Le puma [leon]. — Les indigènes
l’appellent el leon (le lion), comme ils donnent le nom de
« tigre » au jaguar. Il est presque superflu de faire remarquer que
ces animaux n’ont ni la puissance ni même la forme du lion ou du tigre
d’Afrique et d’Asie.
Le puma a la taille, la forme et les habitudes de la
panthère d’Afrique. Sa robe, par contre, a la couleur de celle de la lionne.
Ses pattes antérieures sont courtes et armées de griffes puissantes. Ainsi que
la plupart des félins, il reste tapi le jour dans les fourrés ou sur les arbres
et ne se met en chasse que la nuit. C’est un grand destructeur de moutons dans
les contrées où l’on pratique cet élevage ; mais il s’attaque très bien à
de jeunes bovins. En forêt, il fait sa proie de tous les cervidés, des
autruches, des guanacos.
Je n’ai jamais entendu dire que le puma ait attaqué l’homme.
Lorsque l’on dispose d’une troupe de chiens habitués à ce
genre de chasse, celle-ci, en général, n’est pas très dangereuse : en
forêt, la bête, pour se tenir à distance de la meute, monte sur un arbre, où
les chasseurs peuvent la tirer facilement.
Sa peau n’est pas très recherchée, et, dans les
cantonnements d’alors (1), les peaux de puma et de bien d’autres animaux
aussi servaient de tapis. Malheureusement, elles ne se gardaient pas
longtemps ; comme nous ne prenions généralement pas la précaution de les
empoisonner à l’arsenic, les insectes ne tardaient pas à en faire leur proie.
Dire que sa chair constitue un plat de choix serait
exagérer ; mais j’ai eu l’occasion d’en manger quelquefois lorsque le
ravitaillement était déficient, et je puis assurer qu’elle est acceptable et,
en tout cas, infiniment plus comestible que celle de l’autruche, par exemple,
dont les Indiens font leur grand ordinaire.
À la Sabana (Chaco austral), les Indiens venaient
fréquemment troquer des animaux qu’ils capturaient vivants ; entre autres,
nous avions eu de cette façon, pour un litre ou deux d’eau-de-vie, un jeune
puma de quelques semaines. Nous l’avions élevé sans difficulté jusqu’à l’âge de
six ou huit mois. Il était curieux avec son cri qui ressemblait plus à celui
d’un singe qu’à celui d’un fauve. Il jouait comme un jeune chat et venait sans
cérémonie prendre sa place sur nos genoux ou sur nos lits de camp, place de
plus en plus encombrante, du reste.
À cause des inondations périodiques, les maisons de la Sabana
étaient construites sur pilotis à un mètre du sol. Attachée par sa chaîne à un
des pieux, la bête passait ses journées à dormir sous la maison. La nuit, elle
rôdait en traînant sa chaîne. Si, par hasard, l’un de nous sortait alors en
pyjama, d’un bond elle sautait sur nos pieds, avec lesquels elle entendait
jouer et ne pas se départir. Ce n’était souvent pas très commode d’en sortir.
La pauvre bête eut une bien triste fin : certaine nuit,
elle rompît sa chaîne et s’enfuit dans la forêt. Huit jours plus tard, un
Indien venait nous proposer une peau de puma portant au cou la marque d’un
collier.
Le jaguar. — C’est la grande panthère
américaine ; comme forme, elle diffère assez peu, du reste, de sa parente
africaine. La tête est un peu plus grosse, l’ensemble est plus puissant. Les
taches sont fauves, entourées de cercles noirs sur fond plus ou moins clair.
Les peaux mesurant 1m,60 et même 1m,80 de la tête à la
naissance de la queue ne sont pas rares. Cependant il faut tenir compte de
l’habitude des indigènes de faire sécher ces peaux au soleil en les étirant et
en les fixant au sol par des chevilles de bois. Dans certains cas, cela a pour
effet d’étendre ces peaux de 10 p. 100, parfois plus.
