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Hôtes de marais

S’il est un terrain de chasse où la diversité du gibier puisse combler d’aise le chasseur, c’est bien le marais. La plaine est le territoire du perdreau, avec, parfois, quelque lièvre ; le bois, celui du lapin, le faisan n’étant point gibier de petit chasseur, mais seulement l’apanage des chasses privées. On y trouve bien, dans l’une la caille, dans l’autre la bécasse ; mais ce sont là des oiseaux passagers et dont on ne jouit, en général, pas longtemps. La chasse en plaine et au bois est donc relativement monotone quant au gibier tiré. Au marais, par contre, nous trouvons une variété infinie d’oiseaux, depuis les plus petits comme la bécassine sourde, jusqu’aux plus gros comme l’oie sauvage. Entre ces deux extrêmes, toute une gamme de longs becs et de longs cous vient donner un attrait particulier à une chasse, plus pénible que toute autre, certes, mais combien plus variée et émotionnante.

Passons donc un peu en revue tous ces hôtes des lieux mouillés et des végétations aquatiques où ils savent si bien se cacher. Notons en passant que si la plupart sont classés, comme toute la sauvagine, parmi les oiseaux migrateurs, un grand nombre est, cependant, semi-sédentaire et qu’on en trouve durant toute la saison de la chasse, c’est-à-dire de l’ouverture de juillet ou d’août jusqu’à fin mars. Certes, certaines époques de l’automne et du printemps en voient une plus grande affluence, puisque la migration s’établit en deux grands courants annuels ; mais on trouve toujours au marais râles, bécassines, sarcelles, canards, vanneaux, pluviers, courlis, poules d’eau, foulques et tant d’autres sur lesquels je passerai puisque indignes de la casserole ou de la broche, ils ne sont pas dignes, non plus, du nom de gibier.

Commençons par le râle : marouette et râle commun. Le râle marouette, à peine gros comme une grive, mais au corps plus allongé et aplati, est le plus petit des deux. D’un brun verdâtre foncé, presque noir, tacheté de gris, haut sur pattes comme tous les oiseaux coureurs, c’est un petit malin que vous ne lèverez pas comme vous voudrez, ou plutôt que votre chien ne lèvera pas comme il voudra. Car vous pouvez m’en croire, ce n’est pas vous qui serez assez fort pour le mettre sur l’aile ; il se rit de vos bottes comme de sa première plume. Autant vaudrait essayer de vouloir faire envoler un rat. Mais tout de même, s’il a votre toutou à ses trousses et si ce dernier a du nez et de l’ardeur, il finira bien, pas toujours pourtant, par se décider, quand il aura assez de la poursuite, à surgir d’une touffe de joncs et à faire la vingtaine de mètres qui le mènera jusqu’au fossé prochain ou à la première grande touffe de roseaux qu’il trouvera. À moins que votre plomb ne l’arrête en route ; car un coup de dix en aura facilement raison. C’est une cible immanquable puisque, vous partant en général de très près, l’oiseau file droit et sans trop de rapidité. Son cousin, au bec rouge, a les mêmes mœurs et la même facilité de se faufiler, grâce à son corps aplati, comme l’ont tous les rallidés, au travers de la végétation serrée qui est celle du marais. Il est plus grand que lui, presque le double, a un long bec en grande partie rouge, un plumage brun sur le dos et gris cendré sur le poitrail et l’abdomen, et de longues pattes verdâtres. C’est le même coureur que l’autre et qui fera tours, demi-tours, retours en arrière, quelquefois passant sous le chien ou entre vos pieds avant de s’offrir à votre adresse. Il est des périodes de passage où l’on peut vraiment s’amuser si l’on a un bon chien, de nez et tenace. Un cocker, grouillant, intrépide, et qui ne lui laisse aucun repos, est le chien idéal pour ce genre de chasse. Petit gibier bien sûr ; mais quand vous avez dans votre filet, les jours de chance, une demi-douzaine de râles, quelquefois davantage, vous n’avez pas perdu votre temps ; car vous vous êtes bien amusé et, en outre, rapporterez une bonne brochette ou un succulent salmis. Ce qui, avouez-le, ne gâte rien.

Je ne parlerai que pour mémoire du râle des genêts, le « roi de cailles » qui, quoique de la même famille, se trouve plutôt en terrain sec qu’au marais bien qu’il s’en trouve en ce dernier lieu et qu’il ait même été estimé gibier d’eau par certaines décisions de justice prises à la suite de poursuites. Ce qui prouve bien qu’on le tue régulièrement au marais. J’avoue que, comme goût, il dépasse de beaucoup ses deux congénères et c’est toujours avec plaisir que je le mets dans mon carnier, car il n’est pas, en général, très abondant et sa rencontre fortuite étant toujours une heureuse surprise.

