L’alevin de saumon ou tacon.
— Un de nos lecteurs bretons, M. Yvon Le Faucheur,
de Ploubezre (Côtes-du-Nord), m’a dressé le dessin d’un poisson qu’il me
dit très fréquent dans les rivières des Côtes-du-Nord et dont l’identification
fait l’objet de controverses dans la région : saumon, omble, truitelle ?
Je félicite M. Le Faucheur de l’exactitude de son
dessin, qui m’a permis d’identifier son poisson, sans erreur possible, comme
étant un alevin de saumon ou tacon, appelé aussi glizik en Bretagne.
La détermination est facile. C’est un salmonidé, car il a
une nageoire adipeuse. Ce n’est pas une truite commune, car la nageoire caudale
n’est pas droite, mais très nettement échancrée.
Ce ne peut être l’omble chevalier, qui n’habite pas les
rivières, mais les lacs de montagne. Ce n’est pas la truite arc-en-ciel, car il
aurait la queue et les nageoires tachetées. Ce n’est pas le saumon de fontaine,
qui a des taches vermiculaires sur le dos, et les flancs verts en haut, orangés
en bas.
C’est bien un petit saumon ou tacon, en raison de sa queue
échancrée, de sa bouche relativement petite (bord de la commissure à l’aplomb
de l’œil) et de sa livrée comportant sept ou huit zébrures bleuâtres.
Cela n’a rien d’étonnant, car beaucoup de rivières des
Côtes-du-Nord contiennent du saumon (notamment le Trieux et le Gouet) qui
remonte de la mer pour pondre en rivière. Ces jeunes tacons pondus en hiver
restent deux ans en moyenne en rivière et, arrivés à 17 ou 18 centimètres de
long, descendent à la mer vers le mois d’avril.
Quant au « gros paquet de chair très blanc »
signalé par mon correspondant comme se trouvant dans le ventre du poisson,
c’est tout simplement les testicules qui, fait extrêmement curieux et mis
récemment en évidence au Laboratoire du Saumon des Eaux et Forêts au Musée de
la Mer, à Biarritz, se développent dès la deuxième année chez le tacon. Ce
n’est donc pas un paquet, mais en réalité deux paquets blanchâtres, allongés
sur toute la longueur de la cavité abdominale et entourant les viscères. Chose
curieuse, ces testicules sont fonctionnels, et on est arrivé à féconder des
œufs de gros saumon femelle avec la laitance de ces petits tacons.
Mais ceci nous entraînerait trop loin. Nous ferons
prochainement une ou deux chroniques sur le saumon et son extraordinaire
histoire.
Je rappelle simplement à mon correspondant que la pêche au
tacon est formellement interdite, car, à la mouche, au ver ou au lancer léger,
l’été, on peut en faire des hécatombes. Épargnez les tacons et vous aurez du
saumon.
Un petit poisson d’eau saumâtre et son parasite.
— Un lecteur nous a signalé l’existence, dans les eaux
saumâtres de la Gironde, à une cinquantaine de kilomètres de la mer, entre
Saint-Yzans-du-Médoc et Pauillac, de petits poissons appelés localement « bouilluts ».
Ces petits poissons à large tête et gros ventre seraient très appréciés des
gourmets locaux, la partie la plus savoureuse étant constituée par les
intestins blanchâtres qui, dans la poêle, sortent du ventre du poisson. À la
suite de mon article sur les parasites intestinaux des poissons, ce lecteur me
demande s’il ne s’agirait pas là d’un parasite.
Je me suis fait adresser des exemplaires de ces « bouilluts ».
Il s’agit d’un gobie. Le genre gobie comprend dans les eaux
marines et saumâtres françaises de très nombreuses espèces de petite taille
(quelques centimètres de longueur, 10 ou 14 centimètres au plus), dont l’aspect
général est celui du chabot ou « grosse tête » qui vit sous les
pierres de nos cours d’eau à truite. On les appelle, en général, goujons de mer.
Ils sont caractérisés par une tête large, épaisse, une bouche grande et bien
armée, les deux nageoires ventrales étant unies en forme de ventouse adhésive.
En Italie du Nord, il existe des espèces de gobies adaptées
aux eaux douces.
En France, ils vivent en eau salée ou saumâtre, et on les
voit souvent dans les flaques d’eau, à marée basse.
L’espèce qui nous intéresse est le Gobius minutus,
très commun sur les plages de l’Atlantique, de la Bretagne à Hendaye. On en
trouve en quantité dans les marais salants vers La Rochelle, à l’embouchure de
la Gironde, à Arcachon et dans le lac marin d’Hossegor.
Cette espèce se rencontre également, en Méditerranée, de
Nice à Sète, et notamment à l’étang de Thau. C’est un vorace qui se cache
souvent sous les cailloux ou les coquillages et bondit sur les proies passant à
proximité de lui.
Quant à leurs « intestins » qui font les délices
des riverains de la Gironde, j’ai le regret de leur apprendre qu’il s’agit
simplement d’un ver parasite, et plus exactement du cestode, Schistocephalus
solidus. J’ai trouvé dans un seul de ces petits poissons, long de 10
centimètres à peine, jusqu’à 4 de ces vers, longs de 2 à 4 centimètres, larges
de quelques millimètres et de couleur blanchâtre, et qui vivent non dans
l’intestin, mais dans la cavité générale des gobies, leur occasionnant le
« gros ventre ».
Ces larves parasites sont ensuite dévorées par les oiseaux
de mer (mouettes, goélands, canards) et s’y développent sous la forme d’adulte.
Les œufs sont rejetés dans les déjections des oiseaux et sont dévorés par les
poissons. J’ajoute que plusieurs espèces de poissons d’eau douce sont ainsi
parasitées par ce ver.
Que les amateurs de « bouilluts » se rassurent.
Ils ne risquent pas de s’infecter de ce parasite. Tout d’abord, parce que cette
larve — tout comme la ligule ou ver solitaire des gardons et des tanches
— ne peut vivre à l’état de larve que dans un poisson et doit
obligatoirement être avalée ensuite par un oiseau pour prendre sa forme adulte.
Ensuite, parce qu’elle est tuée par la cuisson.
Et que cet éclaircissement ne les empêche pas, l’automne
prochain, de pêcher les « bouilluts » et d’en faire de délicieuses
fritures, même avec leurs parasites.
DE LAPRADE.
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