On discute souvent d’une question qui, depuis quelques
lustres, semble diviser les chasseurs au chien d’arrêt en deux clans : la
vitesse et l’ampleur de la quête sont-elles des vertus ou des
inconvénients ?
Ainsi posée, cette question n’a pas de sens. Si par vitesse
et grande quête on entend la vraie signification de ces mots, ils s’appliquent
aux chiens anglais de grand sport, dont la quête s’étend à deux et trois cents
mètres. Les heureux dilettanti qui peuvent utiliser de tels chiens ne
peuvent évidemment le faire que sur un terrain adéquat, dans le genre des
plaines de Beauce. Leur vérité ne vaut donc pas pour les chasseurs opérant sur
terrain morcelé, couvert, accidenté. Mais si l’on vante seulement la vitesse et
l’ampleur de la quête de ceux des autres chiens, dits de chasse pratique,
s’éloignant au galop à cent ou cent cinquante mètres, pour l’opposer aux chiens
restant à distance de tir, qu’on ironise bien à tort en les taxant de sous-canonigrades,
chiens à roulettes, etc., la question se résoud à opposer deux
conceptions de la chasse pratique.
L’opposition de conception implique opposition de goûts et
différence de pratique. Il est donc vain d’en discuter, puisque chacun est le
seul juge de la façon de prendre ses plaisirs ; la vérité des uns n’est pas
celle des autres. Chacun jugeant d’après son tempérament personnel, sa façon de
chasser, son terrain et aussi son gibier (car un gibier piétard à d’autres
réactions qu’un gibier qui se lève à l’endroit où il s’est remisé) émet des
théories qui, valables pour lui, ne le sont pas pour tous les autres.
Nous avons exprimé l’opinion (1) que la tendance de la
cynophilie officielle française, par l’importance qu’elle accorde aux field-trials
de printemps (devenus pour nos continentaux une aberrante imitation des
concours d’origine anglaise), par le mépris dans lequel elle tient les
fonctions usuelles du chien d’arrêt pratique (recherche du blessé, rapport à
terre, au fourré et à l’eau) avait pour conséquence de faire évoluer le chien
d’arrêt français vers la formule unique convenant à certains chasseurs
— et principalement à des chasseurs du nord — se rapprochant de la
formule anglaise : quête rapide et étendue avec un garde ou un
porte-carnier pour retrouver et rapporter les gibiers démontés ou simplement
tombés en des couverts inaccessibles au chasseur.
La correspondance qui nous parvient souvent prouve pourtant
que le chasseur français n’accepte pas cette formule à l’unanimité. Parmi ces
lettres, nous en citerons trois qui nous paraissent résumer des dizaines d’autres :
« Je suis attentivement vos articles sur le Chasseur
Français. Que vous avez raison ! Nos pauvres continentaux ... je
me rappelle avoir chassé tout jeune avec des braques, tranquillement ;
notre bête s’inquiétait de tout, explorant tous les coins et recoins, et quel
plaisir ! maintenant, en short et en avant, tout droit, à bomber, tel
coin, tel recoin restant délaissés, et pin ! pan ! à cinquante
mètres ; désordre et c’est fini.
Tenez, j’ai trois chiennes ; U’ ..., grande
vedette et trialer, capable de battre un setter, un pointer ; comme dit
C ..., son dresseur : « Ça vibre ! » ; et
souvent, dans son brio, elle fait des bêtises ; chienne désignée pour les
épreuves de printemps : travail résumé : galop, un arrêt et ça part.
Ma T ..., que vous avez vue, explorant tout,
prudente, autant de nez que U ... ; soi-disant « tient trop les
places chaudes ! » C’est un avant-propos qu’elle nous fait ainsi pour
nous faire assister à la fin du tableau, dans un style splendide. Que c’est
joli ! Comment définir ces moments, aussi bien sur la bécasse, la caille
et le perdreau. C’est ma préférée pour la chasse.
Ué ..., type ordinaire, braconnière, coquine avec le
gibier, le retourne intelligemment ; ce n’est pas un clown, c’est une
chienne de chasse qui cherche le gibier, s’inquiète du chasseur, travaille pour
le bien du maître.
Et j’en conclu tout simplement qu’un trialer ne fera que
rarement un vrai chien de chasse pratique. »
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Nous précisons que l’auteur de cette lettre est un éleveur
sportif dans tout le sens du mot, qu’il habite le Sud-Ouest et qu’il est un de
ceux qui ont le plus présenté en field-trials au cours des deux saisons
dernières.
