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Scoutisme

Retour aux sources

Dans notre dernière chronique, nous avons fait état de la baisse d’effectifs que subissait le scoutisme français. Dans la pensée que ce retrait pouvait correspondre à un moindre intérêt de la jeunesse à l’égard de leurs méthodes et de leurs activités, les Éclaireurs de France ont réuni leurs principaux animateurs de Paris et de province. Faut-il reconsidérer certains principes de base ? La mentalité des enfants et adolescents a-t-elle évolué de telle façon, depuis 1908, que les idées de Baden-Powell aient besoin d’être révisées ?

Certes le laisser-aller de la jeunesse actuelle ne fait pas de doute. Après tant d’années de privations et de peur, les jeunes cherchent la détente dans les plaisirs faciles (cinéma, assistance aux compétitions sportives) plus que dans un groupement qui leur impose des règles morales, qui leur demande un effort. C’est une cure d’égoïsme à laquelle ils se livrent, et cette cure, somme toute, est peut-être nécessaire à la plupart. Les adultes, dans leur ensemble, favorisent d’ailleurs, ouvertement ou tacitement, ce relâchement des aspirations juvéniles : « C’est toujours ça de pris ... Qu’ils profitent de leur bon temps ... Qui sait si la misère et la guerre ne les guettent pas ? »

Pourtant il est toute une fraction de la jeunesse qui échappe à cette démoralisation, et on trouve des parents et des éducateurs, fort heureusement, pour pousser cette fraction à résister à la veulerie ambiante. Cette jeunesse-là est faite pour le scoutisme, ou plus exactement le scoutisme est fait pour elle. Un éclaireur n’est-il pas celui qui va de l’avant, quelles que soient les circonstances ?

Comment donc faire pour redonner au scoutisme tout son mordant, pour qu’il attire à lui et retienne tous ceux qui ont envie de se distinguer de la masse et de « montrer le chemin » ?

Il faut renoncer à faire appel à tout un personnel de commissaires « permanents », rétribués à ce titre, et qui, se consacrant entièrement à leur tâche, ont pu donner aux diverses associations, pendant ces dernières années, un essor qu’elles n’avaient jamais connu. Le temps n’est plus aux subventions pour les mouvements de jeunesse. L’État considère — bien à tort — qu’il n’a pas à consacrer d’argent pour dégager une élite de chefs de jeunes.

C’est donc dans une réforme de la structure interne du scoutisme qu’il faut chercher la solution. Et, tout d’abord, on doit lui redonner l’originalité.

Ce qui passionnait les premiers éclaireurs, à partir de 1911, en France, c’était de se sentir uniques dans leur genre : d’avoir un uniforme, des signes secrets, des jeux qui n’étaient adoptés par personne d’autre ; c’était de vivre une étrange et mystérieuse aventure ... Or, aujourd’hui, les culottes courtes et le foulard, les chants de plein air et les feux de camps sont entrés dans le domaine public. Même de paisibles familles (et c’est heureux) couchent l’été sous la tente, font leur cuisine sur un feu de branchages. Mais alors où est la saveur de l’inédit, où peut s’alimenter la flamme révolutionnaire ? Celui qui veut être un « éclaireur », au sens plein du terme, peut-il se contenter de traditions désormais généralisées, de systèmes d’équipes ou d’insignes que l’on retrouve, à de faibles nuances près, dans n’importe quel patronage, n’importe quelle colonie de vacances ?

D’autre part, au cours des ans, le scoutisme s’est alourdi de toute une hiérarchie de cadres, anciens éclaireurs vivant sur leurs souvenirs, mais désireux d’imposer leur autorité assise par une mentalité d’adultes. D’où des échelons multiples, des instructions « venues d’en haut », des circulaires ... La paperasserie dans le scoutisme ! Quelle contradiction pourtant dans les deux mots !

La voie du salut, c’est de demander aux jeunes de s’organiser eux-mêmes, en fonction de leurs aspirations de garçons et de filles de 1949. C’est de les laisser libres de combiner leurs plans et de ne faire appel aux aînés que dans la mesure où ils le jugent nécessaire.

Qu’on se rappelle comment le scoutisme est né : exactement de cette façon. Baden-Powell, qui n’avait lancé au vent qu’une simple suggestion en faveur d’une jolie manière de se recréer en plein air s’est vu assaillir de lettres de garçons qui avaient eux-mêmes fondé des groupes inspirés de ces idées, et qui lui demandaient de quitter l’armée pour prendre la tête du mouvement. Voilà l’esprit véritable du scoutisme. Ce n’est pas trahir Baden-Powell que de lâcher la bride sur le cou des jeunes scouts, c’est se montrer fidèle à son principe fondamental.

Les dirigeants des Éclaireurs de France l’ont compris ainsi et, à un congrès tenu à Angoulême — on parle maintenant de la « révolution d’Angoulême », — ils ont décidé que les garçons de douze à seize ans devraient se réunir dans chaque ville pour voter une « constitution de troupe », texte où leurs droits et ceux de leurs chefs seraient délimités.

Il s’est trouvé, en certains endroits, des chefs pour ne pas accepter ces résolutions. Ils sont donc partis, et le Commissariat national n’a rien fait pour les retenir.

Car, par leur geste, ils montraient qu’ils n’avaient pas compris quel devait être leur véritable rôle : se tenir derrière les enfants pour inspirer leur instinct combatif, mais en aucune façon pour l’étouffer.

Au prix de réformes de ce genre, qui ne sont que des retours aux sources, le scoutisme retrouvera tout son attrait pour ceux qui ont besoin de lui. Peut-être le nombre de ses adhérents diminuera-t-il encore. Le problème est celui de la qualité, et non de la quantité.

F. JOUBREL.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 456