La dégénérescence physique de la race française fait pousser
périodiquement de grands « cris d’alarme ». On signale avec émoi la
forte proportion des ajournés ou réformés aux conseils de révision, le nombre
excessif des écoliers malingres, à thorax étroit, à colonne vertébrale déviée.
On exige de l’État qu’il fasse quelque chose contre cette manifeste
insuffisance corporelle de notre jeunesse et périodiquement, depuis la guerre
de 1870 (!), l’État répond en organisant l’éducation physique scolaire et
la décrétant obligatoire.
Malgré cette bonne volonté gouvernementale et ces efforts
officiels, soutenus d’assez fortes dépenses, la situation ne change guère.
Beaucoup d’enfants restent chétifs ; à vingt ans, bien peu de nos jeunes
gens ont la structure vigoureuse et la grande résistance organique que l’on
peut et que l’on doit avoir à cet âge.
C’est probablement que, si l’on fait quelque chose, on ne
fait pas ce qu’il faudrait. Le problème, toujours mal posé, n’est jamais bien
résolu.
Les Commissions chargées de mettre au point une méthode
d’éducation physique et d’organiser son application sont composées fort
éclectiquement de personnalités de professions et de mentalités très
diverses : politiciens, universitaires, militaires, médecins, sportifs,
hébertistes, suédistes, culturistes. Quand il leur faut tomber d’accord sur les
exercices à faire pratiquer et sur la manière de les enseigner, ils n’y
parviennent qu’après de longues et âpres discussions, en se faisant de larges
concessions mutuelles qui aboutissent à une méthode fort compliquée, englobant
presque toutes les façons d’exercer le corps et entraînant de grosses dépenses.
Car il n’est jamais bon marché de satisfaire tout le monde.
À la base du malentendu est le fait que tout exercice
pratiqué à propos fait du bien. Les zélateurs du sport, des jeux, des
mouvements dits naturels, des diverses gymnastiques méthodiques ont donc beau
jeu à démontrer les bons effets de ce qu’ils préconisent et à en imposer
l’introduction dans la méthode officielle. Chacun voudrait bien qu’on l’écoutât
seul ; mais ... « pour avoir l’arsenic, il faut céder les nègres
à quelque autre ».
L’État, avant que de résoudre le problème de l’éducation
physique, aurait dû le définir clairement en se posant la traditionnelle
question : de quoi s’agit-il ? Car, obligé de se répondre : il
s’agit de quinze millions d’enfants et jeunes gens dont la croissance se fait
mal, dont le développement corporel est insuffisant, dont la résistance
organique est médiocre, il aurait recherché les moyens, simples, efficaces et
surtout pratiques, de remédier à cette catastrophe. Et de sa méthode il aurait
donc éliminé tous les exercices compliqués et difficiles, pour lesquels les
faibles n’ont aucun goût, et qu’ils sont même incapables d’exécuter. Il en
aurait éliminé aussi les exercices qui exigent des installations dispendieuses
ou un enseignement coûteux, assuré par de nombreux professeurs spécialisés.
Les sports et les initiatives sportives qui tiennent grande
place dans l’éducation physique actuelle sont à en proscrire, car les faibles
et mal bâtis n’y viennent pas volontiers ; leur « complexe
d’infériorité » les en écarte. Quand ils s’y essaient, ils font figure
d’éternels vaincus. À les y obliger, on les dégoûte non seulement du sport,
mais de tout exercice.
Le sport est le plaisir, souvent la passion, des jeunes gens
alertes et vigoureux. Il ne faut que rendre tels, par une éducation physique
bien conduite, une grande partie de nos jeunes « déficients » pour
que le nombre des sportifs s’augmente spontanément et considérablement. D’autre
part, ceux qui sont physiquement capables de pratiquer des sports s’y initient
bien tout seuls et se dépensent de grand cœur dans ceux qu’ils aiment. C’est
une affaire d’initiative privée et de goût personnel dans laquelle l’État et
ses professeurs n’ont guère à s’immiscer. Fasse du sport qui peut et qui
veut !
