué. Bien entendu, il aura le nez de ses allures et
pas qu’un vague dressage. À ce prix, votre auxiliaire vous épargnera un nombre
de kilomètres imposant, d’autant plus appréciables que l’âge aura fait baisser
vos moyens. C’est cette considération (même non méprisée de la jeunesse) qui a
fait depuis un demi-siècle monter les actions des chiens anglais dans toutes
les régions de la France où la véritable chasse au chien d’arrêt est pratiquée.
Le setter anglais, en particulier, est légion, et les races
continentales les plus en vogue se trouvent inspirées du principe qu’un chien
d’arrêt ne gagne rien à présenter un volume supérieur à celui d’un anglais
convenablement étoffé. Ce qui ne veut pas dire pour autant égalité d’influx
nerveux ; ceci exprimé pour ne pas effrayer les personnes convaincues,
bien à tort, de l’excitabilité de tout ce qui est anglais ou apparenté. Car
nous en sommes là. Bien des gens, qu’à la lecture de leurs écrits on perçoit
n’avoir jamais pratiqué pointer ou setter, ne sont pas parvenus à leur causer
le moindre tort, mais ils n’ont fait aucun bien à la cause continentale.
En dehors de nos frontières, le meilleur parti comme
amélioration du nez, du style, de la fermeté de l’arrêt, de l’attitude, de la
distinction, du tissu, etc., a été tiré de l’alliance du pointer avec de
nombreuses races de braques et de porteurs de poil dur. Les faits en ayant
démontré la bienfaisance, il n’y a pas à discuter. Si nous n’avons pas apprécié
l’opération en ce qui concerne notre cheptel, c’est simplement parce que nous
n’avons pas su en user suivant les règles. Je ne reviens pas sur le pourquoi de
cet échec, souvent exposé ici même.
Nous en sommes encore à considérer comme péché mortel tout
soupçon d’apparence de parenté avec le pointer, quitte d’ailleurs à nous
tromper grossièrement, faute de bien connaître l’anatomie céphalique de ce
chien. J’avoue n’avoir jamais compris cette phobie, ni le goût manifesté pour
certaines physionomies commandées chez quelques races (disparues de ce chef),
non sans avoir propagé des idées erronées dont les meilleures ont eu à
souffrir. Il faut bien dire que les Allemands, en liquidant les avant-mains
chargées, les fanons, les oreilles longues et roulées, ont beaucoup contribué à
la diffusion mondiale du kurzhaar, leur braque national.
En créant deux races de culture à poil dur, dont l’une à physionomie
de pointer étoffé habillé de soies rudes, ils se sont gardés de l’excès de
volume et des tissus relâchés. C’est avoir le sens des réalités.
Il est quelquefois affligeant pour un juge d’avoir à baisser
la note d’un chien en tout point excellent, tête comprise, parce que l’oreille
n’en est pas, disons le mot, « corniaudée ». Le capteur d’émanation
directe que doit être le chien d’arrêt ne comporte pas l’oreille longue et
roulée, apanage du chien pisteur. On répondra à cela « tradition »,
qu’on tentera de justifier en ajoutant que tel caractère accompagne des
dispositions au rôle de retriever. La riposte est aisée. Est-ce que le griffon
d’arrêt avec son oreille pointéroïde (dixit un document officiel), le
braque allemand, le drathaar, le püdel-pointer et même l’épagneul breton ne
sont pas au nombre des retrievers les plus efficaces ? La conclusion de
ces observations est la suivante : la logique impose de reconsidérer cette
question de l’oreille chez les deux races viables de braques qui nous restent
et méritent de survivre, J’en dis autant des autres caractères rappelant chez
eux les attributs propres au chien pisteur.
Il se peut que ces proportions heurtent certaines habitudes
de penser ou plutôt de respecter des us et coutumes dont on n’a jamais cherché à
scruter le bien-fondé. J’en suis le premier désolé, n’aimant nullement froisser
des sentiments sincères. Il est vrai que du sentiment nous en mettons partout,
même où il n’a que faire. Or, ici, il s’agit d’analyser froidement des faits
d’observation universellement connus. Oui ou non nos voisins de l’Est, en
remaniant leur cheptel chien d’arrêt, ont-ils conquis une clientèle de plus en
plus nombreuse ? Ce cheptel, tout en liquidant le souvenir de ressemblance
avec le chien pisteur, demeure-t-il dans le style chien à tout faire, retriever
remarquable comme l’on sait ? On ne peut répondre que par l’affirmative à
ces deux questions. De ces considérations il y a donc à tenir compte, ne
serait-ce qu’en renonçant aux sévérités qui accablent, en vertu du règlement,
un chien indiscutable, sauf du point de vue de tel caractère secondaire. Si
l’on veut se rappeler en outre que ce caractère secondaire est lui-même
discutable au regard de la doctrine du chien créé pour le culte de l’émanation
directe, on pensera à l’urgence de réformer certaines de nos idées, à l’instar
de ce qui se fait ailleurs.
À l’usage des mal convaincus, rappelons encore les triomphes
successifs des pointers aux épreuves de montagne, milieu que leur interdit la
littérature cynégétique a priori, et dont pouvaient même douter les
praticiens de là-bas habitués aux méthodes de leurs excellents chiens
indigènes. Ceux-ci ne sortent nullement amoindris de la concurrence. Mais ces
trials en terrains escarpés, au sol inégal et dur, démontrent par leurs résultats
combien le quid proprium du chien d’arrêt est la découverte du gibier
sur émanation directe. Jamais un chien d’arrêt n’aura trop de nez afin d’avoir
perception du plus loin possible de la présence réelle, qu’il distinguera des
places chaudes, sans, d’autre part, se laisser troubler par les émanations
basses. Vous vous demanderez si, hyperspécialisé dans ce rôle, pareil
personnage sera aussi à sa place derrière les grands runners. Ceci est une
autre histoire. On peut toujours répondre que ses auteurs ne l’ont jamais
désiré et même le lui ont formellement interdit, laissant ces fonctions à un
autre spécialisé. Mais il est non moins certain que les races retrempées
suivant les règles par le pointer, y ayant gagné amélioration des moyens
olfactifs et de la façon de s’en servir, produisent nonobstant des retrievers
réputés, au point, il faut le répéter, qu’ils peuvent concurrencer les
retrievers de profession.
Je crois en avoir assez dit pour faire voir où en est le
problème à résoudre en ce qui nous concerne. Toutefois, voici encore un autre
critère pour juger de l’adaptation des races aux goûts et besoins du plus grand
nombre. Exporte-t-on à l’étranger ? On est dans la bonne voie. On ne sort
pas de son canton, de sa province, tout au plus de ses frontières : cela
prouve que des réformes sont à envisager, et ce au prorata de la réduction de
l’aire de dispersion. Sont seules au point les races pourvues de clientèle
étrangère, et c’est si évident que cela peut passer pour vérité de La
Palice ; mais telles vérités demandent à être rappelées.
R. DE KERMADEC.
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