En matière de chasse, comme en toutes matières, il est bien
peu de questions de droit qui n’aient été étudiées et résolues par les juristes
et les tribunaux, en sorte que toute personne un peu exercée au maniement des
ouvrages de droit et des répertoires de jurisprudence devrait être à même de
donner, en toutes circonstances et à l’occasion de tout litige, la solution
certaine. Comment s’expliquer, dans ces conditions, nous demandait-on
récemment, qu’il y ait toujours des procès ? Est-ce par ignorance ou par
esprit de chicane que les plaideurs portent devant les tribunaux des litiges
dont on doit pouvoir prévoir à coup sûr la solution ! Pourquoi aller
demander aux juges de consacrer un principe qu’un juriste éclairé pourra vous
certifier faux, ou s’opposer à une demande que le même juriste pourra vous
certifier être bien fondée ?
Les observations qui précèdent ne sont pas absolument
justes ; elles ne tiennent pas compte de ce fait que, à l’occasion des
questions même les plus classiques et les moins discutables, il peut toujours
s’élever des difficultés nouvelles. Un principe, même parfaitement établi,
peut, dans certaines de ses applications, donner naissance à une difficulté
dont il est malaisé de donner en toute certitude la solution. En fait, nous
l’avons bien souvent constaté, il est fort peu de sujets, en matière de droit,
qu’il s’agisse de chasse ou de questions d’un tout autre ordre, dont on puisse
dire qu’ils sont épuisés.
Un exemple, tiré de notre expérience personnelle et
relativement récente, va nous permettre d’illustrer les idées que nous venons
d’exprimer.
S’il est un point sur lequel il semble qu’aucune discussion
ne soit plus possible, c’est bien la règle d’après laquelle la personne qui
ramasse un gibier mort ou mortellement blessé et se l’approprie ne fait pas un
acte de chasse et ne peut, en aucune circonstance, être considérée comme ayant
par cela commis un délit de chasse. Cela n’empêche qu’il puisse encore s’élever
des difficultés parfois embarrassantes à l’occasion de ce fait. Nous avons été amené
à le constater lors d’un procès engagé dans les circonstances suivantes :
Un chasseur ayant tiré de sa propriété une perdrix volant
au-dessus de cette propriété, et qui était allée tomber à quelque distance sur
une propriété voisine, avait laissé son chien aller sur cette propriété
ramasser et rapporter la perdrix. Le propriétaire voisin prétendit que la
perdrix n’était que légèrement blessée et qu’en laissant son chien la
poursuivre et la rapporter le propriétaire du chien avait fait acte de chasse
sur sa propriété ; il le fit donc citer devant le tribunal pour délit de
chasse sur le terrain d’autrui. Le prévenu soutenait, au contraire, que la
perdrix était morte ou mortellement blessée lorsque le chien l’avait ramassée.
Le litige se ramenait donc à cette seule question de fait : la perdrix
était-elle encore en état d’échapper au chasseur si le chien n’était pas
intervenu ? Devant le tribunal, aucune preuve n’était rapportée de part ni
d’autre, aucun témoin n’étant présent lorsque le fait s’était produit ; le
tribunal se trouvait donc en présence de deux affirmations contradictoires,
entre lesquelles il fallait choisir, alors que rien ne lui permettait de donner
la préférence à l’une ; cependant il fallait juger.
Le tribunal a acquitté le prévenu pour le motif
suivant : la plaignant, imputant un délit à son adversaire, devait, pour
obtenir condamnation, rapporter la preuve que le délit avait bien été
commis ; il devait donc prouver que le chien avait poursuivi sur sa
propriété un gibier encore en état de s’échapper ; à défaut par lui de
rapporter cette preuve, il ne pouvait être fait droit à sa demande. Sans doute,
cette solution paraît juridique. Il nous semble cependant que le tribunal
aurait tout aussi bien pu dire que le fait du passage du chien sur la propriété
voisine et de la capture sur cette propriété d’un gibier constituait un fait de
chasse accompli sur le terrain d’autrui ; que, pour échapper à la
condamnation, le prévenu devait faire la preuve que le gibier avait été tué ou
mortellement blessé ; qu’il ne rapportait pas cette preuve, et, par voie
de conséquence, le condamner.
Ceci montre qu’en bien des cas un juriste, même exercé, peut
encore éprouver une sérieuse hésitation à décider quelle sera la solution d’un
procès.
Nous estimons cependant que le tribunal a eu raison
d’acquitter le prévenu en raison de ce qu’il existait un doute, et qu’il est de
principe que le doute doit profiter à l’accusé.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
|