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Voici les remèdes lumineux

Produits en abondance dans les piles atomiques, ces merveilleux remèdes radioactifs permettent de suivre, « de l’extérieur », le mécanisme le plus intime de la vie.

La France, qui ne participe pas au « Condominium atomique » anglo-saxon, ne possède aucune de ces grandes piles géantes qui ont permis aux États-Unis de fabriquer la bombe atomique. Une pile de faible puissance vient d’être installée au nouveau laboratoire atomique du fort de Châtillon, permettant d’intéressantes études.

D’après les déclarations du Haut-Commissaire à l’Énergie atomique, ces recherches s’orienteront systématiquement vers des œuvres de paix, c’est-à-dire vers la production d’énergie industrielle, et surtout d’« isotopes » destinés aux hôpitaux et aux cliniques ... Dès à présent, Zoé (tel est le nom familier donné à la nouvelle pile) est capable de produire des substances radioactives, bref de nous fournir quelques-uns de ces fameux « remèdes lumineux » qui sont la grande nouveauté des cliniques d’outre-Atlantique.

Une bombe paisible.

— Dans une bombe atomique, un premier noyau d’atome d’uranium, brisé par le choc d’un quelconque rayon cosmique, éclate, projetant un noyau de brome et un de lanthane, en même temps que trois neutrons. Ceux-ci s’empressent de percuter les atomes voisins, établissant instantanément la « réaction en chaîne » ! ... Et c’est l’apocalypse, une ville rasée, 120.000 morts.

Dans la pile atomique, le problème est inverse. Il s’agit d’« aller doucement », et les directeurs du laboratoire de Châtillon n’ont jamais prétendu supprimer Paris, ni Fontenay-aux-Roses de la carte du monde ! Les neutrons-projectiles, lancés à 10.000 kilomètres par seconde, sont ralentis jusqu’à 2.000 mètres par seconde par du graphite ou de l’eau lourde. Ils viennent percuter des atomes d’uranium naturel qu’ils transforment progressivement en plutonium, et des noyaux d’« uranium 235 » qui éclatent à leur tour ... Mais des « freins » formés de lames de cadmium, capables d’absorber les neutrons en excès, sont introduits dans la pile par des appareils automatiques, ce qui permet de calmer, voire de stopper, le fonctionnement de la pile.

Zoé à l’œuvre.

— L’aspect de Zoé est sévère : un simple bloc de ciment, de 5 à 6 mètres de côté sur 4 de hauteur ; les parois, épaisses de 1m,50, forment un « rempart antineutrons » destiné à protéger le personnel.

À l’intérieur de cette énorme cuve se trouve un bac en aluminium dans lequel plongent des tubes clos, également en aluminium, emplis d’oxyduration formant tasseaux. La cuve est cuirassée d’une carapace de graphite, formant « réflecteur de neutrons ».

Par des tuyaux, faisons arriver de l’eau lourde dans le bac. Les neutrons, émis par l’uranium, traversent l’eau lourde et viennent percuter les atomes d’uranium dans les tubes voisins ... La pile est en marche ! Par de minuscules « fenêtres » qui traversent le bloc de ciment, introduisons maintenant, au bout d’une tige, des échantillons de matières diverses sous le bac. Soumis au bombardement de neutrons, ces échantillons ressortent radioactifs.

La plupart des « corps simples » : carbone, phosphore, iode, peuvent être ainsi transformés en « isotopes » lourds, doués de propriétés médicales. Notez que les neutrons-projectiles viennent se fixer dans les noyaux atomiques sans changer les propriétés chimiques : « activez » un corps comestible et vous aurez parfaitement le droit de le manger après l’opération !

Cette étonnante réalisation a permis de créer de paradoxaux « remèdes lumineux » qui se répandent dans le corps et que l’on peut suivre à la trace — tels des Petits Poucets chimiques — à l’aide de « compteurs » spéciaux placés à l’extérieur du corps. Activons du poisson, des beignets de cervelle, des phosphates et faisons-les absorber à un patient ; sur l’écran lumineux des compteurs, nous constaterons que le phosphore « activé » de ces différents éléments s’est distribué de la façon suivante : la moitié est éliminée, un quart se fixe dans les os, le reste dans les reins, le cerveau, le foie et les dents.

Si l’on fait avaler à un lapin des doses de « radio-iode », il est possible de détruire sur place la glande thyroïde sans entamer les autres tissus. On conçoit quels espoirs de telles méthodes apportent pour la guérison du cancer. De fait, une solution de radio-phosphore, appliquée sur les cancers de la peau au moyen d’une feuille de papier, permet de réduire considérablement le mal en deux mois, tout au moins 90 p. 100 des cas.

En ce qui concerne les tumeurs profondes, les progrès sont moins décisifs. Dès à présent, les cliniques possèdent néanmoins un moyen d’introduire dans le corps humain des atomes « bombardeurs », qui effectuent sur place de minuscules « traitements par les rayons ». Comme les cellules cancéreuses sont particulièrement sensibles aux rayons, on est en droit d’espérer arriver à des résultats pour le traitement des cancers profonds, qui se prêtent mal à d’autres méthodes de guérison.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 475