Au cours d’une récente interview, M. Henry Lanoy,
lauréat de l’Institut, a bien voulu fournir à notre collaborateur une
importante documentation sur les possibilités de l’utilisation de l’énergie
atomique en aviation. Voici, succinctement exposées les nouvelles idées gui se
font jour actuellement sur l’application à l’aviation de la puissance
atomique :
Un rêve qui se réalise.
— L’extraordinaire puissance développée par la bombe
atomique d’Hiroshima, qui fut le signal de la défaite japonaise, n’avait pas
manqué de laisser beaucoup de savants rêveurs ... mais, leurs premiers
étonnements disparus, ils s’aperçurent que le rêve qui les hantait depuis un
demi-siècle : l’utilisation de l’énergie nucléaire et surtout sa
transformation en énergie mécanique, pouvait devenir une réalité.
Aussi, dès 1946, les Américains orientaient leurs recherches
vers l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la propulsion des avions ;
leurs firmes de moteurs d’aviation les plus puissantes : Wright, Pratt et
Whitney, Westinghouse, etc., reçurent des instructions en ce sens. Les ordres
partaient de Oak-Ridge, la mystérieuse et sécrète cité atomique ... Et, en
1947, l’on pouvait lire sur la revue internationale Inter-Avia :
« Rien n’indique que les travaux aient atteint le stade
de la planche à dessin ; il est encore impossible de prévoir quand on
obtiendra des résultats pratiques. Le poids énorme du blindage nécessaire pour
protéger l’équipage d’un avion contre des radiations mortelles pose un rude
problème aux constructeurs ; il est probable que les premiers essais
devront être faits avec un avion sans pilote ou avec des projectiles
télécommandés, mais il est vrai qu’en aviation l’on ne se tient jamais pour
battu. »
Un an après la parution de ces lignes, la propulsion des
navires par l’énergie nucléaire était pratiquement envisagée et un coin du
voile qui recouvrait ces recherches secrètes était soulevé par un rapport aux
autorités américaines de l’ingénieur fameux : Andrew Kalitinsky.
Carburant et moteur atomiques.
— On sait aujourd’hui produire l’énergie atomique et il
est possible de l’assimiler à un « carburant », carburant doté d’une
concentration d’énergie extraordinaire et pouvant alimenter des moteurs tels
que les turbo-réacteurs ou les moteurs fusées. Comment créera-t-on le, moteur
d’aviation atomique ? Pour répondre à cette question, il faut partir du
fait que, actuellement, le « carburant atomique » ne se présente que
sous forme de chaleur. Pour transformer cette chaleur en énergie mécanique, la
convertira-t-on d’abord en énergie électrique ou l’utilisera-t-on directement
grâce aux divers moteurs à réaction s’inspirant de ceux construits
actuellement ? Il semble que cette dernière solution offre le plus
d’intérêt et qu’elle fait l’objet des travaux secrets actuels. Comment
sera-t-il conçu ? Une source d’énergie d’abord, la pile atomique utilisant
le plutonium et non pas l’uranium pour diverses raisons. L’extraordinaire
chaleur produite par cette pile par la fission nucléaire serait utilisée par le
turbo-réacteur la transformant en énergie mécanique.
Difficultés de construction du futur avion atomique.
— Pratiquement le moteur atomique est réalisé ;
son utilisation en aviation se heurte cependant à son poids. Le poids de la
fabrique d’énergie : la pile, est encore considérable, même pour un avion
de 140 tonnes. Le problème du blindage protégeant les passagers des
émanations mortelles radioactives de la pile est lui aussi difficile à
résoudre, car ces radiations ne sont vaincues que par des couches de plomb très
épaisses. D’autre part, la tuyère d’échappement des gaz du réacteur devient
elle-même radioactive et il convient de la rendre inoffensive, car elle
sèmerait des perturbations désagréables aux installations de radio et de radar,
outre le danger d’empoisonnement de l’atmosphère, tout au moins dans les
sillages.
Un avenir très proche nous apprendra si, en acceptant de
tels inconvénients, on parviendra à construire des ensembles moteurs atomiques
n’ayant pas un poids excessif pour des gros porteurs.
Le poids du carburant à emmagasiner, par contre, sera
incroyablement insignifiant : 1 kilogramme de carburant atomique
(uranium et surtout plutonium) permettrait à un mastodonte de l’air de 200 à
300 tonnes, transportant 300 ou 400 passagers, de réaliser des vols
rapides illimités autour de notre planète et même des raids interplanétaires
(voyage dans la Lune).
L’avion atomique sera donc un avion géant, afin de noyer le
poids du moteur nucléaire dans sa masse. Tenant compte des sensationnels
progrès réalisés dans ce domaine depuis moins de dix ans, il est possible de
dire que les difficultés actuelles seront vaincues et qu’avant dix ans le
premier avion atomique aura volé.
Maurice DESSAGNE.
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