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Repeuplement en montagne

Question urgente à solutionner, celle du repeuplement de nos chasses de montagne. Essayons d’en fixer les grandes lignes, j’insiste tout d’abord sur la nécessité d’un gardiennage sérieux et d’un piégeage constant. Ces deux conditions essentielles sont loin, je le crains, d’être partout observées. Il appartient aux organisations cynégétiques régionales d’y veiller et de consentir les sacrifices financiers qui ne peuvent généralement pas rester à l’unique charge des groupements locaux. Il va de soi que dans les réserves, nationales ou autres, cette double action des gardes sera portée au maximum d’efficacité. Là encore, je crains que nous ne soyons loin de l’optimum, faute d’un personnel assez nombreux.

Supposons que s’améliorent promptement ces conditions de succès. Je le souhaite et j’y crois. Et voyons ce qu’il peut advenir du repeuplement en gibier à plumes d’une part, en gros gibier d’autre part.

Grands et petits tétras, gelinottes, bartavelles constituent notre avifaune montagnarde. J’omets à dessein la perdrix rouge, qui peut voisiner avec la bartavelle, la perdrix grise de montagne, habituée des hauts sommets, enfin le lagopède, très localisé à la limite supérieure de la végétation arbustive. Je signale seulement la réussite en basse montagne, dans certaines vallées des Alpes, comme celle d’Oisans, du faisan, sur des terres bien cultivées, entrecoupées de bois et broussailles, de ravinements torrentiels, avec du sable, de l’eau, beaucoup d’insectes et de sauterelles, donc en un milieu très favorable. Essais méritoires, tentés, je crois, de 1927 à 1938, et qui valent d’être poursuivis.

J’abandonne la gelinotte malgré mon faible pour ce gibier exquis, si agréable à soupeser avant la mise dans le carnier. Trop instable, trop fantasque cette vagabonde, pour un repeuplement méthodique. Si nous voulons maintenir la gelinotte en son habitat normal, des Ardennes à la Lorraine, à la Franche-Comté, au Bugey, enfin aux Alpes vertes, soyons impitoyables pour les colleteurs, les affûteurs à l’appeau, et détruisons avec acharnement les renards, martes, herminettes, chats-harets, les rapaces et autres brigands de l’air et des bois. Songez qu’en certaines montagnes les fauves sont si bien implantés que leurs allées et venues au pied des corniches tracent une véritable piste, « le sentier du sauvage », comme l’appellent parfois nos bûcherons. Alors, retroussons nos manches, piégeons et surveillons.

Même genre de protection pour la bartavelle, dont il serait toutefois intéressant d’essayer quelques lâchers d’oiseaux bagués dans les rebords montagneux à l’est du Massif central, en choisissant des zones dont le sol et l’exposition correspondraient au terrain que ce bel oiseau fréquente dans les Alpes. Je ne serais pas éloigné de croire, d’après certains documents, que de telles introductions aient été tentées en Auvergne.

L’Auvergne, mais en 1835, c’était une des stations naturelles du grand coq, dans les futaies résineuses du lac Pavin, au sol garni de myrtilles, les « bleuets » du Puy-de-Dôme. La Margeride, entre Saint-Flour et le Gévaudan, se prêterait aussi à son introduction. Quant au petit coq, au lyrure, il s’était bien acclimaté jadis sur les sommets du Donon, y voisinant avec le grand tétras. Je ne trouve pas avantage à cette promiscuité dans les Vosges, patrie du grand coq, dont, au contraire, je souhaiterais, en nos Alpes, l’acclimatation. Je crois que celle-ci peut réussir à proximité des réserves suisses, ne serait-ce que par rayonnement. Et ce terme nous mène au cœur du problème pour le grand gibier : chamois et isards, bouquetins, chevreuils et cerfs.

Là, nous disposons d’un atout sérieux : les réserves, pourvu qu’elles soient adossées aux réserves de nos voisins suisses, italiens, espagnols. C’est le cas pour Néouvielle, en Hautes-Pyrénées, au nord du Mont Perdu, face à la réserve ibérique d’Arazas, dernier refuge des bouquetins des Pyrénées, confinés en une gorge de 25 kilomètres, dont l’unique sortie au sud était facile à verrouiller.

Ce serait aussi le fait d’une réserve à bouquetins dont le Dr Couturier avait lancé l’idée : cette réserve toucherait, entre Tarentaise et Maurienne, au parc transalpin du Grand Paradis.

Deux exemples récents peuvent appuyer ce principe : à Jougne, dans l’extrémité sud-est de l’arrondissement de Pontarlier, 6 chamois, venant de Suisse, se sont cantonnés vers 1939 dans les éboulis pierreux situés au-dessous du Mont d’Or (ne pas confondre avec le Mont-Dore auvergnat), à 1.200 mètres d’altitude ; 2 furent tués à la carabine par les occupants à l’automne 1942. Il en restait 4 en juillet 1943, dont 2 ont déboulé devant un de mes correspondants. Jamais je n’avais entendu parler de chamois dans le Jura français, où j’ai cependant frotté mes guêtres pendant trois ans et où je conserve de fidèles amis. Même région, forêt de la Joux (Jura) : les chevreuils, rares avant 1938, ont augmenté brusquement comme nombre à la suite de chasses répétées faites en Suisse sur des animaux menacés de la fièvre aphteuse ; ces chevreuils, parfaitement sains, se sont fixés dans notre grande sapinière.

Et les cerfs du Cagire, dans nos Pyrénées centrales, acclimatés depuis 1907, grâce à une bonne protection en un vaste massif montagneux ...

Je ne dis pas que, partout, nous aurions le même succès. Il serait indiqué cependant de reprendre en Chartreuse, dans des chasses à chamois bien surveillées, les tentatives d’introduction du chevreuil, opérées avec du gibier de Sologne et manquées de ce fait, alors que des chevreuils de Suisse ou du Tyrol avaient chance de faire souche, tout comme les chevreuils de Haute-Savoie et ceux de la réserve des Bauges.

En Chartreuse, je ne parle pas de l’essai malheureux d’acclimatation des rennes de 1927. Le climat dauphinois, les pâturages, les lichens, n’y sont pas les mêmes qu’en Laponie : la période glaciaire est révolue dans nos Alpes.

Mais pourquoi ne tenterait-on pas l’introduction de cerf sika ? Voilà bien un gibier de forêt, ayant fait ses preuves en Île-de-France, où l’hiver humide et froid de l’Yveline lui convient ; il semble s’être adapté au climat lorrain dans le massif de Haye, près de Nancy. Le fort enneigement de Chartreuse pourrait être pallié par des abris, des distributions régulières de fourrage. Évidemment, il neige plus en Chartreuse que sur les monts volcaniques du Japon, pays d’origine du sika. Je crois néanmoins utile d’insister pour qu’un tel essai complète ceux opérés en Haute-Provence, en Lorraine et dans divers parcs de modeste surface.

Repeuplons nos chasses de montagne. Prenons de la peine et surtout ne nous laissons pas rebuter par les difficultés qui sont inévitables, non pas invincibles.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 532