Bien que cela puisse nous éloigner du caractère technique
habituel à ce journal, il me semble utile, — une fois n’est pas coutume,
— de reprendre le sujet, en raison de réflexions dont nous fait part un
lecteur.
Il était question de la production, celle-ci étant envisagée
sous l’angle de la satisfaction des besoins réels et, en outre, sous l’angle
des exportations éventuelles. Tout le monde est d’accord pour reconnaître que,
dans l’ensemble, les besoins réels ne sont pas satisfaits, et la différence
entre les masses produites et les quantités nécessaires pour satisfaire la
consommation se développe d’autant plus que l’on envisage le problème sur de
plus vastes étendues. D’ailleurs, il n’est pas aisé de résoudre le problème,
car, dès que l’on part des besoins normaux, on va vers des satisfactions,
mettons plus raffinées, qui portent sur un côtoiement des désirs.
Question de qualité des marchandises, de présentation, etc.
on ne doit pas, honnêtement, s’insurger contre cette tendance, car ce serait
nier l’entrée en scène des applications nouvelles des sciences aux simples
usages domestiques.
Il est bien vrai que le déséquilibre existe même en France
où, d’après ce que les voyageurs nous rapportent, le niveau moyen de vie est
relativement convenable en comparaison avec d’immenses misères ou des carences
pénibles. Mais, ainsi que le remarque notre correspondant, la sous-consommation
est un fait, fait d’autant plus tragique que l’abondance, terme que nous avions
perdu de vue depuis quelques années, crée des soucis variés.
Nous avons connu, avant la guerre, des récoltes de blé
dépassant les besoins moyens apparents ; c’était alors la propagande pour
la consommation du pain, c’était la dénaturation du blé, ou encore la recherche
de débouchés à l’extérieur. Mais je rappelle volontiers un souvenir
personnel ; alors qu’à la ferme nous dénaturions du blé pour le faire
passer officiellement à la consommation animale, un chemineau mendiait un
morceau de pain. N’est-ce pas à la même époque que, pendant que se tenait à Paris
une grande conférence impériale, les agriculteurs se plaignaient de la
concurrence que faisait aux céréales secondaires un important tonnage de riz en
provenance d’Indochine, tandis que les habitants des pays exportateurs
manquaient de leur denrée alimentaire de base ? Situations lamentables qui
témoignent contre la mauvaise répartition des productions de la terre.
Ici se placerait évidemment un chapitre sur de nouveaux
modes de distribution basés sur un mécanisme différent de l’achat et de la
vente. Sincèrement, je n’ai pas une compétence suffisante pour aborder cet
aspect du problème, non pas que je sois effrayé par les conséquences qui
pourraient résulter d’une véritable révolution sur ce terrain, mais j’estime
que, malgré la séduction exercée par les idées, on ne doit aborder les
questions que lorsque l’on possède tous les éléments du problème, le
raisonnement peut conduire à des déductions faites à titre gratuit.
L’expérimentation, conséquence de l’hypothèse et qui conduit au progrès, est
difficile à concevoir dans ce domaine ; la meilleure preuve s’en trouve,
pour le moment, dans les controverses qui existent entre les tenants des divers
modes de distribution. Je n’ignore pas les tentatives qui se produisent ça et
là, pour essayer de briser un système ancien reconduit aussi bien sous l’empire
de la tradition que de la crainte. Aujourd’hui, suivant les principes de la
science sociale, il faut se résoudre à accumuler les faits et à les étudier
dans leur détail pour entrevoir des possibilités. Je m’excuse, mais ne puis
aller plus loin sans risquer de commettre des erreurs.
Revenons donc tout simplement aux conséquences actuelles
d’un accroissement de la production. Restant sur le terrain agricole, nous
voyons l’abondance dans certains secteurs, pommes de terre, légumes, on dit le
vin, d’autres ajoutent les produits laitiers, se traduire par une mévente à la
production, des protestations des agriculteurs, et, dans toute la presse
agricole, l’image de la tenaille est reproduite : le cultivateur est pris
entre la branche de la baisse des prix et la branche de la hausse des moyens de
production. Nous voici à la veille des travaux du printemps, les plants
sélectionnés de pommes de terre, fruits de longs et patients efforts, passent à
la consommation des porcs, les journaux publient des notes sur l’emploi des
pommes de terre, même crues (vaches), dans l’alimentation des animaux. On
retourne des champs de choux, les carottes s’altèrent dans les caves, mais, par
contre, la vente des engrais se ralentit singulièrement, il y a du
superphosphate en vente libre, l’écoulement des engrais azotés et potassiques
est lent ; ces faits résultent des prix élevés. Conséquence possible,
changement dans les cultures, report sur des secteurs relativement plus
favorisés, diminution de production pour quelques denrées, prix différents à
l’automne prochain.
Ce désordre est grave, d’autant que, malgré tout, c’est vers
toutes les formes de paix que se pressent les aspirations des hommes, paix qui
conduirait à l’atonie générale si l’initiative, le génie créateur ne
maintenaient pas toujours agitée l’une des branches de l’éventail intellectuel.
Il faut donc y penser et, en vue des déboires, s’acharner à mieux produire.
Mais j’aborde un autre point du problème de l’époque :
produire pour exporter. Thème de tous les gouvernements et qui conduit à
l’absurde lorsque l’on fait du particularisme. Aujourd’hui, la question des
devises peut être un prétexte pour l’accomplissement du programme ;
demain, il faut voir dans cette exportation une conséquence de la circulation
facile des marchandises de toutes sortes allant des points à productions
meilleures vers les points aux productions artificielles, donc coûteuses. C’est
pourquoi, sur le simple terrain métropolitain, nous devons songer aux qualités
que demandent nos voisins. Tout cela, évidemment, après une étude
consciencieuse du marché intérieur et des moyens révisés ou créés, en vue de
satisfaire les besoins réels correspondant à des besoins solvables.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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