L’étude sur la migration des oiseaux se résume en réalité en
une longue série d’observations souvent notées dans le même sens, d’expériences
souvent répétées qui ne donnent pas toujours des résultats absolus. Toutes ces
observations, toutes ces expériences sont classées, méthodiquement étudiées,
soudées par le savant, qui, par synthèse, crée une théorie générale ou spéciale
à certaines espèces. Nos savants ont beaucoup travaillé et, après tant d’autres
aussi sincères, je lis le beau livre d’Aubert sur cette passionnante question.
« La question de migration est tellement complexe, il y a tant
d’exceptions à des règles générales ou particulières à envisager, que forcément
on ne se trouve pas toujours du même avis, sur quelques points, avec d’autres
observateurs ». Mon ami Joseph Oberthür, dans son splendide ouvrage :
L’activité migratoire, a écrit : « À vrai dire, dans un sujet
aussi vaste que celui de l’activité migratoire et qu’environne tant de mystère,
il est sans doute prématuré de parler de conclusions, après avoir placé
quelques jalons sur une route d’un tracé encore incertain, un signalement, des
points que les études et recherches ultérieures devront approfondir pour
atteindre les horizons lointains que nous commençons à deviner dans la
brume ». Ces maîtres ont résumé la question en ces deux livres bourrés
d’observations scrupuleusement exactes, car c’est l’élégance du savant que de
savoir ne grouper dans ses écrits que des faits contrôlés. Il y a au début de
l’un de ces livres et à la fin de l’autre les lignes que vous venez de lire et
qui, à mon sens, sont la raison même. L’étude de la migration est une science
qui, depuis bien longtemps, a passionné les hommes. Guillaume de Serre écrivait
en 1848 un livre sur la migration bien intéressant à certains points de vue.
Bien d’autres savants échafaudaient de nouvelles théories : de Brévans (1878),
Coward (1912), le Dr Cathelin (1920),Thienemann (1928),
sans oublier Aubert et Oberthür bien entendu. Les journaux de chasse, bien
souvent, donnent d’intéressantes études sur la migration ; l’organe du Saint-Hubert-Club
de France, Le Chasseur Français, la Revue Nationale de la Chasse,
et bien d’autres encore. De nouvelles théories générales sur la migration ont
été émises ; elles sont controversées par un nouvel auteur, en dehors des
observations patentes dont l’observateur constate simplement le fait sans
l’expliquer à fond. Ces masses de remarques serviront, il est certain,
lorsqu’on aura découvert les instincts des oiseaux et l’explication de leur
migration, mais ce jour n’est pas pour demain, tant est varié le comportement
des oiseaux. Laissons-nous aller à conter quelques histoires sur le sujet qui
nous intéresse. On peut trouver la plupart des causes de la migration dans ces
phénomènes variés : courants équinoxiaux, électricité et magnétisme,
influence solaire, lumière, atavisme, hérédité, nourriture, température. Peut-être
est-ce la combinaison de ces phénomènes variés qui peut apporter la vérité.
Nous connaissons dès maintenant les grandes voies
migratrices : Angleterre, Pologne, pays Scandinaves, Russie et Nord de
l’Allemagne. Le gibier est lancé, quelle voie va-t-il suivre ? Les côtes,
les baies, les fleuves, les grandes vallées, les grandes forêts indiquent aux
oiseaux leurs voies de migrations, qui sont à peu de chose près invariables
chaque année suivant les espèces. Il y a cependant des considérations de bois
brûlés ou de coupes de bois et de sécheresse qui influent sur l’itinéraire du
voyage.
Nous constatons que la vitesse de la migration varie avec
chaque espèce.
L’influence de la température élevée ralentit la vitesse,
ainsi que le nombre de kilomètres parcourus en une journée. Des oiseaux qui, le
soir, viennent se poser après six ou huit heures de vol sont des oiseaux
fatigués et, par conséquent, lents. Les oiseaux sont en route. Rien que pour la
France, il y a bien des fleuves, bien des vallées, bien des bois à survoler.
« Il faut voir dans cette constance des routes suivies une question de
nourriture, des courants indicateurs, des vents sustentateurs, des contrées
favorisantes » (Dr Cathelin). En cette dernière année
1948, au mois d’octobre, la migration des palombes s’est effectuée pour la plus
grande part dans le Lot-et-Garonne, dont les passages ont été les plus forts
que j’aie vus. Les forêts brûlées de Landes ont imposé aux palombes des voies
nouvelles. La période d’extrême sécheresse a incité les pigeons colombins, dont
le nombre paraît avoir augmenté, à suivre l’eau des vallées, contrée
favorisante. C’est ce qui me fait dire que, certaines années, par suite de
considérations de nourriture ou de courants constants, certains coins sont
favorisés par rapport à d’autres, et l’on s’imagine que les palombes ont
augmenté de nombre alors que tout le passage a choisi votre contrée pour
migrer. Il en fut de même il y a longtemps, alors que la plupart des vols de
palombes avaient suivi une année la côte pour voyager, sans toutefois
s’éloigner largement de leur veine de migration.
