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L’évolution d’une culture

La betterave industrielle

Le développement de la motorisation, qui gagne même la petite culture, a des répercussions profondes sur les méthodes de culture, et telles pratiques qui paraissaient bien établies sont en voie de modification. Parmi les productions en voie d’évolution à ce point de vue, retenons tout de suite la betterave industrielle.

La betterave industrielle, production des milieux évolués, a fait l’objet de nombreuses études en vue de réaliser le maximum de rendement ; les expérimentateurs se sont attachés particulièrement à déterminer la densité nécessaire des plantations pour avoir le plus grand poids de sucre par hectare. En France, dans le dernier quart de l’autre siècle, on avait démontré que les peuplements de 80 à 100.000 pieds par hectare concouraient nettement à ce résultat, et l’écartement des lignes comme le nombre de pieds sur les rangs avaient été fixés en conséquence.

Dans la pratique, et théoriquement, pour obtenir 80.000 pieds à l’hectare, on disposait les rangs à 40 centimètres et la distance de 30 centimètres sur les lignes donnait la densité voulue. Sur les rangs, le placage se faisait au cours du démariage ; grâce à l’habileté consommée des démarieurs, la rasette flamande à manche court laissait de petits groupes de betteraves à l’emplacement approximatif, et la main achevait de dégarnir le bouquet resté. On voyait, dans les pays de l’Europe centrale, à main-d’œuvre plus abondante et encore plus orientée vers ce travail, un premier groupe d’ouvriers donner le coup de binette, tandis que des femmes, des enfants, à genoux, suivaient les lignes, préoccupés seulement d’enlever les racines supplémentaires, choisissant sûrement la betterave la plus vigoureuse du groupe. Toutes ces opérations se faisaient de bonne heure et l’on ne gaspillait pas les éléments assimilables pour des plantes devant disparaître, les réservant à celles appelées à utiliser un terrain bien préparé et parfaitement fertilisé.

Pour passer entre les lignes avec les bineuses à plusieurs rangs, approcher aussi près que possible des betteraves, on recourait à des conducteurs habiles, les 40 centimètres pouvaient même, dans les meilleures situations, être réduits à 38 ; des chevaux à train étroit étaient préférés et même, après la guerre 1914-1918, on vit les mulets laissés par l’armée américaine fortement appréciés ; on éprouvait moins de craintes d’écrasement des racines avec eux que lorsque des chevaux aux sabots plus larges produisaient l’accident. Dernière observation : on arrive en terres moins faciles, présentant même quelques pierrailles, à serrer les lignes à 35 centimètres pour ne pas réduire le nombre des pieds par hectare, en ménageant un intervalle de 45 centimètres au centre du train correspondant à la houe, afin de permettre au cheval de circuler sans causer de dégâts.

Toutes ces opérations étant menées à bien, au moment de l’arrachage, qui avait lieu à la main, aucune difficulté ne se présentait et, même, l’intervention des souleveuses en année sèche, ou pour soulager la peine dans l’extraction des racines, n’offrait aucune difficulté. Enfin, sur le terrain expérimental, les peuplements denses restaient un guide sûr. Peu à peu, cependant, on s’était aperçu qu’il fallait réduire ce chiffre théorique en terre de moins bonne qualité ou sous un climat moins favorable ; la densité des peuplements ne pouvait pas être la même dans l’Île-de-France et dans les Flandres. La réduction acceptée du nombre des betteraves à l’hectare découlait d’un semis à 42 centimètres, à 45 même, on n’allait pas au delà. Sur les rangs, c’était le nombre des betteraves au décamètre qui servait de norme et, dans les contrats de binage, il était spécifié que le prix fixé partait de 30 betteraves au décamètre, comportant une bonification ou une réduction dans le cas d’accroissement ou d’insuffisance.

L’entrée en scène des arracheuses mécaniques comportant le décolletage et l’extraction a posé de nouveaux problèmes. Il faut de la place pour la circulation du tracteur, qui doit être puissant ; il faut surtout de la place pour la machine arracheuse. On a donc posé comme principe que l’écartement de 50 centimètres était indispensable au minimum. Afin de ne pas entraîner une diminution du nombre des pieds, il faut évidemment augmenter le nombre sur les lignes ; théoriquement, la chose serait possible à la condition évidemment d’en tenir compte lors du règlement, car il faut plus d’attention pour laisser les betteraves à l’emplacement voulu, et il paraît illogique, dans ce cas, de tabler sur l’écartement plus grand des lignes pour réduire le prix des tâches ; la densité vraie doit servir de base.

Cette manière de résoudre le problème n’est pas valable. En premier lieu, il est un fait acquis pour toutes les cultures : le rapprochement des plantes sur les lignes n’est possible qu’en milieu extrêmement favorable donnant l’assurance que les plantes ne se gêneront jamais, que la concurrence entre elles n’aura pas lieu au détriment du rendement général. Le nombre des sujets sur la ligne peut compenser la diminution de la production individuelle, mais il y a une limite que permettrait de franchir l’épandage des engrais par localisation sous la ligne ; la question n’est pas nouvelle, elle se prépare à rebondir.

Un autre point doit retenir l’attention : dans les arracheuses mécaniques, la position du couteau qui tranche les collets ne peut pas être fixe, l’observation montre que ces collets ne sont pas tous à la même hauteur, manque d’homogénéité dans le développement, sélection insuffisante, etc. bref, un dispositif tâteur précède le couteau et règle sa hauteur. Entre deux opérations, il parait nécessaire de laisser au dispositif assez de temps pour qu’il reprenne sa place ; donc on ne peut pas impunément rapprocher. Conséquence, il faut des betteraves plus homogènes ou des types à grossissement plus fort en vue de compenser. Ainsi, apparaît une évolution spéciale dans une culture que l’on croyait mise au point.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°628 Juin 1949 Page 510