Dans une causerie précédente, nous avons envisagé un certain
nombre de difficultés que peut faire naître le fait, pour un propriétaire, de
consentir une location du droit de chasse sur ses terres.
Bien d’autres difficultés peuvent se produire, dont on trouve
la trace et la solution dans les ouvrages de droit consacrés aux questions de
chasse, ainsi que dans les recueils de jurisprudence.
Nous croyons intéressant de consacrer encore une causerie à
des questions se rattachant à la même situation, au sujet desquelles nous avons
eu à donner un avis et qui, à notre connaissance, n’ont jamais été soumises aux
tribunaux. Il s’agit, en substance, d’apprécier si la personne bénéficiant d’un
bail de chasse jouit, par l’effet de cette location, de certains droits sur la
propriété louée, en dehors du droit d’y chasser. Peut-elle, notamment, y
circuler à son gré pendant la période de fermeture de la chasse ?
Bénéficie-t-elle de certains avantages en ce qui concerne les produits de la
propriété ?
La réponse est fort simple et peut se formuler comme
suit : en dehors de la pratique de la chasse, le bail de chasse ne peut
valoir, au profit de celui qui en bénéficie, aucun privilège ; le
locataire de la chasse doit être traité comme un tiers quelconque et ne jouit
que des avantages ou des tolérances dont les tiers peuvent se prévaloir. Par
exemple, si le propriétaire permet aux tiers de circuler dans les parties non
clôturées de ses bois, le locataire de la chasse bénéficie de cette
tolérance ; si le propriétaire ne s’oppose pas à la cueillette de certains
produits, fleurs ou fruits naissant spontanément (muguet ou fraises des bois),
le locataire de la chasse peut aussi bénéficier de ces avantages. Mais si, au
contraire, le propriétaire s’oppose à toute circulation sur ses terres ou dans
ses bois, même non clôturés, le locataire de la chasse ne peut se prévaloir de
son bail de chasse pour enfreindre cette interdiction ; à plus forte
raison ne peut-il se permettre la moindre cueillette. En définitive, en dehors
de l’exercice de la chasse dans les conditions précisées par le bail de chasse
ou résultant de l’usage, à défaut de stipulations expresses, le locataire de la
chasse est, au regard de la propriété sur laquelle il a obtenu le bail de
chasse, assimilé à tous égards aux tiers.
Il convient, au surplus, de noter que, lorsqu’il existe sur
la propriété un bail à ferme ou un contrat de métayage, le fermier de culture
ou le métayer est, au regard du locataire de la chasse, dans la même situation
que le propriétaire.
La solution donnée ci-dessus pourra peut-être paraître un
peu rigoureuse ; on nous dira qu’il est vraiment excessif de refuser à un
locataire de la chasse, par exemple, la possibilité d’aller, avant l’ouverture,
parcourir la propriété pour se rendre compte de l’état d’avancement de la
moisson, ou des cultures encore sur pied, de l’existence du gibier, etc.
Cette observation n’est pas sans portée. Nous répondrons
que, si nous ne croyons pas pouvoir reconnaître au profit du locataire de la
chasse ce droit de préinspection, on doit cependant admettre que c’est là un
droit qu’il est d’usage d’accorder et auquel un propriétaire ou un fermier
serait mal venu à s’opposer, dès lors que, de son côté, le locataire de la
chasse en use avec discrétion, et à condition qu’il n’en abuse pas. Nous
ajouterons que ce sont uniquement les abus commis dans des circonstances où
l’exercice de la chasse n’était pas le moins du monde intéressé qui ont motivé les
plaintes de propriétaires sur lesquelles nous avons eu à donner un avis.
Un correspondant nous citait notamment le cas d’un locataire
de la chasse qui, au cours de l’été, venait de temps en temps, accompagné
d’amis et de membres de sa famille, avec des automobiles, s’installer sur la
propriété pour des pique-niques et y passait des après-midi entières, des
enfants et même des chiens circulant partout, au grand dommage des cultures. Un
autre propriétaire s’est plaint de l’habitude prise par le locataire de la
chasse de venir sur la propriété pour y faire du camping, d’y allumer des feux
et d’y séjourner parfois pendant plusieurs jours.
Ce sont des abus de cette nature qui doivent être
rigoureusement interdits ; pour le surplus, les choses devraient se régler
moins par l’application de règles de droit que par des règles de politesse et
de bonne éducation. L’inconvénient est que ces dernières règles sont peut-être
moins connues et moins pratiquées que les premières.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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