Pendant la migration, j’ai constaté le plus souvent que les
oiseaux, en général, maintiennent leur allure normale (six à huit heures de vol
par jour). Cependant, ce que les paloumayres appellent le « vol de
midi » arrive généralement par la chaleur, fatigué et lent. J’ai, d’autre
part, remarqué que, vers la fin du passage, certains vols de palombes passaient
haut et à vive allure, comme si elles étaient pressées d’arriver au terme de
leur voyage. Souvent les vols se divisent à l’embouchure d’une rivière et de
son affluent. Dans le canal latéral à la Garonne se jette un petit ruisseau
dont les rives sont plantées de beaux chênes. À cet endroit, j’ai souvent
remarqué que les vols de palombes se scindaient en deux. Les uns suivaient le
canal, les autres le petit ruisseau bordé de chênes. Au cours de leur
migration, les vols se divisent souvent par suite de pose, de fatigue, etc.
Nous pouvons dire que, normalement, la migration ne dépasse
pas la hauteur de 1.000 mètres et, à la chasse, que la plupart des vols
passent au-dessus des bois et des mares à des hauteurs de 30 à 100 mètres.
Par vent debout, les vols rasent les arbres et les mares. Sans doute ai-je vu
parfois dans ma vie de chasseur des bandes d’oiseaux compactes dont la hauteur
pouvait être de 800 à 1.000 mètres. Ils apparaissaient comme une masse
confuse. Il faut se souvenir que la tour Eiffel a 300 mètres de haut, et
l’on se trompe bien souvent sur la hauteur du vol des oiseaux. Or, à 300 mètres,
un pigeon paraît bien petit. Des observations avec les plus grandissantes
jumelles, d’autres en avion ont signalé des vanneaux et des corneilles à 700 mètres,
des étourneaux et des mouettes à 1.000 mètres, des oies, des cigognes à
1.500 mètres, des buses, des grives, et des linottes de 2.000 à 3.000 mètres,
des faucons, des guignettes à 4.000 mètres, des bécasseaux, des grues, des
merles, des piverts à 5.000 mètres. Mais ces derniers, dont on a contrôlé
la hauteur, s’étaient élevés pour traverser une montagne ou la mer, car il faut
voir de loin et de haut, avant la traversée, le contour des côtes. Pendant la
guerre de 1914-1918, des aviateurs ont déclaré que la grosse partie de la
migration a lieu à 1.000 mètres.
J’ai écrit dans mon livre Chasses de Brière :
« Par temps gros et bas, avec des vents de sud-est, nous n’avons pas
d’observateurs dans les hautes sphères. Qui nous dit, alors que d’un œil lassé
nous fixons l’entrée de la mare dont rien ne débouche, qui nous dit que, bien
au-dessus du plafond de nuages gris, dans une atmosphère de clarté, entraînées
par de hauts courants qui les dominent, des hordes de canards ne s’en vont pas,
le bec tendu irrésistiblement ? » Et je me demande si, certains
jours, cette haute passée n’est pas une réalité.
La plus grande partie des oiseaux migrateurs exécutent la
nuit leur migration : en particulier les canards. Aujourd’hui, le marais
est vide. Le lendemain, une heure avant le jour, nous gagnons notre hutte. Ce
ne sont partout que chants d’appel, canards, siffleurs, sarcelles, etc. Comment
ont-ils réussi à voir par nuit noire nos mares et nos roseaux ? Là encore,
mystère ...
Le baguage des oiseaux migrateurs a beaucoup servi à établir
les voies migratrices. C’est un jeune homme, Van der Heiden Boack, qui fut le
premier en Hollande à « marquer », vers 1830, des oiseaux migrateurs
et à les lâcher. Son adresse était sur la bague. Plus tard, à Heligoland, en
Allemagne, la station ornithologique de cette ville arrivait à baguer 50.000
oiseaux. L’un après l’autre, le Danemark, la Finlande, la France, la Hongrie,
les Iles britanniques, l’Italie, la Russie, la Suède, la Suisse et les
États-Unis ont pratiqué le baguage, ce dernier pays sur de jeunes oiseaux en
nombre très important, plusieurs centaines de mille.
Je signale les oiseaux dont les migrations ont été
relevées : un canard pilet, le 16 septembre 1914, dans l’Utah, U. S. A.,
n’a été repris que douze ans après ; un héron cendré, bagué dans le
Pas-de-Calais en mai 1933, est repris aux îles du Cap Vert le 10 octobre
1933 : il avait parcouru 5.000 kilomètres.
Quelle est la moyenne des oiseaux bagués retrouvés et
parvenus dans les centres de baguage ? 3 p. 100. Ce n’est pas énorme.
Mais il faut songer que, dans le nombre très important des oiseaux bagués
lâchés, il y a beaucoup de petits oiseaux qu’on ne tire pas, et dont la taille
en cas d’accident peut rendre l’oiseau difficile à rechercher.
C’est par un conseil que je termine ma causerie. Si vous
tuez un oiseau bagué ou si, sur votre terrain de chasse, vous découvrez un
oiseau mort bagué, empressez-vous de l’envoyer, avec votre adresse, au centre
de baguage indiqué sur la bague ou, mieux, au Chasseur Français, qui fera
suivre. N’oubliez pas de mentionner les conditions de sa capture, en précisant
l’endroit et la date. Ce faisant, vous aurez apporté une petite pierre à la
grande œuvre de la migration des oiseaux. N’est-il pas intéressant de connaître
l’état civil de l’oiseau que vous avez tué ?
À bâtons rompus, nous avons passé en revue quelques aspects
de la migration. Depuis cent ans, l’observation en ce domaine a apporté bien
des éléments intéressants. Mais il reste pour cette science de la migration
bien du chemin à parcourir avant d’avoir soulevé le voile de l’instinct des
oiseaux, dont les théories, appréciées par certains savants, sont encore, dans
le détail, bien mystérieuses.
Jean DE WITT.
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