Si l’on établissait actuellement dans notre pays et
dans le monde un référendum pour découvrir le sport préféré et pratiqué par le
plus grand nombre de fervents, une forte majorité de suffrages désignerait le
football association.
Le football a désormais conquis droit de cité dans le monde
entier. Il est le premier jeu de millions d’enfants de toutes races. Cette
semaine encore, en voyage à travers les tribus berbères du Sud marocain,
j’observai au bord de chaque douar et de chaque palmeraie un spectacle que
j’avais déjà remarqué sous toutes les latitudes européennes : trente
gamins dépenaillés, acharnés autour d’une balle en chiffons et s’initiant aux
premiers secrets du dribble et du shoot. Dans ce seul empire chérifien, peuplé
de huit millions d’habitants, il faut compter 2 à 300.000 de ces footballeurs
nomades qui frappent pieds nus dans une balle en haillons. Dans notre pays, le
nombre des licenciés atteint 450.000, mais il faut multiplier ce chiffre par
deux pour avoir une idée exacte de la ferveur suscitée par ce sport magique.
En Angleterre, qui est sa patrie d’élection, un match de
coupe réunit 100.000 spectateurs. Il est précédé par d’innombrables
plébiscites, paris mutuels et concours de pronostics, suivi par des campagnes
de presse, quelquefois par des interpellations à la Chambre des communes :
ce fut le cas récemment, lorsque le député Ellis Smith interpella le
ministre du Travail, M. George Isaacs, sur le transfert du fameux
international W. Mannion.
Le football a désormais ses lettres de noblesse. Deux
recueils ont été publiés à sa gloire. L’un : Les plus belles histoires
de football, réunies par Marcel Berger et où l’on relève des pages de
Montherlant, de Coubertin, de Lucien Dubech, de Jean Fayard. L’autre
intitulé : Trente shoots au but, a recueilli les lauréats du Prix
littéraire de Football que présida longtemps Jean Giraudoux. Joseph Jolinon a
consacré un de ses meilleurs romans : Le Joueur de balle, à la vie
d’un jeune footballeur.
Le jubilé de la Fédération française de football, célébré en
Sorbonne au mois d’octobre dernier, réunissait des ministres, des académiciens
et des professeurs de Faculté. Le football est désormais un phénomène social
aussi important que la danse ou que la chasse.
Il est devenu également un métier, puisque, depuis 1933, le
professionnalisme est admis en France. Nous comptons actuellement une
quarantaine d’équipes professionnelles qui disputent chaque saison un
championnat dont les recettes atteignent des chiffres considérables
(4 millions). Les joueurs sont attachés à un club par contrat. Ils
reçoivent des mensualités régulières et des primes selon les résultats. Leurs
transferts se soldent par des sommes fabuleuses. En France, nous avons
approché, cette saison, 10 millions, mais le record, dans cette surenchère,
appartient à l’Angleterre (25.000 livres).
Le professionnalisme présente des avantages et des dangers.
Au nombre de ceux-ci s’inscrit évidemment le trafic de négriers, la traite des
joueurs, qui sont achetés et revendus comme des chevaux de race. Un danger plus
grave encore réside dans la part d’oisiveté consécutive à la pratique d’un
sport professionnel. L’entraînement quotidien du football n’excède pas deux à
trois heures. Les heures creuses sont généralement consacrées à des jeux de
hasard. À la fin de sa carrière, un footballeur professionnel se trouve souvent
démuni d’emploi et d’argent, et sans aucune formation ou aptitude à un autre
travail. C’est pour parer à ce danger que la Fédération française de football a
créé une « Caisse de retraite des footballeurs professionnels » et
institué des stages d’éducateurs qui permettent aux joueurs d’apprendre leur
futur métier d’entraîneur.
Le résultat le plus net de l’avènement du professionnalisme
en France a été l’élévation de niveau et de qualité de notre football. Avant
1930, nous figurions parmi les plus modestes équipes européennes. Nous avions
subi plusieurs défaites retentissantes, devant l’Espagne (8-1), devant la
Hongrie (13 à 1), devant l’Angleterre (12-0).
Notre football demeurait stérile et sans couleur. La
création des équipes professionnelles a bouleversé cette médiocrité. Il y a
désormais une méthode, une école, une manière françaises. Les derniers
résultats de notre équipe nationale témoignent de cette évolution et de cette
ascension. Sur les dix derniers matches disputés par le « onze »
français depuis deux ans, nous avons subi cinq défaites et remporté sept
victoires. Nous sommes la seule équipe au monde qui ait tenu en échec les
Britanniques à Wembley.
Sur le plan social, le football fait vivre désormais des
milliers de jeunes hommes. Sur le plan éducatif, il est à l’école comme au
lycée le plus précieux auxiliaire du moniteur. Beaucoup d’adolescents que
rebuterait l’aride leçon d’éducation physique s’astreignent au cours
d’orientation sportive lorsque celui-ci est une préparation au football.
L’apologie du jeu de balle a été longuement traitée par Giraudoux et Pierre de Coubertin.
L’un et l’autre ont souligné l’incomparable attrait qu’il présentait pour les
jeunes hommes. L’un et l’autre ont établi qu’il était un élément de discipline
et de formation.
Et la plus grande gloire du football tient peut-être dans ce
précepte d’Aristote, que Montherlant cite dans la leçon de son demi-aile :
« Il nous a donné un esprit fertile en stratagèmes, une âme hardie et
prudente, entreprenante et acceptante ».
Gilbert PROUTEAU.
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