Un tournant décisif s’opère actuellement dans
l’histoire de la pelote basque. D’abord strictement localisé aux deux versants
espagnol et français des 30 derniers kilomètres des Basses-Pyrénées, elle
avait gagné les Landes et le Béarn. Elle tend aujourd’hui à devenir un sport
international, du fait des tournées triomphales de nos vedettes, Jean Urruty en
tête, au Mexique, à Cuba, en Belgique. Grâce aussi à l’exemple donné par des
Basques qui, se trouvant réunis à Paris ou dans quelques grandes villes, ont
construit des frontons et organisé des matches dont le succès était certain,
car ce sport est particulièrement spectaculaire, tant par ses qualités
athlétiques que par la couleur locale que, partout où ils se produisirent, ils
surent lui conserver. On voit même aujourd’hui des pelotaris de qualité qui ne
sont pas basques d’origine et qui ont su s’adapter ; c’est ainsi que l’U. S.
Métro et les étudiants du P. U. C. peuvent désormais affronter, sans
les égaler encore, mais avec honneur, les enfants de Guétary ou d’Hasparren. On
prévoit même le moment prochain où la pelote basque deviendra sport olympique,
et le récent Congrès tenu à Saint-Sébastien exprime cet espoir.
Est-ce désirable ? C’est à mon avis discutable. Certes
il est naturel que les Basques désirent porter aux quatre coins du monde la
renommée de leurs champions et vulgariser un très beau sport. Une belle
production sportive ou artistique fait plus pour la propagande à l’étranger
qu’un discours de diplomate. Mais, pour ma part, j’estime qu’un match à la
grande chistera n’aura nulle part le charme et la couleur qu’il revêt sous le
soleil de Saint-Jean-de-Luz, avec les costumes, les Chants et l’accent, de même
qu’une danse folklorique ou indigène ne trouve son véritable cadre qu’au pays
où elle est née. Mais en ces temps d’internationalisme, il faut nous incliner
devant les faits.
La pelote basque, tout en n’exigeant qu’un minimum
d’équipement et en comportant des règles très simples, est un sport magnifique
en ce sens qu’il exige des qualités premières : coup d’œil, réflexes
impeccables, jeu de jambes élégant, détente formidable, démarrages et arrêts au
centième de seconde et incessants, et surtout cette notion d’anticipation qui,
ici comme au tennis, permet à ceux qui la possèdent de se placer toujours là où
la balle va revenir, d’être sur la bonne jambe pour la recevoir et la renvoyer,
et qui constitue l’intelligence du jeu.
Depuis de longues années, la suprématie se joue entre
les représentants de la côte basque française et des cantons frontières
espagnols, à armes égales. La pelote, comme les autres sports, a eu ses
vedettes. Peu de grands champions, dans l’histoire du sport, ont eu dans leur
spécialité une carrière aussi longue et aussi triomphale que Chiquito de Cambo,
qui, la soixantaine atteinte, se permet encore aujourd’hui de tenir la dragée
haute, à la grande chistera, aux jeunes champions dont il pourrait être le
grand-père. Grand seigneur et d’ailleurs un peu cabotin (dans le sens
sympathique du mot), il a su créer autour de son nom une cour d’admirateurs et
de supporters telle qu’il a rendu à la cause de la pelote des services
inestimables en attirant autour des frontons basques des spectateurs venus de
tous les pays du monde. Jean Urruty, son digne successeur, continue la tradition
en sens inverse, en allant faire des exhibitions à l’étranger.
* * *
Nous ne saurions trop inviter les touristes à assister à la
« Grande Semaine » qui, chaque année, réunit au pays d’origine les
grands champions de la pelote, dont les centres principaux sont
Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Palais, Tardets, Mauléon, Saint-Jean-de-Luz,
Biarritz, Bayonne, Guétary, Urrugne, Ascain, Hendaye, Bidart, Seignosse et
Ustaritz, auxquels il faut ajouter depuis quelques années, en dehors du Pays
basque proprement dit, Pau, le Béarn et les Landes.
Les matches les plus spectaculaires pour le profane sont
ceux qui se jouent à la grande chistera. : Mais pour les initiés, les
matches à la pala, au yoto-garbi, et même à main nue, ont un égal intérêt.
Il faut voir les jeunes écoliers sortant de classe
s’entraîner, le plus souvent à main nue, et admirer leur détente et leur coup
d’œil, pour comprendre les aptitudes des Basques pour leur sport régional, et
pour prévoir que, malgré l’essor que l’on cherche à donner à la pelote basque
dans d’autres régions, ils conserveront longtemps la suprématie. Les petits
Basques naissent, si l’on peut dire, avec des mains faites pour frapper la
pelote, comme les jeunes Norvégiens avec des pieds destinés à chausser les
skis. Et ces coutumes locales doivent être, dans une certaine mesure,
respectées, car, mieux que des séparations administratives ou des reformes
sociales, elles représentent le vrai visage de la France, la personnalité et le
charme de chacune de nos vieilles provinces.
Robert JEUDON.
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