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La loutre et les appâts

Ce titre fera sans doute sourire nombre de piégeurs, mais, dans le domaine du piégeage comme dans bien d’autres, il est toujours intéressant de connaître les idées ou les procédés employés pour obtenir un même résultat.

À cette intention, j’ai cru intéressant de rassembler ici les opinions étrangères sur ce sujet, ces opinions sont uniquement celles de spécialistes dont la plupart sont des praticiens ou, mieux, ont été des praticiens. Ceci non pour influencer les vieux piégeurs qui ont leurs méthodes bien arrêtées, et qui, à juste titre, n’éprouvent pas le besoin d’en changer.

Il est utile, de plus, de tenir compte du fait que les opinions émises s’appliquent à des animaux vivant très loin hors de France, dans des conditions certes très différentes de celles de nos loutres indigènes. Ceci pourrait peut-être expliquer les cas de réussite en ces pays où le climat d’hiver est de beaucoup plus rude et plus long qu’en France. Cette famine prolongée peut évidemment pousser les animaux à donner aux appâts beaucoup mieux que chez nous.

Parmi les auteurs américains, j’ai trouvé :

KREPS, dans Science of Trapping, qui indique l’emploi de jardinet appâté de poisson de préférence ou de tête de lapin fraîche.

CONNER, dans The art of Trapping, parle de jardinet creusé en trou de rive et appâté de poisson.

THOMPSON, dans The Wilderness Trapper, parle de jardinet appâté de poisson et monté sur la berge ou sur la glace.

LYNCH, dans Trails to successful Trapping, signale avoir capturé des loutres au jardinet appâté de viande d’animaux (vison, castor, rat musqué).

GRIGG, dans Auto Traplines, place un poisson mort à 15 centimètres sous l’eau et piège en batterie autour dans les petits courants.

WALTER ARNOLD, dans Professionnal Trapping, signale la capture facile de loutres en jardinets de rochers, appâtés de poisson frais.

BILL HOFMANN, dans Otter Trapping, signale lui aussi le jardinet en creux de rive appâté de poisson.

Je m’empresse d’ajouter que tous ces praticiens ne préconisent pas uniquement cette méthode, mais qu’ils la signalent parmi les méthodes qu’ils emploient.

Parmi les auteurs allemands, j’ai relevé beaucoup moins d’amateurs du jardinet et des appâts.

REGENER, dans Fanggeheimnis, dit, à juste titre, que la loutre ne s’intéresse pas aux appâts morts qu’elle trouve.

SIMON, dans Anleitung für Jagd und Fang, n’a jamais eu de résultats avec les appâts offerts à la loutre.

A. GILL, dans Anleitung zum Fangen des Raubzeuges, indique que les résultats de l’emploi des appâts sont très aléatoires.

O. MAU, dans Anleitung zum Fangen des Fuchs und andere, tient les appâts et odeurs pour superflus et nuisibles, la loutre ne prenant que des proies vivantes : poissons, écrevisses.

DIETRICH DEM WINCKELL n’est pas partisan des appâts ou odeurs, mais donne quand même de nombreuses formules, qui furent par la suite traduites littéralement en français par un auteur du siècle passé qui eut son petit effet à cette époque.

RAESFELD, dans Das deutsche Weidwerk, ne donne comme bonne méthode que le piégeage aux montées et descentes sans appâts ni odeurs.

DIEZELS, dans Niederjagd, est le seul à signaler que, carpes, truites, écrevisses formant la base de sa nourriture, ces poissons constituent de judicieux appâts, mais il ne parle pas de jardinet ou autre procédé.

Enfin, le dernier en date, USINGER, dans Unser heimisches Raubwild, ouvrage des plus sérieux qui dénonce le praticien, ne s’attache qu’aux procédés de capture au passage sans parler d’appâts.

Enfin, dans la littérature française, des praticiens connus depuis environ cent ans :

DE LA RUE, dans Les Animaux nuisibles, après avoir vanté les bienfaits d’une recette d’outre-Rhin formant un appât irrésistible lui ayant rapporté des captures, finit par conseiller de piéger au passage !

LEVITRE, grand loutrier, dans La Loutre, donne le schéma d’un jardinet en rive avec attraction par les poissons vivants qui y viennent.

TOURNEMINE, dans Détruisons Fauves et Rapaces, ne parle nullement d’appâts.

PHILIPON, dans Le Piégeage moderne, signale que la loutre ne revient qu’aux proies qu’elle a prises elle-même, il parle néanmoins d’un poisson accroché après une ligne et encadré de deux pièges.

Que déduire de tout ceci ?

Il semble qu’en Amérique et Canada la loutre, sans doute poussés par la famine persistante due à la glace qui bloque les rivières pendant de longs mois, donne aux appâts et jardinets, le poisson étant le principal de ces appâts. Par contre, en France et en Allemagne, on est en général opposé à l’emploi d’appâts et de jardinets.

Personnellement, en dehors de l’emploi d’une nasse spéciale appâtée de poissons vivants, et ceci particulièrement quand la loutre a pris l’habitude de défoncer les engins de pêche, je ne suis nullement partisan de l’édification de jardinets, pas plus que d’emploi d’appâts.

Bien que j’ai constaté de visu que la loutre s’attaque parfois à des proies différentes du poisson, je considère que ce sont là des exceptions qui sont trop rares pour justifier un piégeage en jardinet avec appâts poisson ou autre. Le régime de la loutre, que j’ai étudié de près dans Les Animaux nuisibles, est, en effet, à base de poissons, anguilles, crustacés, grenouilles, mais qu’elle tue elle-même et entame ou dévore tout de suite. Je lirai avec plaisir les constatations que les lecteurs du Chasseur Français auraient pu faire sur les appâts et le piégeage en jardinet.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 537