On peut en dire à peu près autant des jeux d’enfants. Ne
jouent assez régulièrement et ardemment pour obtenir belle structure et bonne
santé que les enfants déjà vigoureux et alertes, ceux-là mêmes, une minorité,
qui ont le moins besoin d’une éducation physique disciplinée. Les autres ne
s’amusent qu’à des jeux tranquilles, de petites bousculades et des criailleries
qui n’ont guère d’effet sur leur piteuse constitution. Leur apprendre à jouer
et les y obliger, comme on s’efforce de le faire par certaines méthodes dites
attrayantes, est une tâche ingrate. Il est beaucoup plus facile de les
développer et fortifier par une « gymnastique d’ensemble » bien
conçue, à laquelle, quoi qu’on en dise, ils se soumettent aisément. Aussitôt
qu’ils en ont obtenu quelque vigueur — ce n’est pas très long, — ils
viennent spontanément au jeu, et il n’y a plus qu’à le leur laisser pratiquer,
sous une surveillance assez libérale.
À l’opposé, sous prétexte que ces enfants et jeunes gens
présentent des « déficiences » : thorax étroit et rigide,
insuffisance respiratoire, dos rond, omoplates décollées, colonne vertébrale
déviée, on veut les soumettre à une gymnastique médicale, dite suédoise ou
corrective, aussi difficile à enseigner qu’à pratiquer, qui nécessite un
professeur spécialisé par groupe de cinq à six enfants répartis suivant leurs
tares particulières. Pour se rendre compte de « l’impraticabilité »
du système, il ne faut que se reporter au nombre des ressortissants de
l’éducation physique, douze millions, comme nous l’avons dit.
En fait, si la plupart des écoliers, collégiens, apprentis,
étudiants, ne sont ni forts, ni bien bâtis, il n’y en a que 2 à 3 p. 100
qui souffrent de graves tares structurales ou fonctionnelles, qui sont des
malades ou des infirmes atteints, par exemple, d’une forte scoliose évolutive
ou d’une maladie de cœur. Ce sont ceux-là, faciles à repérer par l’inspection
médicale scolaire, qui sont à soumettre à des traitements, parmi lesquels
l’exercice méthodique, scientifiquement prescrit, dosé et contrôlé, peut entrer
pour une bonne part ; mais c’est une affaire médicale et non point
pédagogique ; elle relève du ministère de la Santé, non de celui de
l’Éducation nationale. L’état physique de ces infirmes et malades est,
d’ailleurs, tellement mauvais et dangereux que leur traitement importe plus que
leurs études ; celles-ci devraient être faites dans des écoles spéciales,
sur des programmes adaptés à leurs moyens de corps et d’esprit.
Mais l’immense majorité de nos faiblards reste justiciable
d’une « gymnastique pédagogique » qui, en les développant et
fortifiant, remédiera à leurs déficiences et tares. Celles-ci, dans leur
apparente variété, procèdent toutes des mêmes causes : paresse et inaction
corporelles, sédentarité et claustration scolaires déterminant l’insuffisance
respiratoire et la faiblesse musculaire. On peut dire plus simplement que c’est
« le manque d’exercice » qui empêche la croissance des enfants et
jeunes gens d’aboutir, comme il serait normal, à des corps vigoureux et sains.
Le problème de l’éducation physique scolaire et postscolaire
se limite donc à fournir aux enfants et jeunes gens, pendant leur croissance, « la
ration quotidienne d’exercice » qui leur est aussi nécessaire « pour
se construire » que leur ration de nourriture.
Or cela peut être fait très simplement par une méthode de
gymnastique d’ensemble facile à appliquer, sans grands frais, dans toutes les
écoles, tous les centres d’apprentissage, tous les groupements de jeunes.
Nous examinerons prochainement comment une telle éducation
physique nationale pourrait être organisée.
Dr RUFFIER.
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