E cadran solaire se fait de plus en plus rare, et
c’est dommage ; très en vogue au XVIIe siècle, jusqu’à l’époque
où les horloges donnèrent l’heure avec perfection, il rivalisa avec elles, car
il donne l’heure à une minute près ; mais il subit rapidement un déclin de
faveur du fait des montres, carillons, même de la T. S. F., qui
donnent l’heure exacte en toute saison, à n’importe quel instant du jour ou de
la nuit, par temps ensoleillé ou non ...
La tendance architecturale cubique avait ramené un engouement
passager, peu avant 1939, pour cet art si pittoresque.
Beaucoup de charme et de poésie, en effet, émanaient des
cadrans nichés au fond d’un parc, au centre d’une roseraie, sur une fontaine,
où bien souvent les arbres grandis rendaient inutilisables les inexorables
graduations ... Sous les sculptures, Saturne, Chronos (le Temps), assis
nonchalamment, la faux entre les jambes, les yeux sur un filet de sable qui
s’écoule, attend l’heure fatale pour chacun, indiquée par le style noirâtre en
forme de flèche, et à laquelle quelque maxime, dans un cartouche, vous incite à
penser ...
Par leurs sentences, certes, les cadrans rappelaient aux
humains la vanité des choses et la brièveté de leurs passages sur notre
planète ; avec la disparition des cadrans solaires disparaît un peu de
sagesse ... Les planches des vieux ouvrages sur la gnomonique, ou art de
tracer les cadrans solaires, sont remplis de ces allégories : sabliers,
flèches, sentences épicuriennes ou pessimistes, faux ébréchées et Saturnes échevelés,
mais ces volumes sont devenus introuvables. Très complets, comme celui de Dom Bedos,
ils donnaient jusqu’à la façon de construire les outils, même l’humble marteau,
de préparer les peintures pour chiffres, vernis pour cuivre, soudure d’étain,
etc.
Disons tout de suite que, sculpture à part et autres
accessoires de pose et de décor facultatifs, la gnomonique est un art facile
pour tous ceux qui possèdent les rudiments de la géométrie dans l’espace et
savent manier la règle et le compas. Les cadrans solaires se tracent sur les
faces des formes les plus diverses, planes, horizontales ou inclinées,
verticales, creuses ou bombées, cubiques, cylindriques, etc., fixes ou mobiles,
exposées aux rayons solaires (1) la plus grande partie de la journée.
Cette façon de diviser le jour en parties égales au moyen du
soleil et de la rotation de la terre est très ancienne et dérivée du gnomon
(ou « indicateur » en grec) : piquet, mât, pierre levée, dont
l’ombre, sur le sol repérée, permettait de suivre la fuite des heures.
Les obélisques étaient, paraît-il, des gnomons, ancêtres de
nos horloges monumentales, et celui qui a été transporté à Paris, place de la
Concorde, a été réintégré à son antique usage en 1939 ; des plots de
bronze indiquaient sur le sol les heures et les saisons.
On parlait déjà des cadrans (2) en Grèce vers 580 av. J.-C.,
et Anaximène le philosophe en serait l’inventeur (?). (Hérodote attribue, lui,
cette découverte aux Babyloniens.) Anaximandre est donné (610 av. J.-C.)
pour en avoir construit un à Sparte, et, sous Périclès, Athènes connut son
premier cadran. Avant 1914, il existait encore, dans cette capitale, la Tour
des Vents, octogonale, dont chaque face portait un cadran.
Les Romains, après avoir, au cours de leurs pillages, ramené
des cadrans — inutilisables pour leurs latitudes, d’ailleurs, — en
placèrent partout, sur les façades des temples, des villas, des monuments, de
toutes formes et dimensions. En ce temps-là, certains esclaves étaient
uniquement chargés d’aller voir l’heure au cadran de la ville ... Quelle
ombre est-il ? demandait-on ! (pour la nuit, les Romains se
rabattaient sur les clepsydres ou horloges à eau, employées concurremment).
Tout cela n’était pas bien précis, mais la vie à cette
époque n’exigeait pas une régularité telle que nous la concevons aujourd’hui.
