Les cultures dérobées s’intercalent entre deux cultures
principales et permettent de faire au cours de l’année une récolte, ou tout au
moins une demi-récolte supplémentaire.
Elles font le désespoir des statisticiens, puisque,
comprises dans la nomenclature générale, elles donnent pour l’ensemble des
productions une superficie supérieure à celle du territoire considéré :
département, commune, par exemple. Elles sont un des indices de la culture
intensive et leur principe est depuis longtemps adopté des horticulteurs, qui
n’hésitent pas à tirer du sol le maximum et à faire plusieurs récoltes chaque
année sur une même planche.
Cette technique demande, évidemment, un sol de qualité
suffisante pour nourrir cette production complémentaire et il n’est pas
question de la recommander là où on fait péniblement une récolte en deux ans,
ou deux récoltes en trois ans, comme cela est encore fréquent. Avant d’y faire
des cultures dérobées, qu’on commence par récolter chaque année. Dans certaines
régions, il sera même sage d’en rester à la culture extensive, la qualité du
sol ne permettant pas d’autre méthode.
Les cultures dérobées sont, dans leur ensemble, destinées à
l’alimentation du bétail. Elles permettent d’en augmenter l’importance en
nombre et en poids et de le mieux nourrir. L’agriculteur dispose alors d’une
masse accrue de fumier dont bénéficieront les autres productions. Par leur
système radiculaire, les plantes agissent sur le sol et lui enlèvent les
quelques dizaines de kilos d’acide phosphorique ou de potasse nécessaires à la
formation de leurs tissus, mais, comme soucieux de l’avenir, le sol n’abandonne
ses réserves qu’avec une extrême parcimonie et c’est ce qui explique que 100
kilogrammes d’acide phosphorique, par exemple, apportés sous forme d’engrais,
aient une action marquée dans un sol qui, sous une épaisseur de 20 centimètres,
en possède cependant 3 à 4.000 kilogrammes ou davantage. L’acide apporté par
l’engrais est présenté sous une forme facilement assimilable par les
végétaux : pulvérisation très fine, solubilité à l’eau ; celui du sol
est bien différent et, même avec l’aide qui leur est apportée par le travail du
sol, les plantes n’arrivent à en extraire pendant le cours de leur végétation
qu’une faible quantité.
La culture dérobée aura, elle aussi, sa part des réserves du
sol et, si on ne veut pas qu’elle l’appauvrisse, il faudra faire un apport
d’engrais capable de compenser le prélèvement effectué par cette récolte. Sous
cette réserve, étant donné qu’elle permettra d’accroître les fumures organiques
et qu’elle favorisera la vie microbienne du sol, elle sera une cause
d’enrichissement et d’amélioration de ses qualités physiques et chimiques.
En ce qui concerne l’azote, le problème se présente sous un
jour plus favorable encore, chaque fois, tout au moins, qu’on choisit pour
cette culture des plantes de la famille des légumineuses, lesquelles, grâce aux
nodosités de leurs racines, sont capables de fixer l’azote atmosphérique. À la
récolte, la portion aérienne est enlevée, mais le sol bénéficie de l’azote accumulé
dans les racines et le bas des tiges. La quantité est loin d’être négligeable.
Il est, évidemment, assez difficile de la chiffrer, d’autant plus qu’elle
dépend de l’importance de la récolte et de la puissance du système radiculaire
de la plante ; elle ne saurait toutefois être inférieure à 20 ou 30
kilogrammes d’azote par hectare et parfois davantage, soit l’équivalent de 100
à 150 kilogrammes de sulfate d’ammoniaque.
Il arrive fréquemment que la culture dérobée soit destinée à
la production d’engrais vert, et, dans ce cas, sa valeur fertilisante est
considérablement augmentée, non seulement en ce qui concerne l’azote accru de
toute la partie aérienne de la plante, mais aussi en ce qui concerne l’acide
phosphorique et la potasse. Le sol voit lui revenir sous une forme beaucoup
plus assimilable les principes qu’il avait abandonnés avec tant de regrets et
la culture suivante s’en trouvera grandement favorisée.
Il arrive même qu’une plante semée en vue de sa récolte
comme fourrage soit finalement enfouie, les circonstances climatiques ayant
favorisé la production fourragère et rendu inutile la précaution prise de
s’assurer des ressources complémentaires. Cela s’est produit assez couramment
l’été dernier. De cette façon, rien n’a été perdu.
Parmi les plantes qui se prêtent à la culture dérobée, on
peut citer :
Des crucifères : navette d’hiver et d’été, colza,
moutarde blanche, particulièrement intéressantes par la rapidité de leur
végétation. Semée en août-septembre, à raison de 7 à 8 kilogrammes à l’hectare,
la navette d’hiver donnera en mars de 10.000 à 20.000 kilogrammes de fourrage
vert. La moutarde blanche, semée en juillet-août, produira dès
septembre-octobre de la même année.
Des légumineuses comme la gesse-jarosse, la vesce d’hiver et
celle de printemps, les pois. Elles enrichiront le sol en azote et donneront
des rendements de l’ordre de 30.000 kilogrammes pour les vesces, si les
conditions sont favorables.
Des graminée : seigle, maïs. Elles assureront du
fourrage vert au mois d’avril : seigle, ou en été : maïs, au bout de
trois mois de végétation, à condition de semer des variétés précoces comme le
jaune hâtif d’Auxonne.
Des racines comme le navet, qui vient après une céréale
précoce ou un fourrage vert et se récolte en novembre.
Le sarrasin enfin, à qui sa rapidité de végétation permet de
mûrir. Il ne donne en culture dérobée guère qu’une dizaine de quintaux à
l’hectare. C’est appréciable cependant.
La technique des cultures dérobées permet d’accroître les
ressources de l’exploitation et surtout d’assouplir l’assolement, selon que les
circonstances météorologiques de l’année sont plus ou moins favorables. Elle
demande des précautions pour ne pas épuiser la terre, mais, bien conduite, elle
est un facteur d’amélioration fort intéressant.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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