Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°626 Avril 1949  > Page 399 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La peur du coup de fusil

Quoique ayant déjà traité cette question en juin 1947, les nombreuses lettres d’abonnés que je reçois à ce sujet me font une obligation d’y revenir.

Cette peur du coup de fusil se manifeste chez le chien adulte de deux façons différentes :

La première : Au coup de feu de son maître, le chien revient derrière celui-ci et refuse de se remettre en quête. Ce sujet-là, on peut espérer le guérir.

La seconde : Le chien, entendant un coup de feu assez rapproché, met la queue entre ses jambes et s’enfuit à toute vitesse, rentre à son chenil s’il n’en est pas trop éloigné ou, dans le cas contraire, va se cacher dans un bois.

Pour celui-là, il y a peu d’espoir de voir disparaître la phobie. En ce qui concerne le premier sujet, il faut le caresser, et, si la pièce tirée a été tuée, l’amener dessus, la lui faire sentir, la lui mettre dans la gueule s’il n’a pas été mis au rapport ; dans le cas contraire, la lui jeter à quelques mètres en lui disant doucement : « Apporte. »

Si le chien est très chasseur, ou même aime le rapport, il ne tardera pas à associer la détonation au plaisir de ce rapport.

Il faudra cependant éviter de se mêler aux groupes de chasseurs d’où pourrait partir une fusillade et, chaque fois qu’un coup de fusil aura été tiré à distance, caresser et même donner un croûton ou un morceau de sucre.

J’ai vu, à l’ouverture dernière, une chienne pointer sortant du dressage, où elle avait été essayée au coup de feu sans manifester de crainte, ramenée chez le dresseur par son maître parce qu’aux premiers coups de fusil qu’elle avait entendus elle n’avait plus voulu chasser. Le lendemain, le dresseur chassa avec elle, lui tua plusieurs pièces à son arrêt sans qu’elle manifestât la moindre crainte.

Quelques jours plus tard, le propriétaire put constater la même chose, mais, ayant voulu faire chasser lui-même la chienne, celle-ci vint se mettre derrière lui et ne voulut rien faire.

Le dresseur, chargé de la vendre, l’essaya devant un acheteur qui en fit l’acquisition et ne le regretta pas. Étrange !

Ayant un jour rencontré le propriétaire éleveur, je lui demandai dans quelles conditions la chienne avait pris peur avec lui :

« Eh bien ! voilà, dit-il : Victoire étant tombée à l’arrêt, deux de mes amis qui l’avaient vue accoururent, et, quand la compagnie de perdreaux qu’elle arrêtait prit son vol, elle fut saluée de nos six coups de fusil. » Je lui dis : « Je ne suis plus étonné du résultat. » Du chien qui s’enfuit et rentre au chenil, il n’y a pas grand’chose à espérer, ai-je dit plus haut. Ce qui pourrait cependant le mieux le mettre en confiance, serait de le faire chasser avec un autre chien qu’il connût bien.

Quand on élève soi-même une portée, il existe un procédé qui m’a personnellement bien réussi avec deux chiots bretons faisant partie d’une nichée que j’ai fait naître en mai dernier et que j’ai élevée jusqu’à six mois.

J’avais suspendu dans le chenil une plaque de tôle d’assez grandes dimensions. Quand les chiots ont vu clair, chaque fois que je faisais rentrer la mère avec eux et qu’ils se précipitaient pour téter, je frappais la tôle avec un bout de ferraille. La première fois, deux des puppies abandonnèrent la mamelle et se réfugièrent dans un coin ; j’attendis qu’ils revinssent et fit à nouveau résonner la tôle. Nouvelle fuite des deux capons. Je fis sortir la mère et recommençai deux heures plus tard. Un seulement abandonna alors la tétée. Le lendemain, après un peu d’hésitation, les deux prirent leur repas en même temps que leurs frères, malgré le bruit.

Je renouvelai chaque jour la séance de tam-tam, en frappant de plus en plus fort, et cela jusqu’au sevrage. Puis je tirai, quelques cartouches à blanc. Ce procédé, beaucoup plus simple que celui du pistolet à amorces, est à la portée de tout éleveur et peut s’employer par l’amateur qui achète un chiot à choisir dans une portée.

On m’a rapporté que la Société centrale canine avait l’intention d’exiger, pour le titre de champion de travail, l’obtention d’un prix en épreuve avec gibier tiré. Ce serait le vrai moyen d’éliminer des étalons ayant peur du coup de feu.

A. ROHARD.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 399