Hormis les pêcheurs à la volante, à la mouche artificielle
et au lancer lourd ou léger, qui pratiquent les pêches dites
« sportives » exigeant de continuels déplacements, ceux de nos
confrères qui obtiennent les meilleurs résultats sont, sans nul doute, les
adeptes de la pêche dite « au coup ». La pêche de hasard, à rôder,
est beaucoup moins productive.
Comme chacun sait, la pêche « au coup » est celle
qui consiste à choisir certains points de rivière assez faciles à aborder, à
les amorcer plus ou moins longtemps à l’avance pour y attirer le poisson et à
s’y tenir, de propos délibéré, pour y essayer sa chance. Le pêcheur expert et
prévoyant a toujours quelques-uns de ces coups préparés à l’avance dans son
voisinage.
Il est facile de comprendre que, si ces points ne sont pas
judicieusement choisis, les résultats seront, le plus souvent, assez médiocres.
Savoir discerner les bonnes places de pêche est, en plus de l’habileté
professionnelle, tout le secret de ces vieux praticiens qui nous étonnent par
la quantité et la qualité de leurs captures.
À ce sujet, il est des règles qu’il est bon de ne pas
enfreindre. On ne pêche pas au même endroit l’ablette et le brochet, le goujon
et la truite, etc. ... La nature des fonds, notamment, est une question
primordiale, car il en existe de plusieurs sortes.
Les fonds de sable sont les plus faciles à pêcher. Le plus
souvent assez unis, ils se prêtent admirablement à la lente progression des
esches et à leur découverte par le poisson. Ils sont affectionnés du goujon, de
la vandoise, du hotu et souvent du gardon, mais il est rare d’y rencontrer de
fortes pièces.
Les fonds de gravier ou de galets roulés sont meilleurs, et,
parmi eux, ces graviers moussus, de couleur verdâtre ou brunâtre, sur lesquels
le dos des poissons ne tranche pas par sa teinte grisâtre, neutre. Le barbeau,
notamment, les affectionne, car, dans la mousse, il trouve avec abondance ces
larves aquatiques dont il se nourrit de préférence. Les fonds rocheux lui
plaisent également, mais aussi à la truite, qui y rencontre, quand ils sont
inégaux, ces admirables cachettes qu’elle recherche pour s’y embusquer.
Les fonds de vase attirent la tanche, l’anguille et parfois
la carpe ; mais ils sont ardus à bien pêcher, car amorces et esches y
disparaissent facilement et exigent, de la part de ces poissons, une laborieuse
prospection pour y rencontrer leur subsistance.
La question de profondeur n’est pas moins à considérer. Si,
sur de petits fonds n’excédant pas 1m,50, le petit poisson parfois
foisonne, les belles pièces n’y sont guère que de passage ; elles ne s’y
sentent pas assez en sûreté et ne s’y arrêtent pas longtemps.
La brème et la carpe adultes, la grosse truite, le barbeau
de poids ne stationnent guère que là où une couche d’eau épaisse d’au moins 3 mètres
recouvre le fond qui leur convient ; ces poissons préféreront même des
endroits plus creux, entre 5 et 6 mètres de profondeur, s’y sentant mieux
à l’abri. Néanmoins, établir son coup en eau trop profonde n’est pas avantageux
pour le pêcheur, à cause de l’obligation de se servir d’une canne très longue
et, par conséquent, lourde et encombrante.
Il y a encore un autre aspect de la question, celle de la
vitesse, de la force des courants. À part la carpe, la tanche, l’anguille et
parfois le chevenne, le poisson aime peu les eaux stagnantes, surtout en été.
On aura, presque toujours, plus de touches en eau courante
qu’en eau calme, pourvu que sa vitesse n’atteigne pas celle d’un torrent, où il
serait impossible de régler la bonne marche des esches et même d’amorcer avec
fruit.
Autant de raisons, pour le pêcheur au coup, de rechercher
ces demi-courants de profondeur moyenne — 3 ou 4 mètres — où il lui
sera permis de gouverner sa ligne comme il l’entend et de faire progresser ses
esches assez lentement au milieu de ses amorces pour que le poisson puisse s’en
saisir avec facilité.
Les meilleures de toutes les places se trouveront à
proximité et principalement un peu en amont de ces parties de rivière herbeuses
ou remplies d’obstacles, qui les rendent à peu près impêchables. Mais,
habituellement, ces endroits-là recèlent une population imposante de belles
pièces, qui s’y tiennent à l’abri.
Si le coup est établi à une proximité telle de ces vrais
réservoirs à poissons que l’attirance des amorces puisse les en faire sortir
pour venir manger sur l’endroit choisi ; si, d’autre part, il n’en est pas
assez rapproché pour qu’un gros poisson accroché puisse y entraîner la ligne,
on peut avancer que le choix du pêcheur a été judicieux.
Un fond trop uni ne convient qu’à la pêche des petits poissons ;
celui qui présente des ondulations peu accusées, des bosses et des cuvettes,
sera le meilleur de tous, car les esches y traîneront en changeant constamment
de niveau et, partant, paraîtront plus libres. Cependant un fond par trop
inégal ne permettra guère que la pêche à la ligne plombée, vu les dangers
continuels d’accrocher.
À propos du sujet qui nous occupe, bien d’autres remarques
seraient à faire ; le cadre restreint qui nous est réservé ici nous
l’interdit, du moins pour aujourd’hui. Nous en resterons donc là, si vous le
voulez bien.
R. PORTIER.
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