Le barbeau est si connu de nous tous que sa description est
superflue. On le pêche habituellement de trois manières : au coup, à la
coulée ; à la pelote, et enfin à la ligne plombée. Ces pêches réussissent
surtout en été, par eaux tièdes et assez basses. Ces poissons, rassemblés par
petits groupes, trouvent, dans les courants pierreux qu’ils fréquentent, une
eau rapide, brassée, aérée, de multiples refuges et une nourriture abondante,
en deux mots tout ce qu’ils désirent.
À l’ouverture de juin, il arrive que les eaux soient encore
hautes, fraîches et parfois troubles. Peu inquiétés pendant la fermeture, ces
poissons n’ont pas encore adopté de cantonnement fixe et recherchent leur
pitance en ordre dispersé. Ils se tiennent volontiers dans des courants d’allure
moyenne, pas très creux, où l’eau coule sur un fond de galets roulés, assez
réguliers comme grosseur. Ces endroits leur plaisent beaucoup, car, en
soulevant de leur nez puissant les fragments de pierre, ils y découvrent à
foison des larves aquatiques dont ils sont plus friands, à cette époque, que
des appâts végétaux.
C’est dans ces courants découverts et relativement unis
qu’il convient de les pêcher à la « traînée », mode peu connu,
souvent assez productif, que nous allons essayer de décrire de notre mieux.
L’équipement demande une canne assez longue (6 à 7 mètres),
en roseau de choix ligaturé ou en bambou noir léger, terminée par un scion
assez peu flexible, mais non rigide.
Le moulinet est de rigueur, car il faut pouvoir pêcher bien
au large et il n’est pas toujours possible de s’avancer dans l’eau. Les anneaux
latéraux et celui de tête de scion seront assez grands pour y laisser passer
très librement la soie imperméabilisée du corps de ligne, de calibre moyen E ou
F.
À l’extrémité de cette soie, est rattaché un solide bas de
ligne de 3 mètres de long, tout en florences « padron ».
Ce bas de ligne est terminé non par un hameçon, mais par un
bout de fil de plomb cylindrique d’environ 0m,30 de long et du
diamètre de 1 millimètre.
Quatre empiles en « regular » choisi garnissent ce
long bas de ligne, auquel elles sont fixées perpendiculairement, comme celles
d’un « pater noster ». La première sera rattachée à 0m,35
au-dessus du fil de plomb terminal et les suivantes, en remontant, de 0m,60
en 0m,60. Elles auront toutes 0m,15 de longueur et seront
munies d’un bon hameçon arrondi, à courte tige, no 7 ou 8, du
modèle dit « hameçon de Pau », qui s’accroche assez peu sur les fonds
graveleux.
Entre elles et au milieu de l’espace qui les sépare, est
enroulé un court morceau de fil de plomb semblable à celui qui termine le bas
de ligne ; ceci dans le but d’alourdir le dispositif, de l’obliger à
sombrer aussitôt son jet à l’eau et de traîner sur le fond.
On peut, si cela vous agrée, placer un flotteur à la
jonction de la soie et du bas de ligne, mais on peut tout aussi bien s’en
passer, car, munie ou non de cet accessoire, la ligne à traîner n’est pas
considérée comme ligne flottante et n’est permise qu’aux membres des Sociétés
de pêcheurs, dans leurs lots amodiés.
L’appât habituel est un beau ver de terre de 5 à 6 centimètres ;
on peut aussi escher d’un grillon pas trop gros, de deux cherfaix accolés ou
d’une grappe d’asticots.
Il s’agit, maintenant, de faire évoluer notre agencement.
Ses quatre hameçons appâtés avec soin, le pêcheur se place
face au courant, le talon de sa canne appuyé sur la branche, la main droite
au-dessus du moulinet. La canne est tenue presque horizontale et le fil retenu
tirant par la main restée libre, qui en pince l’extrémité. Faisant vivement un
demi à droite ou à gauche, selon le côté de la rivière où il se trouve, et
relevant en même temps le scion, il donne un élan assez prononcé et lâche
l’extrémité du fil qu’il tenait entre les doigts de la main libre au moment où
le tirage dudit fil paraît le plus accentué.
La ligne est ainsi projetée au large et va s’étaler en
travers du courant ; elle sombre presque aussitôt déployée et gagne très
vite le fond, à cause de son poids. Retenue d’un côté par le scion et de
l’autre par le long fil de plomb qui la termine et la freine, elle prend la
forme incurvée d’un arc, dont la convexité est tournée vers l’aval. Les
empiles, non plombées, se portent en avant, alors que le bas de ligne traîne
lentement sur le fond de galets. Pour retarder le moment où la ligne se
rapprochera par trop du bord, le pêcheur suit la berge à la même allure que son
dispositif immergé. Cela lui est facilité par le choix qu’il a fait d’une rive
découverte, mais il doit, en marchant, éviter soigneusement tout bruit.
Les quatre esches sont ainsi présentées du mieux qu’il se
peut. Espacées chacune de soixante centimètres, elles tiennent une largeur
utile de plus de deux mètres et ont les plus grandes chances de passer assez
près d’un barbeau pour qu’il les sente et s’en empare. Le fil, alors, s’arrête,
puis se tend. Si flotteur il y a, il disparaît sous l’eau ; sinon, c’est
la main droite qui perçoit le choc et le tirage ; le pêcheur ferre alors
nettement, mais sans violence.
Parfois, plusieurs barbeaux mordent ensemble et ils peuvent
être assez gros ; c’est la raison pour laquelle on se monte fortement. Ils
se défendent bien, mais l’épuisette est là, prête à intervenir. Il arrive
souvent d’accrocher d’autres poissons que des barbeaux, notamment de beaux
chevennes, de gros hotus ou des vandoises ; mais qu’importe ?
Le plaisir ne se mesure ni à l’espèce, ni au poids, mais il
est certes plus vif quand ce sont de belles pièces qui se font accrocher, ce
qui, en somme, n’est pas très rare dans cette pêche à la traînée. Essayez-la
donc, si le cœur vous en dit.
R. PORTIER.
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