Après les râles, la poule d’eau. Pourquoi la poule d’eau, puisque, avant elle, par rang de taille, nous trouvons d’autres oiseaux plus petits ? Parce qu’on peut, elle aussi, par ses formes, ses allures, ses mœurs, la classer parmi la famille des râles. D’un plumage brun sur le dos et gris au poitrail, bec verdâtre avec parfois un peu de jaune à l’extrémité et à la naissance, une plaque qui, chez le mâle, au printemps, devient d’un beau rouge, elle a de longues pattes vertes, baguées de clair au genou et dont les longs doigts se terminent par des ongles longs et très effilés. Elle court et se faufile à la perfection, comme ses petits cousins les râles ; elle nage et plonge comme un canard, bien que ses pieds ne soient nullement palmés, et fait sous l’eau des trajets de plusieurs mètres pour aller surgir brusquement un peu plus loin. Très difficile à lever, elle aussi, elle ruse devant le chien, commettant quelquefois l’imprudence de se laisser prendre bêtement tout en se croyant en sûreté. Combien de fois mon chien m’en a-t-il, ainsi, rapporté, toutes vivantes. J’en ai même pris une, un jour, à la main, tandis que, filant en plongée devant le chien, elle était venue s’immobiliser entre mes pieds. De la grosseur d’un pigeon, mais le corps aplati, elle aussi constitue un excellent rôti dont je me suis, maintes et maintes fois, délecté en famille. Et, pour terminer la série, voici à présent la foulque, celle qu’on appelle macreuse dans le Midi et, ailleurs, blérie, judelle, morelle et autres noms locaux. C’est elle, plutôt un oiseau d’étang que de marais. Vêtue de noir, plaque blanche sur le front, grosse comme un grand corbeau, haute sur pattes, c’est un oiseau farouche et dur à tuer. Ses pieds ne sont pas palmés, mais les doigts portent des membranes latérales semi-circulaires qui lui permettent de nager très rapidement. Elle vit sur les étangs en troupes souvent très nombreuses et sont quelquefois rassemblées par centaines, ce qui permet, lors des battues dont les chasseurs méridionaux sont très férus, d’en faire de véritables hécatombes au cours desquelles il s’en tue quelquefois plusieurs milliers. Comme rôti, je ne vous la recommande pas ; tout au plus pourrez-vous l’accommoder en salmis : mais tant vaut la sauce, dit le proverbe, tant vaut le poisson. Ainsi, peut-être, la trouverez-vous mangeable.

Voilà pour les oiseaux coureurs. Et nous voici, à présent, au gibier de prédilection pour le chasseur de sauvagine : aux canards et à leurs congénères. Ici, la variété est encore plus grande. De la sarcelle d’hiver, qui est un canard, le plus petit de tous, au colvert, nous trouvons toute une gamme de becs plats qui met une diversité attrayante dans les tableaux de chasse. Sarcelle d’hiver, à la jolie livrée chatoyante ; sarcelle d’été un peu plus grosse qu’elle, mais plus modestement vêtue ; canard milouin, au cou brun et au corps trapu ; souchet aux belles couleurs et au bec bizarrement étalé en spatule ; tadorne, moins commun, mais combien séduisant dans ses atours et auquel on pourrait décerner le premier prix d’élégance ; pilet à longue queue, vêtu d’un joli gris ; morillon au casque en bataille, plus commun, lui, sur les marais maritimes que sur ceux de l’intérieur ; enfin colvert, le roi des canards, car aucun ne met autant de joie au cœur du chasseur que ce bel oiseau sauvage, vêtu, lui aussi, de pierreries précieuses et dont la chute au milieu de la mare, ou sur le sol mou du marais, retentit jusqu’au tréfonds de celui qui l’a abattu. Le canard est certes, pour le petit chasseur, le roi des gibiers ; plus que le lièvre, à mon avis du moins. Et que de difficultés dans sa chasse, que d’aléas dans sa poursuite ! Très sauvage, vêtu d’une véritable cuirasse de plumes, rapide dans son vol, supportant le plomb avec une facilité extraordinaire et, blessé, si habile à plonger et à se dissimuler dans le fouillis souvent inextricable du marais, la joie en est d’autant plus grande de l’avoir dans le carnier et de le rapporter à la maison. La chasse au canard est aussi une école d’endurance et pas un jeu de demoiselle, je vous l’assure. Mais on est bien payé de ses peines, allez, les jours de réussite.

Ce sont là les hôtes les plus communs du marais, aussi bien marais de l’intérieur que marais des bords de mer. Mais dans ces derniers on trouve encore d’autres oiseaux qui ne s’aventurent guère en terre ferme parmi lesquels les macreuses, la vraie macreuse qui est non pas un rallidé comme la foulque, mais un canard, gros oiseau noir de la taille d’un gros colvert, oies sauvages, bernaches vivant parfois en grandes troupes.

Et pour terminer cette causerie, trop brève, car le sujet est celui d’un ouvrage entier, voici les bécassines : petite sourde, pas plus grosse que l’alouette ; bécassine commune, « la petite reine du marais », ainsi qu’on l’a appelée, désespoir des débutants ... et même des vieux chasseurs, mais régal des gourmets ; bécassine double, le « rara avis », que peu de chasseurs peuvent s’enorgueillir d’avoir inscrit sur leur carnet de chasse ; voici les vanneaux huppés, sauvages et élégants, grands papillons qui oscillent bizarrement quand ils se laissent aller au gré du vent en poussant leur sifflement si doux ; les pluviers dorés, vifs et agiles ; les courlis, au cri monotone et triste. Et tant d’autres que je passe, car ils ne sont pas, à proprement parler, des oiseaux de marais, mais de rivage : barges, livergins, hirondelles de mer, avocettes, bécasseaux, etc., etc. Et les hérons, pourprés et cendrés, au bec dangereux ; les butors au cri bizarre que j’ai pris, la première fois que je j’ai entendu, un soir de passée en Camargue, pour le meuglement lointain d’un taureau ; les blongios, petits hérons miniatures, toujours solitaires et rares à apercevoir ; et les grèbes et les harles. Je n’en finirais pas, vous dis-je.

Alors, si un jour, en fin de saison, et même bien avant, fatigué de la plaine où vous ne rencontrerez plus rien à tirer, ou du bois où le lapin commence à vous paraître aussi monotone que son civet sur la table, vous avez l’occasion d’aller barboter au marais, croyez-moi, vous ne serez pas déçu. Qui en a goûté ne s’en peut plus passer. Surtout que, de surcroît, le cadre en vaut la peine. Car il enchantera vos yeux émerveillés comme il a enchanté les miens au cours de longues années qui ne reviendront plus.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 531