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La pêche à la mouche

Le duvet du peuplier

Le peuplier est en pleine floraison à partir du 10 mai. C’est par les plus beaux jours du mois de mai, quand le soleil est chaud et le temps clair, que le duvet se détache de la branche au moindre souffle, tombe lentement, comme à regret, majestueusement, plus légèrement qu’un flocon de neige. La chute du duvet sur l’eau est un plaisir pour les yeux, tant elle a de grâce et de langueur. Arrivé enfin à quelques centimètres du niveau de l’eau, le léger courant d’air qui y règne l’emporte parfois un peu plus vite pendant quelques mètres, comme s’il voulait résister encore à cette loi inexorable de la pesanteur.

Sur l’eau, il est posé comme un éphémère. Quelle jolie chose que ce blanc flocon sur l’eau lisse d’une rivière verte et calme ! Je ne crois pas qu’il y ait un pêcheur insensible au charme de ce spectacle : toute la rivière en est parsemée.

Les vandoises et les chevesnes gobent le duvet de peuplier et moucheronnent à l’envi, comme s’il s’agissait d’une éclosion intense d’éphémères. Quelquefois, sans vent, il y a des accalmies, puis, on ne sait par quelle brise, le duvet se détache en quantité et tombe, très dense, provoquant alors des gobages nombreux en tous lieux. Avec la fraîcheur du soir, bien avant le crépuscule, le duvet cesse de se détacher de l’arbre, les gobages sont finis. Il faut donc pêcher au milieu du jour, par les journées chaudes en plein soleil.

Le duvet se compose simplement d’un petit flocon de coton très flou, très blanc, avec une petite graine au centre d’un blanc laiteux, un peu gris, de 2 à 5 millimètres. Il n’est pas impossible d’amorcer avec du duvet même et de prendre du poisson ; mais, de même que par un bout de chiffon rond on imite la fleur d’orme, on peut imiter le duvet.

J’imite le duvet avec un hackle, détaché du camail d’un coq blanc très fourni et long, à barbules courtes (5 à 6 millimètres). J’enroule plusieurs fois la plume comme pour habiller une chenille, afin d’obtenir une belle mouche qui flotte très bien, qui cache complètement l’hameçon et qui se posera presque aussi légèrement que le duvet lui-même. Ce sera l’occasion de refaire notre main, alourdie par la pratique de la mouche noyée. Un très bon exercice et un nouvel entraînement, surtout si nous nous attaquons au chevesne. Ce dernier gobe avec une finesse telle qu’il est très difficile de le prendre. La vandoise, en revanche, plus lourde, entraînant sa proie au fond, se prend à chaque coup. L’hameçon à employer est un 16 blanc.

Il n’y a pas de pêche plus sportive ; mais le duvet n’est pas pris dans toutes les rivières. Il faut des courants calmes et lisses. Le flot tumultueux des rivières à allure torrentueuse ne convient pas.

Si vous avez oublié la date de la floraison et que vous soyez surpris par cette éclosion inattendue, que vous n’ayez pas la mouche blanche, ne désespérez pas. Essayez une très fine araignée à collerette grise bien fournie, mais très claire, très transparente, à corps court. Hackle gris, corps noir, vous réussirez presque aussi bien, en tout cas plus facilement, sur le chevesne. Les chevesnes sont moins éclectiques que la truite, tout fait ventre pour eux, il suffit qu’ils soient en gobage.

Mais ... 10 mai ! C’est en période de fermeture ! Hélas ! oui. Nos conseils ne peuvent donc trouver leur application qu’en étangs et rivières privées, et les vandoises que vous prendrez seront bien plates, bien longues et bien maigres. Elles auront rempli leur mission de procréer depuis quelque temps déjà, elles ne seront plus ni râpeuses, ni jaunies par le limon qui s’incruste sur les écailles par le frai, et votre conscience de pêcheur ne vous reprochera rien ! Quant au chevesne, il vous arrivera de le voir, pris sur un duvet, dégorger dans votre main du frai de goujon à pleine gueule. C’est un chenapan qui ne mérite pas de pitié ! Mais le gendarme aussi est sans pitié et, même imparfaite, la loi est la loi : Dura lex, sed lex ...

P. CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 451