Une autre, de Bretagne :
« ... C’est fini du puriste que j’ai été pendant un
temps. Je suis revenu à ma conception d’autrefois, que je n’aurais jamais dû
abandonner. Les trois quarts des chasseurs au moins n’ont que faire des fields.
À quoi bon ce dressage de cirque accompagné de down, de quête croisée, que
sais-je encore ! Qui a intérêt à tout cela ? Pas le véritable
chasseur, en tout cas. Ce qu’il nous faut, ce sont des chiens qui chassent,
capables de battre pendant dix heures d’affilée une taille de cent hectares
sans baisser de pied. Tout le reste n’est que fariboles de gens qui, sur le
papier, se prétendent chasseurs et n’ont sans doute jamais arpenté d’autres
lieux que les plaines de Beauce ou de la Brie. L’intelligence et l’équilibre,
voilà les principales qualités d’un chien d’arrêt, avec cela, même si le reste (nez,
quête) n’est pas extraordinaire, on fait un chien de chasse. »
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Nous précisons que nous citons, sans prétendre faire nôtre,
le mot à mot de ces propos, dont le bon sens réside dans le fond.
Enfin, cette autre, d’un vieil éleveur et utilisateur de
chiens continentaux de Sologne :
« Vos vues sont exactes et je les partage. Le bon
sens se reconnaît toujours et nous verrons peut-être d’ici quelques années un
revirement se produire dans l’orientation de l’élevage des chiens d’arrêt. Les
amateurs de grande vitesse casseront le cou aux races qu’ils prétendent
défendre. Ceci ne veut pas dire que je sois partisan du chien trop lent. Le
difficile à obtenir est le développement de la vitesse tout en conservant les
facilités, les aptitudes au dressage, ainsi que l’équilibre du sujet. Les
épreuves de printemps sont trop artificielles. Ce sont elles qui poussent à
produire des chiens de grande vitesse. Pour la sélection de chiens pratiques,
il n’y a de vrai que les épreuves sur gibier tiré et rapporté. Je suis
intéressé par vos projets de brevets de rapport ... »
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Cette dernière lettre résume avec clarté et précision ce que
notre plume, moins concise, a exprimé dans la série d’articles ci-dessus
rappelés. On ne saurait, sans en déformer l’esprit, y voir une critique à
l’égard des races anglaises ; la destinée de celles-ci est justement cette
fonction dans laquelle on voudrait standardiser les chiens continentaux.
Laissons à ces derniers leurs aptitudes propres et leurs véritables fonctions
et, pour cela, ne cherchons pas à mettre en vedette ceux qui précisément sont
éloignés de ces fonctions.
Chiens de vitesse relative (exclus par conséquent les chiens
de grande quête anglaise), chiens sous-canonigrades (entendez, sans ironiser,
chassant à portée maximum de fusil), sont deux formules de chiens d’arrêt
pratiques qui ont toujours existé. Elles existeront toujours et à quoi bon
polémiquer sur l’intérêt de leur double existence, puisqu’elles satisfont des
besoins et des goûts différents ? La question ne doit pas se situer sur ce
terrain, mais seulement sur les moyens que l’on emploie pour faire évoluer tout
chien d’arrêt vers la formule chère aux amateurs de chiens rapides, à quête
hors du fusil, négligeant les fossés, les buissons et la recherche des blessés.
Car, chacun peut se satisfaire et, sans moyens artificiels, trouver le chien propice
à ses désirs en quelque race que ce soit. Il est des chiens anglais qui
chassent comme des braques, ils n’en sont point diminués ; il est des
chiens continentaux, et dans toutes les races, qui naissent galopeurs et
d’autres qui naissent trotteurs. S’en remettre et se limiter à cette sélection naturelle
nous paraît être la sagesse, et si les éleveurs avaient compris que leur art
devrait se borner à seulement canaliser par sélection ce que fait la nature, au
lieu de le contrer et de violenter celle-ci, on n’aurait pas à déplorer, comme
on le fait souvent, ce manque d’équilibre et d’intelligence pratique, éléments
suffisants, comme le dit notre correspondant, pour faire un chien de chasse.
Et l’on verrait alors, non pas évoluer artificiellement des
races vers une conception standardisée imposée par la théorie, mais se
maintenir des familles sélectionnées sur des facultés naturelles pour
les besoins ou les goûts de chacun.
Jean CASTAING.
(1) Le Chasseur français, nos 617 et suivants.
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