Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°627 Mai 1949  > Page 476 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Les avions de demain

et l'énergie atomique

Au cours d’une récente interview, M. Henry Lanoy, lauréat de l’Institut, a bien voulu fournir à notre collaborateur une importante documentation sur les possibilités de l’utilisation de l’énergie atomique en aviation. Voici, succinctement exposées les nouvelles idées gui se font jour actuellement sur l’application à l’aviation de la puissance atomique :

Un rêve qui se réalise.

— L’extraordinaire puissance développée par la bombe atomique d’Hiroshima, qui fut le signal de la défaite japonaise, n’avait pas manqué de laisser beaucoup de savants rêveurs ... mais, leurs premiers étonnements disparus, ils s’aperçurent que le rêve qui les hantait depuis un demi-siècle : l’utilisation de l’énergie nucléaire et surtout sa transformation en énergie mécanique, pouvait devenir une réalité.

Aussi, dès 1946, les Américains orientaient leurs recherches vers l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la propulsion des avions ; leurs firmes de moteurs d’aviation les plus puissantes : Wright, Pratt et Whitney, Westinghouse, etc., reçurent des instructions en ce sens. Les ordres partaient de Oak-Ridge, la mystérieuse et sécrète cité atomique ... Et, en 1947, l’on pouvait lire sur la revue internationale Inter-Avia :

« Rien n’indique que les travaux aient atteint le stade de la planche à dessin ; il est encore impossible de prévoir quand on obtiendra des résultats pratiques. Le poids énorme du blindage nécessaire pour protéger l’équipage d’un avion contre des radiations mortelles pose un rude problème aux constructeurs ; il est probable que les premiers essais devront être faits avec un avion sans pilote ou avec des projectiles télécommandés, mais il est vrai qu’en aviation l’on ne se tient jamais pour battu. »

Un an après la parution de ces lignes, la propulsion des navires par l’énergie nucléaire était pratiquement envisagée et un coin du voile qui recouvrait ces recherches secrètes était soulevé par un rapport aux autorités américaines de l’ingénieur fameux : Andrew Kalitinsky.

Carburant et moteur atomiques.

— On sait aujourd’hui produire l’énergie atomique et il est possible de l’assimiler à un « carburant », carburant doté d’une concentration d’énergie extraordinaire et pouvant alimenter des moteurs tels que les turbo-réacteurs ou les moteurs fusées. Comment créera-t-on le, moteur d’aviation atomique ? Pour répondre à cette question, il faut partir du fait que, actuellement, le « carburant atomique » ne se présente que sous forme de chaleur. Pour transformer cette chaleur en énergie mécanique, la convertira-t-on d’abord en énergie électrique ou l’utilisera-t-on directement grâce aux divers moteurs à réaction s’inspirant de ceux construits actuellement ? Il semble que cette dernière solution offre le plus d’intérêt et qu’elle fait l’objet des travaux secrets actuels. Comment sera-t-il conçu ? Une source d’énergie d’abord, la pile atomique utilisant le plutonium et non pas l’uranium pour diverses raisons. L’extraordinaire chaleur produite par cette pile par la fission nucléaire serait utilisée par le turbo-réacteur la transformant en énergie mécanique.

Difficultés de construction du futur avion atomique.

— Pratiquement le moteur atomique est réalisé ; son utilisation en aviation se heurte cependant à son poids. Le poids de la fabrique d’énergie : la pile, est encore considérable, même pour un avion de 140 tonnes. Le problème du blindage protégeant les passagers des émanations mortelles radioactives de la pile est lui aussi difficile à résoudre, car ces radiations ne sont vaincues que par des couches de plomb très épaisses. D’autre part, la tuyère d’échappement des gaz du réacteur devient elle-même radioactive et il convient de la rendre inoffensive, car elle sèmerait des perturbations désagréables aux installations de radio et de radar, outre le danger d’empoisonnement de l’atmosphère, tout au moins dans les sillages.

Un avenir très proche nous apprendra si, en acceptant de tels inconvénients, on parviendra à construire des ensembles moteurs atomiques n’ayant pas un poids excessif pour des gros porteurs.

Le poids du carburant à emmagasiner, par contre, sera incroyablement insignifiant : 1 kilogramme de carburant atomique (uranium et surtout plutonium) permettrait à un mastodonte de l’air de 200 à 300 tonnes, transportant 300 ou 400 passagers, de réaliser des vols rapides illimités autour de notre planète et même des raids interplanétaires (voyage dans la Lune).

L’avion atomique sera donc un avion géant, afin de noyer le poids du moteur nucléaire dans sa masse. Tenant compte des sensationnels progrès réalisés dans ce domaine depuis moins de dix ans, il est possible de dire que les difficultés actuelles seront vaincues et qu’avant dix ans le premier avion atomique aura volé.

Maurice DESSAGNE.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 476