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Philatélie

Saint-Thomas

Nous en finirons avec cette petite île (1), si riche au point de vue philatélique, en disant quelques mots de son activité postale en tant que centre de transit. Sujet excessivement vaste, susceptible à lui seul de constituer une spécialisation philatélique très poussée, et nécessitant de nombreuses pages pour être développé à fond.

Tout d’abord, notons la différence entre le long-courrier transatlantique vers l’Europe et le cabotage régional avec les autres Antilles de nationalités diverses et le Centre Amérique.

Le courrier transatlantique fut presque exclusivement britannique ou français. Nous avons déjà vu le premier et dit quelques mots de ses tentatives de monopole, ainsi que des efforts du consul français pour les contrecarrer et obtenir pour la Compagnie Transatlantique des privilèges identiques à ceux enregistrés par la Royal Mail Cy. Les lettres françaises de cette époque, transitées par Saint-Thomas, portent habituellement des timbres de la métropole oblitérés encre, avec le cachet d’origine ligne B, Saint-Thomas, etc. Elles n’offrent aucune rareté particulière du fait de leur origine transitaire. Par contre, ces mêmes lettres postées à la Martinique ou à la Guadeloupe, et affranchies avec les timbres des colonies générales, valent mieux qu’une simple estime ; elles sont très recherchées des spécialistes américains. Quant aux lettres portant combinaison de timbres français, métropole ou colonies, et de divers timbres étrangers, toutes sont intéressantes et quelques-unes excessivement rares. Jusqu’ici aucune lettre française de cette époque n’a été repérée ayant les timbres oblitérés de Saint-Thomas.

Le courrier transitaire régional fut bien moins simple. Et comme, la plupart du temps, il fut transporté par de petits caboteurs indépendants, sans aucun statut officiel, de nombreux points sont encore dans l’obscurité. Il y eut un courrier très important entre Saint-Thomas et les Antilles espagnoles par San-Juan, à Porto-Rico. Ce cheminement postal fut favorisé par les autorités espagnoles, qui essayaient de contrôler au maximum tout le courrier d’affaires, espérant ainsi déceler les atteintes au monopole d’exploitation mercantile de leurs colonies, qu’ils se réservaient jalousement. De là leur accord avec les Anglais, dont nous avons parlé précédemment (avec la fameuse oblitération « D 26 », dont l’unique exemplaire connu sur lettre était récemment en vente), de là aussi la marque postale très recherchée de « Saint-Thomas », qui semble avoir été surtout un cachet de surveillance consulaire bien plus qu’un cachet postal. Mais, en dehors des voies officielles et surveillées, le courrier des Antilles espagnoles était souvent transporté de façon plus ou moins clandestine par des caboteurs indépendants, moins chers et plus discrets. Il est très rare que ce courrier officieux porte des marques postales privées susceptibles de le faire repérer ; les quelques exemplaires connus n’en sont que plus rares et plus recherchés, particulièrement ceux avec des cachets de navires.

C’est probablement à ces caboteurs indépendants qu’il faut attribuer les fameux timbres Saint-Thomas-Porto-Rico, qui autrefois firent couler tant d’encre, et que Moens rangea parmi les fantaisies, éditées par Stern de Paris.

Aujourd’hui, les spécialistes sont bien moins catégoriques, car l’on a découvert depuis que le navire Clara Rothe dessiné sur ces timbres avait réellement existé et avait navigué de façon régulière dans ces parages aux alentours de 1865. Aussi aurait-on tendance maintenant à ranger ces timbres parmi les projets pour postes privées, et non plus comme fantaisie ou comme faux.

Le système des timbres privés semble d’ailleurs avoir été à la mode dans cette partie dû-monde. La Royal Mail Steam Packet elle-même émit vers 1875 une vignette personnelle bien connue, timbre de 10 cents rouge, pavillon avec croix en diagonale. Autrefois, ce timbre était considéré comme local de Saint-Thomas ; aujourd’hui, il semble établi qu’il ne servit que dans les agences de la compagnie au Venezuela et à la Dominicaine, où semble avoir été le véritable centre de l’activité locale de cette compagnie anglaise. La Spanish MailPacket, qui assurait la liaison avec les îles espagnoles, n’a jamais eu de vignettes particulières, ainsi que le démontre la présence du cachet anglais réservé à la liaison espagnole D 26, non seulement sur les timbres de Porto-Rico, mais aussi sur des timbres de Cuba (oblitération très rare).

Une autre compagnie de navigation cabotant dans ces parages émit aussi des timbres à usage local : la Hamburg-America Packet. Ces timbres de 10 cents, noir, jaune et bleu, sont connus sur lettres à environ deux cents exemplaires, dont une certaine partie via Saint-Thomas. Jusqu’ici l’on n’a pas encore trouvé trace d’un contrat postal entre cette compagnie allemande et l’une quelconque des Antilles ou un pays de l’Amérique latine. Il n’empêche que ce courrier en apparence irrégulier, transporté par la Hambourg, n’ait été excessivement important, aussi bien dans le cadre régional que vers l’Europe. Autant de points obscurs non encore déchiffrés.

L’activité hollandaise d’alors est pour nous presque aussi mystérieuse. Officiellement, il y avait une liaison régulière entre la côte du Venezuela, La Gayra et Puerto-Caballo et Curaçao, et de là vers Saint-Thomas. Officieusement, il y eut autre chose, particulièrement une lutte très sévère contre les Anglais, lesquels contre-attaquèrent par la création d’une ligne postale mixte anglo-vénézuélienne.

C’est à cette bataille politico-postale que nous devons toutes ces séries de timbres locaux, dont les statuts semblent être fort variables : timbres quasi officiels du Venezuela, semi-officiels dans les autres cas, sortes de carriers à Curaçao, etc. Il y a encore énormément d’inconnues dans ce domaine philatélique. C’est pourquoi toute lettre portant l’un de ces « locaux » doit être conservée soigneusement.

C’est peut-être aussi à cette concurrence internationale autour de Saint-Thomas qu’il faut rattacher les mystérieux timbres privés de la Compagnie franco-américaine Gauthier frères, utilisés vers 1856-1860 et dont on ne connaît que trois exemplaires sur lettre et deux timbres détachés. Jusqu’ici, aucune documentation ne permet de tabler sur l’activité de cette petite compagnie privée à Saint-Thomas même, mais la possibilité n’en est nullement exclue.

M. C. WATERMARK.

(1) Voir Le Chasseur Français, nos 623 et 625.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 476