Des lettres découragées me parviennent de propriétaires
d’équipages de petite vénerie. Le lièvre se fait trop rare en diverses régions.
L’entretien d’une dizaine de chiens devient un problème du point de vue
nourriture. Le courre est impossible du fait de la multiplication de fusillots
sans scrupules. Enfin, cela ne va plus du tout, car, à ces épreuves, il faut
ajouter, en certains départements, l’interdiction de la chasse à courre au jour
de la fermeture de la chasse à tir.
Dans ces conditions, il faut de l’héroïsme pour conserver un
petit équipage qui servira huit ou dix jours par mois durant deux mois et
demi ; car ce n’est guère qu’à partir des premières gelées qu’on peut
chasser sérieusement.
Morale : pour peu que se prolonge la situation,
les races de chiens propres au déduit sont destinées à disparaître à une
cadence plus ou moins accélérée, d’autant qu’on ne peut espérer voir remédier à
la raréfaction du lièvre, matière première à préserver. En effet, il faudrait
appliquer les réformes énergiques demandées depuis vingt ans, soit ouverture de
la chasse le 15 octobre et interdiction de sa vente à la consommation. Il
y a trente ans que cette dernière mesure est en vigueur aux États-Unis pour
tout gibier. Afin de couper court aux massacres, nos alliés ont signifié que,
la chasse étant un sport, non un moyen de s’enrichir, l’exercice en devait être
désintéressé. Mais, encore une fois, aucun espoir de ce côté, aucun espoir non
plus de voir la petite vénerie considérée d’un bon œil en de nombreux départements.
Alors, la cause est entendue. Nous avons vu disparaître le
Briquet d’Artois, le Normand de taille moyenne, se raréfier le Briquet vendéen
et le Porcelaine. S’il demeure dans le Midi des chiens régionaux (pas si
nombreux), c’est qu’en cette contrée ils sont indispensables, même au chasseur
à tir : mais ce serait erreur de les croire légions. Il y a dans le Sud-Est
un certain nombre de Griffons nivernais groupés en petits lots, eux aussi, ne
formant pas copieux effectifs.
On voit bien des Beagles-Harriers et des petits
Anglo-français, direz-vous. Sans doute, mais pas tant qu’on le pense, et ce
sont précisément les propriétaires de ces équipages voués exclusivement au
courre du lièvre qui sont les plus découragés et prêts à abandonner la partie.
Les personnes peu averties, ou animées d’une certaine
antipathie contre tout ce qui est chasse à courre, ne verront aucun
inconvénient à la disparition de toutes ces races, oubliant les services
qu’elles peuvent rendre aux chasseurs à tir. Ne pas se dissimuler, en effet,
qu’une race de chiens courants ne se maintient prospère qu’autant qu’il en
demeure équipages importants. La nature, comme le dieu des armées, tient pour
les gros bataillons. Pas de sélection possible sans familles différenciées et
consanguinité la plus incestueuse à jet continu pour finir — c’est le cas
de le dire.
Quel que soit le nombre considérable des porteurs de fusils,
parmi lesquels des massacreurs sans scrupules, la situation pourrait
s’améliorer moyennant simplement les réformes exposées, plus haut. Sinon, c’en
est fini du lièvre, déjà devenu un mythe en quelques contrées.
Il restera les petits chiens de chasse à tir, éventuellement
capables de prendre un lièvre, c’est-à-dire les Bassets et le Beagle. À propos
des premiers, à signaler le mouvement dessiné en faveur de ceux susceptibles
d’un certain train, par conséquent droits ou d’apparence droite. On parle d’un
Basset d’Artois conforme aux idées de son améliorateur, le comte Le Coulteux de
Canteleu ; donc droit, mais aussi sensiblement plus haut. On exagère même
de ce côté en le voulant de plus de 0m,40. Un Basset excédant cette
taille est bientôt un monument porteur de poids mort.
Nous avons le précieux Basset vendéen, dont le modèle le
plus renommé est celui à jambes droites, et les meilleurs représentants
gravitent précisément autour de 0m,40. Entendons par là du véritable
0m,40, non le « 0m,40 Vendéen » d’autrefois,
qui atteignait le bon 0m,45, comme le disait Henri d’Audigné. Enfin,
il y a un nombre assez imposant de Beagles, auxquels on ne reproche rien pour
la chasse à tir il me semble. Certains amateurs de chasse à courre en
critiquent l’excès de gentillesse, se traduisant par quelque manque
d’initiative dans les embarras. Il se peut que ce reproche ait quelque
fondement. Il appartiendrait donc aux éleveurs de parer au danger en veillant à
élever entre eux les chiens les plus hardis et entreprenants. Ce n’est pas
impossible, puisqu’un lieutenant de louveterie bien connu chassant le sanglier
à tir, et prenant des lièvres avec ses Beagles, en a possédé un qui,
s’échappant, a forcé deux ou trois lièvres seul.
Les courants de petite taille sont, par conséquent, seuls
assurés d’un avenir, même si le lièvre succombe. Nombreux demeureront les
chasseurs ayant besoin d’un minimum d’un couple ou deux, ne serait-ce que pour
chasser un autre quadrupède, gibier ou nuisible. Les éleveurs de chiens de ces
races peuvent encore espérer faire des affaires. Seulement ils devront veiller
(entendons les producteurs de Bassets) à réaliser le chien à deux fins,
susceptible de passer partout et de train suffisant pour chasser le sanglier et
le renard, sujets, surtout le premier, à se forlonger devant des chiens trop
lents. Même ceux destinés à mener à petit train dans les lots de forêts ou les
bois d’étendue réduite ou moyenne ne devront pas être trop lourds. Ils
perdraient en forlongé tout animal débuchant longuement en plaine. Je note ceci
pour l’avoir vu.
Ceux qui ont vécu le beau temps de la petite vénerie
ne notent pas sans mélancolie les événements annonciateurs de sa fin. Sans
doute elle avait depuis plusieurs lustres des adversaires. Faute de lui pouvoir
reprocher d’être destructive, ils la dénonçaient survivance d’un indésirable
passé. Toutefois, ils ne lui nuisaient guère, n’étant pas partout écoutés.
Maintenant, tout est changé : situation cynégétique, conditions
économiques et contingences de toutes sortes se conjurent contre elle. Il faut
donc s’adapter, ce qui ne veut pas dire renoncer à l’élevage de races
précieuses. Même si dans l’avenir elles doivent disparaître, ce n’est pas motif
de pratiquer un malthusianisme qui en hâterait sa fin.
Et, en définitive, il ne dépend que de nous d’exiger la
réalisation de réformes qui préserveraient l’existence menacée du lièvre :
respect de ce gibier tant que dure le temps de la reproduction, interdiction de
sa vente. Qu’on ne considère pas cette dernière mesure comme antidémocratique.
Qui veut chasser chassera, mais ne doit pas en faire métier, sinon, étant donné
le nombre des porteurs de fusils, du gibier sédentaire il ne restera rien.
R. DE KERMADEC.
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