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La rage du chien

La rage est de toutes les maladies infectieuses de la race canine la plus terrible et la plus grosse de conséquences, puisqu’elle est constamment mortelle et facilement transmissible aux autres animaux et à l’homme, avec tous ses effrayants symptômes et son extrême gravité. Elle est produite par le virus rabique mis en lumière par Pasteur, mais jusqu’ici les plus forts grossissements n’ont pu permettre de découvrir le microbe spécifique de la rage. S’il existe, et ce n’est pas douteux, il rentre dans le groupe des virus dits invisibles ou filtrants.

La rage est connue depuis longtemps, elle n’en est pas moins une maladie bien mal connue et sur laquelle bien des personnes professent des idées erronées. Ce qui est indiscutable, la rage ne se déclare jamais spontanément ; elle a, au contraire, pour cause unique la contagion. Les chiens sont inoculés accidentellement soit par morsure, soit par contact de la salive virulente avec une plaie, une égratignure quelconque de la peau ou des muqueuses. Il suffit, en effet, qu’un animal sain, ayant une égratignure, une écorchure, même imperceptible, à la bouche, lappe des aliments souillés par la salive d’un chien enragé pour que la maladie lui soit communiquée. Comme on sait, d’autre part, que la salive d’un chien en puissance de la rage, alors même que l’animal ne présente aucun symptôme particulier, est virulente plusieurs jours avant qu’apparaissent les signes rabiques caractéristiques, on voit combien sont imprudents les propriétaires qui laissent leur chien boire dans leurs verres, manger dans leur propre assiette, etc.

Bien que la rage soit constatée dans toutes les espèces de mammifères, elle est à peu près exclusivement une maladie du chien ou plutôt des carnivores domestiques (chiens et chats). C’est surtout le chien qui propage la rage, et toutes les fois qu’un cas de rage est constaté chez les autres mammifères ou chez l’homme, c’est toujours un chien qui est à l’origine de la maladie.

La rage a été attribuée longtemps aux influences les plus diverses. On a cru que le seul fait de maintenir un chien enfermé dans une cage suffisait pour qu’il devînt enragé. Croire à la possibilité de ce mode de développement de la maladie, c’était admettre, en principe, que la rage peut se manifester spontanément, en dehors de tout contact. À la vérité, les animaux enfermés qui deviennent enragés sont des chiens qui ont été mordus avant leur capture par des chiens enragés. Les animaux certainement sains des pays comme l’Australie, où la rage n’existe pas, peuvent être enfermés sans devenir jamais enragés.

On a aussi attribué la rage aux jours caniculaires, mais les expériences ont montré que la saison chaude n’a aucune influence sur la fréquence de la maladie. En réalité, la rage n’est pas une maladie spontanée, c’est une maladie inoculable, elle est transmissible uniquement par les morsures (professeur vétérinaire L. Panisset).

La rage canine peut se manifester sous deux formes : la rage furieuse et la rage mue ou paralytique. On a dit que le chien qui va devenir enragé est sorti de son naturel, qu’il y a un changement de son caractère, une anomalie de ses habitudes ; que, parfois, il est triste et inquiet, d’autres fois, surexcité et plus caressant ; que souvent ces deux groupes de manifestations affectives se succèdent l’une à l’autre, de sorte que le chien paraît capricieux. Ce sont bien déjà les signes de la maladie. Celle-ci existe déjà avec son caractère contagieux au moment où l’animal n’est pas encore féroce, alors que le chien n’a pas encore perdu sa raison ; alors que l’animal se connaît encore, que le sentiment affectif, qui est la caractéristique essentielle de sa nature, est encore tout vivace et que, loin de malfaisance vis-à-vis des personnes qui lui sont familières, il se montre souvent, au contraire, plus caressant à leur égard et perfide sans le savoir, se livre à des lèchements dangereux, car, à cette époque, sa bave est virulente et peut inoculer le germe du mal. La rage du chien ne se caractérise pas dans les premiers temps de sa manifestation par des actes de fureur ou de férocité, c’est par une transition insensible que le chien arrive à la période de la frénésie rabique. C’est ce qu’ignorent la plupart des personnes qui possèdent des chiens et voilà ce dont il faudrait qu’elles fussent bien pénétrées. Une fois prévenues, le danger serait nul pour elles et pour les autres, car on enchaînerait le chien dès l’apparition des signes précurseurs et l’on empêcherait, par cette captivité préventive, de porter plus loin la contagion ; il ne pourrait obéir à l’instinct qui le pousse toujours à fuir la maison de son maître.

Après cette première période que nous appellerons initiale, le chien enragé passe par des phases successives soit de somnolence ou d’inattention, soit d’inquiétude ou d’agitation pendant laquelle on le voit saisir avec ses dents, déchirer, broyer et déglutir une foule de corps étrangers à l’alimentation. La litière sur laquelle il se trouve dans les chenils, la laine des coussins dans les appartements, la couverture des lits, quand, chose si commune et regrettable, il couche avec sa maîtresse, le tapis, le bois, etc., tout y passe.

L’aboiement du chien enragé est tout à fait caractéristique ; dans le plus grand nombre des cas, il est altéré. Il commence par un aboiement ordinaire, rauque, qui se termine tout à coup et d’une manière tout à fait singulière, en un hurlement à cinq, six, ou huit tons plus élevés que le commencement. Lorsqu’on l’entend et qu’on en connaît l’intonation, on peut affirmer que le chien est enragé.

Nous arrivons enfin à la rage confirmée, au cours de laquelle le chien enragé cherche toutes les issues pour pouvoir fuir le logis de son maître. Une fois dehors, s’il rencontre un autre chien, il se précipite sur lui et le mord en silence ; si celui-ci ne riposte pas, la chose en reste là ; mais si le mordu crie ou regimbe, il en résulte une lutte où tous les deux roulent, où l’on constate que l’animal attaqué fait entendre des grondements tandis que l’enragé reste silencieux.

Le chien enragé ne conserve pas longtemps une démarche libre ; épuisé par les fatigues, les accès de fureur auxquels il se livre, il fléchit sur ses membres. La rage furieuse se termine toujours par la paralysie du train postérieur et des mâchoires.

Rage mue.

— Dans la période initiale, les symptômes sont les mêmes que ceux de la rage furieuse ; mais la paralysie de la mâchoire inférieure se manifeste soit d’emblée, soit d’une manière progressive. Il y a même des cas où la paralysie de la mâchoire est le seul symptôme de la maladie ; le chien est doux, caressant, on est porté à croire à quelque obstacle qui s’oppose au rapprochement des mâchoires, à un os arrêté entre les dents ou dans le pharynx. Dans les explorations de la bouche, on risque alors de se blesser aux dents et de s’inoculer la salive qui est virulente. Enfin l’animal meurt fatalement au bout d’un temps généralement court.

Il n’existe aucun remède contre la rage et, dans tous les pays, on prescrit sévèrement d’abattre tous les chiens qui ont été en contact avec un animal enragé ou mordu par lui. La vaccination antirabique de Pasteur n’a été jusqu’ici appliquée qu’à l’homme.

La loi du 21 juin 1898 sur la police sanitaire des animaux domestiques prescrit, dans l’article 38, que « la rage, lorsqu’elle est constatée chez des animaux de quelque espèce qu’ils soient, entraîne l’abatage, qui ne peut être différé sous aucun prétexte. » Les chiens et les chats suspects de rage doivent être immédiatement abattus. Le propriétaire de l’animal suspect est tenu, même en l’absence d’un ordre des agents de l’Administration, de pourvoir à l’accomplissement de cette prescription.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 398