L’un des cadrans les plus connus dans l’histoire est celui à
rétrogradation d’Achaz, dont on parle dans la Bible (750 av. J.-C.).
Achaz inclina son cadran d’une telle façon que l’ombre du
soleil rétrograda quelques minutes et reprit sa marche habituelle (3).
Voici le passage relatif d’Isaïe : « Ézéchias, roi
de Judée, étant tombé gravement malade, adressa sa prière au Seigneur. Alors le
Seigneur parla à Isaïe et lui dit : « Va, dis à Ézéchias que je le
délivrerai de la puissance du roi des Assyriens, j’en délivrerai aussi cette
ville (Jérusalem) et la protégerai. »
Isaïe, parlant à Ézéchias, ajouta : « Voici le
signe que le Seigneur te donnera pour t’assurer qu’il accomplira ce qu’il a
dit : « Je ferai que l’ombre du soleil, qui est de 10 degrés sur
« le cadran d’Achaz, retournera de 10 degrés en arrière. » Et le
soleil remonta des 10 degrés par lesquels il était déjà descendu. »
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Dom Bedos,
Rivard, Deparcieuve, Ozanam, Pingré et autres portèrent la gnomonique à un haut
degré de perfection, tracèrent les premiers la méridienne de temps moyen, ou
lemniscate, qui se voit sur beaucoup de cadrans et pignons, planchers de
bâtiments, et ressemble à un huit, à une hélice (l’église Saint-Sulpice, à
Paris, possède une grande méridienne datant de 1727).
Un cadran vertical mural, ou horizontal, n’est valable que
pour le lieu où il est tracé, les calculs découlant de l’orientation et de la
latitude du plan ou de la face sur lequel il se trouve.
Les cadrans portatifs, dont beaucoup de modèles existent en
collection et se vendent chez les antiquaires, car certains sont des objets
d’art, décorés, ciselés, s’ils sont munis de cercles inclinables orientables et
de boussoles, peuvent avoir quelque précision, mais ils sont souvent plus
curieux qu’utiles.
Ouvrons ici une parenthèse sur les divers temps dont les
humains se servent : le jour sidéral, employé par les astronomes,
est compris entre deux passages d’une étoile dans le champ d’une lunette
fixe ; le jour vrai, ou solaire, est enfermé entre deux passages du
soleil dans le même instrument.
Les jours solaires sont variables en étendue, et les hommes
ont dû accorder leurs horloges, plus régulières que le soleil, sur un temps moyen,
ou civil, ou légal. Si donc nos montres et horloges donnent le
temps moyen, les cadrans ne donnent que le temps solaire, et cette heure
solaire s’écarte de l’autre d’une quantité variable appelée équation du temps
et qui peut s’élever jusqu’à 26 minutes. Quatre fois par an, avant
l’adoption du méridien de Greenwich — qui a retardé l’heure de Paris de 9 minutes
21 secondes, — les deux temps coïncidaient au 15 avril, 15 juin,
1er septembre et 24 décembre. Actuellement les écarts sont
minimes en janvier et mars, élevés au début de novembre ; à l’aide de
tables que contiennent les annuaires astronomiques et ouvrages de gnomonique,
il est facile de corriger l’heure donnée par un cadran si celui-ci est bien
orienté et tracé. Ces corrections peuvent d’ailleurs s’inscrire sur un cadran
mural d’assez grandes dimensions.
Les devises.
— Elles sont fréquemment en latin ; la plus
employée dit, en parlant des heures : Vulnerant omnes, ultima necat
(toutes blessent, la dernière tue) ; ou bien : Ultima forsan
(la dernière peut-être), Crains la dernière, ou : Passant, songe
que tu passeras comme je passe ; Utere præsenti (profite du temps
présent), Carpe diem (id., d’après un vers d’Horace).
R. MIETTE.
(1) Il a existé des cadrans lunaires !
(2) Avec style et lignes horaires.
(3) Expérience reprise en 1881 par C. Flammarion, d’après celle de Nonius
(XVIe siècle).
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