E problème des incendies a toujours été à l’ordre du
jour des villes et des communes rurales. Les maisons en bois de nos vieilles
cités médiévales, les chaumières villageoises offraient aux flammes des
éléments particulièrement combustibles. En quelques heures, une bourgade ou un
hameau pouvait être complètement détruit, ruinant ainsi des familles entières à
une époque où l’on ne connaissait pas encore les assurances.
Quelques exemples empruntés à des archives inédites
permettront au lecteur de se rendre compte de l’organisation des pompiers au
temps jadis.
En 1388 et en 1394, la ville de Chartres commanda des
« croichés », des anneaux de fer, des cordes et autres instruments
pour « résister et obvier encontre la fortune du feu et pour abattre les
maisons au cas que il en serait mestier, pour eschevier le péril du feu ».
En 1506, les échevins, à la suite de l’accident survenu par
la foudre à un clocher de la cathédrale, firent faire des échelles et des
crochets de fer. En 1524, par suite d’attentats criminels commis dans plusieurs
villes, il fut « enjoint à tous ceux qui ont puits, citernes en leurs
maisons pour obvier aux inconvénients devenus en plusieurs villes de ce
royaume, mesmement en la ville de Troyes, d’avoir plein un traversain d’eau à
son huys, et tenus clos de nuyt les auvans et soupirails des caves et
celliers ».
En temps de sécheresse, dans les campagnes, on disposait de
sortes de grandes seringues, afin de combattre les sinistres.
En 1762 et en 1772, l’intendant de la généralité d’Orléans
envoya une circulaire aux bourgades de son ressort, leur recommandant de faire
l’acquisition de plusieurs pompes, de crochets, de seaux et de paniers. Ce
matériel devait être confié à un maître maçon et à un maître charpentier au
courant des mesures à prendre ; le représentant du roi promettait à
ceux-ci une diminution d’impôts ; en contrepartie, l’établissement des
arsenaux — encore fort rudimentaires — pouvait être financé par une
taxe locale. On voit que, décidément, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ...
Dans certaines villes, des religieux se chargeaient du soin
des pompes, achetées, parfois, à l’aide d’une loterie.
C’est au commencement du XIXe siècle que les
pompiers furent régulièrement organisés et pourvus d’une tenue martiale
évoquant les empereurs romains joués par des comédiens en tournée.
En 1816, à Chartres, le service de ces braves gens est
double : ils doivent assurer le secours contre les incendies et aussi
collaborer à la police municipale, conjointement avec la garde nationale. Le
corps comprend un capitaine commandant, un lieutenant, un sous-lieutenant et
« deux commissaires aux incendies », un tambour, des fusiliers, des
travailleurs et dix-sept pompiers, répartis en escouades et encadrés de
sergents et de caporaux. Certains hommes assuraient l’ordre sur les lieux du
sinistre et sauvaient les meubles. Au feu, ils portaient simplement le casque,
l’uniforme étant réservé aux fêtes et grandes manifestations ; il
comprenait pour les pompiers un habit-veste de drap bleu de roi, aux retroussis
de même couleur, avec collet, revers et parements de drap noir, passepoil
rouge ; des fleurs de lis décoraient veste et boutons ; les
officiers, eux, avaient droit à un vêtement plus soigné et un chapeau à la
française. Le casque de cuivre sans chenille servait lors des incendies, celui
à chenille orné d’un beau plumet rouge pour le service militaire. Ces
soldats-bourgeois étaient armés d’un sabre-briquet.
C’est cette tenue guerrière qui a tenté de nombreux
dessinateurs du siècle dernier. Les caricaturistes du temps aiment à montrer
ces braves gens coiffés à l’antique et faisant l’exercice avec des pétoires
ancien modèle, tout comme des grognards de la Grande Armée.
Le pompier est, sous Louis-Philippe, un objet de
plaisanterie, ainsi que le garde national. Le sapeur villageois est criblé de
quolibets ; on raille sa naïveté, et parfois celle-ci est bien
réelle ; voici, à titre d’exemple, une lettre de remerciement d’un
capitaine de pompiers à son maire, en 1865, et qui est authentique :
« Monsieur le maire,
» Je viens vous remercier du fond du cœur, des deux
cents mètres de boyaux que vous avez bien voulu ajouter à ceux existant déjà
dans mon corps. Cette nouvelle, monsieur le maire, m’a remué jusqu’au fond des
entrailles, comme citoyen et comme pompier.
» Les besoins de notre localité nécessitaient du reste
cette addition de boyaux ; et vienne maintenant l’occasion de les
utiliser, ma compagnie et moi nous pourrons, je l’espère, faire mieux que par
le passé. »
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Vers la même époque, un poète quelque peu oublié, Boué de Villier,
rimait les commandements du pompier français :
Dès que pubère tu seras
Coiffe un casque intrépidement.
En vaillant pompier pomperas,
À table, au feu pareillement.
Monsieur le maire admireras
Et ses cuirs inclusivement.
Monsieur le préfet salueras
Au port d’armes immuablement.
Aux élections voteras
En soldat du Gouvernement.
Le Moniteur d’un sou liras
En y croyant dévotement :
Ton capitaine honoreras,
La cantinière mêmement.
Peut-être la croix recevras,
À ton immense épatement.
Enfin gras et ... casqué, mourras,
Quelle noce à l’enterrement !
À cette époque, les compagnies de pompiers des villes
possédaient, comme l’armée, des cantinières au pimpant uniforme et au petit
baril tricolore.
C’est à partir du règne de Louis-Philippe que nous voyons,
dans maintes campagnes, les premiers éléments de secours contre l’incendie. À Boisville-la-Saint-Père,
la première pompe fut achetée en 1847 ; la seconde fut acquise en 1869.
Cette dernière était manœuvrée par douze hommes, lançait l’eau à 35 mètres
de distance et donnait 350 litres à la minute ; elle coûta 751 francs.
Elle était transportée sur les lieux du sinistre par le cafetier du village
moyennant 8 francs par course.
L’uniforme était composé d’une blouse bleue, d’un pantalon
gris, d’un bonnet de police, ceinturon et casque, le casque légendaire,
aujourd’hui orgueil de maints musées de province. En 1869, la garde
d’artillerie du Mont-Valérien avait envoyé à ces braves gens vingt-quatre
sabres, qui furent peut-être « le plus beau jour de leur vie » ...
Les pompiers de Boisville touchaient, en 1877, une somme de
200 francs par an ; elle leur était remise à l’issue du banquet de la
Sainte-Barbe, cette sainte étant — avec sainte Agathe en Alsace
— leur vénérée patronne.
Roger VAULTIER.
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