Le jaguar habite toutes les forêts plus ou moins désertes de
l’Amérique du Sud et du Nord. Il affectionne les rives des cours d’eau ;
mais on le trouve aussi dans des régions dépourvues de rivières. Il est rare,
mais non impossible de le rencontrer de jour. Il chasse de préférence la nuit
et s’attaque à une variété considérable d’animaux : chevaux, vaches,
cerfs, guanacos, tapirs, ours fourmillier, lequel se défend, du reste,
quelquefois victorieusement. Sans compter certains gibiers d’eau tels que les carpinchos
(cochons d’eau) et même, d’après certains renseignements concordants, des
alligators.
Il ne dédaigne pas non plus les cadavres. De gros gibiers
que j’avais tués certains soirs étaient trouvés le lendemain matin traînés sur
plusieurs centaines de mètres et dévorés à la lisière de la forêt. Le jaguar a,
en effet, l’habitude de ne pas dépecer sa proie où il l’a tuée ; il la
traîne alors même que cette proie est plusieurs fois grosse comme lui.
Au shaco Cantiagueno, près de la limite du Chaco austral,
notre campement se trouvait un jour à proximité d’un enclos où était parqué un
troupeau de vaches. C’était l’hiver, la nuit avait été froide et le brouillard
recouvrait le pays. Un peu avant l’aube, couchés sous la tente, nous entendîmes
les beuglements désespérés d’une vache. L’obscurité était trop grande pour que
nous puissions nous aventurer sans danger vers le lieu du drame. Mais, le
matin, nous trouvâmes une génisse égorgée et traînée sur plus de 50 mètres.
Et pourtant elle devait peser plusieurs centaines de kilos.
La chasse au jaguar avec appât, la nuit, est possible, mais
assez dangereuse du fait que ce fauve grimpe très bien aux arbres. De plus, les
contrées où il se tient sont généralement infestées de moustiques. Les nuits
d’affût, dans ces conditions, sont extrêmement pénibles, et c’est pourquoi j’ai
toujours préféré les passer dans mon lit de camp, sous ma moustiquaire.
Généralement les chasseurs de jaguars opèrent de jour. Ils
possèdent une meute de chiens dressés à ce genre de sport et qui suivent la
trace du fauve, ce à quoi tous les chiens ne consentent pas. Lorsque le jaguar
est débusqué, il grimpe sur un tacuru (termitière) s’il se trouve en clairière,
ou sur un arbre s’il est en forêt. Il ne s’occupe alors que des chiens qu’il
cherche à attraper à coups de griffes. La tâche du chasseur est alors aisée.
En 1907, près de mon campement du Rio Tapenaga (ligne de la Sabana
à Resistencia), il y avait une équipe de bûcherons. Deux enfants, âgés
respectivement de onze et douze ans, avaient demandé le fusil de leur père pour
aller tirer des charatas, sortes de petites dindes sauvages de la taille d’un
faisan. Le père n’était pas très riche en cartouches ; il en confia deux à
son fils aîné, lui recommandant d’en faire bon usage. Les enfants, heureusement
accompagnés de leurs chiens, n’avaient pas fait 300 mètres qu’ils se
trouvèrent en présence d’un magnifique jaguar mâle. Tout de suite, le fauve fut
aux prises avec les courageux toutous ; l’enfant mit alors ses deux
cartouches dans son fusil et, à 10 mètres, envoya ses deux coups de quatre
sur la tête du fauve, qui, bien entendu, n’en devint que plus furieux.
À leurs cris, des renforts arrivèrent rapidement, et le sort
du jaguar fut vite réglé ; mais les deux petits chasseurs revenaient de
très loin.
Le lendemain, avec un collègue et le père de ces enfants,
nous sommes parvenus à retrouver la femelle ; mais la forêt était trop
épaisse à cet endroit, elle nous échappa sans que nous ayons pu la tirer.
Je n’ai pas entendu parler de cas où le jaguar ait attaqué
un homme à pied ; par contre, j’ai connu à Quimili un vieux gaucho qui, un
soir, à cheval, avait été très sérieusement blessé. Le fauve, sautant à la
gorge de sa monture, avait planté ses griffes dans la cuisse du cavalier.
Celui-ci s’était défendu avec son couteau, mais il était resté estropié de
l’aventure.
Léon VUILLAME.
(1) Voir Le Chasseur Français de février 1949.
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