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Lanceur et pêcheur

La parenté de ces deux appellations peut, a priori, ne faire aucun doute, et, cependant, j’affirmerai qu’on peut être un excellent lanceur, tout en étant un piètre pêcheur. Le raisonnement réciproque n’est pas aussi rigoureux.

Le débutant — ou le snob — s’il n’est pas absolument animé du feu sacré, cherche, avant tout, à satisfaire son amour-propre ou à épater la galerie par son habileté, bien réduite cependant, ou à se convaincre qu’il est devenu un « as ».

Comment voulez-vous qu’il résiste au désir d’envoyer son devon à 30 ou 40 mètres, alors qu’il y a quelques jours seulement il atterrissait presque à ses pieds, quand ce n’était dans la figure du trop confiant spectateur ?

Vous ne voudriez pas qu’il prive ces promeneurs de la vue d’un superbe coup de longueur qui va les laisser bouche bée : lancer si loin avec une si petite canne, mais c’est tout simplement merveilleux !!!

Tout cela ne se peut pas, voyons : on est débutant ... ou on ne l’est pas.

Eh bien ! je vais tâcher de démolir, pour la reconstituer plus logiquement, cette fâcheuse conception du lanceur-pêcheur.

Mais je m’empresse d’ajouter qu’on peut être, en même temps, un habile lanceur et un excellent pêcheur ; j’en connais.

Tout d’abord, nous poserons un principe dont nous ne dérogerons pas : chercher la précision, sans vouloir tendre à la virtuosité ; tout est là.

Le débutant devra s’astreindre avec persévérance à manier ses engins suivant une technique rationnelle, ayant fait ses preuves et, si possible, sous les ordres d’un ami ou d’un professeur connaissant bien son affaire.

Cela peut paraître fastidieux, telle l’initiation que nous avons tous subie, au chevalet de pointage, lors de nos débuts dans la vie militaire.

Le professeur devra se montrer très ferme, sans pour cela utiliser les expressions savoureuses de l’adjudant de nos vingt ans, lors d’une erreur ou d’une faute.

Lorsque la position et la technique seront bien au point, quand il aura acquis, dans les diverses sortes de lancer en usage, une sûreté de main et de coup d’œil presque automatique, le débutant sera guidé, sur le pré, vers la précision, en utilisant un poids constant, au bout de la ligne.

Ce n’est qu’après des lancers précis, sur un but bien déterminé, qu’il lui sera permis d’allonger son tir.

Ceci bien acquis, il pourra lui-même se perfectionner dans un style qui lui convient davantage, qui lui paraît plus commode, et qu’il réussit mieux ; mais il est bon de les connaître tous.

Il pourra, dès lors, placer délicatement, à 15 ou 20 mètres, son petit devon de 5 grammes ou son vairon mort plus léger encore, entre deux rochers, sous les branches pendantes d’un arbre de la rive opposée, dans une coulée parmi les nénuphars, derrière une roche qui brise le courant et où se tient une grosse truite.

Il sera un bon lanceur, rien de plus.

Comme cela ne lui suffit pas et qu’il voudrait bien ramener un poisson, il faut lui apprendre maintenant à pêcher.

Mais laissons-le manœuvrer tout seul à sa première sortie pratique.

Hop ! le devon — ou tout autre leurre — s’envole correctement et tombe en tête du grand gouffre, sous la chute bouillonnante, bien où il faut.

À peine a-t-il touché l’eau que notre jeune ami saisit rapidement la manivelle de son moulinet et, à une allure de bolide, le ramène à ses pieds.

Déçu de n’avoir rien senti, il recommence sous l’œil narquois du professeur qui lui dit : « Si, par un heureux hasard, vous accrochez un poisson, ce sera une sardine. Croyez-vous que les grosses pièces se baladent, en surface dans cette eau profonde et qu’elles vont faire une course avec votre devon ? Non ! elles sont au fond, ou presque, et n’aiment pas lutter de vitesse avec leur proie. »

Laissez descendre votre appât le plus possible, quand l’épaisseur de l’eau est assez grande, et ne le ramenez que près du fond ; tant pis pour les accrochages.

C’est à vous de voir, de deviner même si vous ne connaissez pas la rivière. La récupération en vitesse n’est nécessaire qu’en eau mince, en descendant le courant, sur une gravière ou sur une traînée d’herbes aquatiques, presque à fleur d’eau.

Et puis, vous ramenez trop régulièrement : procédez par saccades avec des mouvements alternativement vifs et plus doux de la manivelle. Le leurre doit simuler la fuite, le déséquilibre, la fatigue d’un petit poisson qui n’est pas dans son état normal ; soyez certain que le vorace voudra profiter de cette déficience pour s’assurer plus aisément de sa victime.

Voilà pourquoi, grâce à cette récupération saccadée, la pêche au cadre est si meurtrière.

Vous pouvez arriver à un bon résultat avec de l’attention et, évidemment, beaucoup de pratique.

De légers déplacements du scion donneront au leurre une allure zigzagante du meilleur effet attractif.

Ne lancez jamais au hasard ; prenez un point de repaire sur ou dans l’eau, et s’il n’y en a pas, visez en direction d’un arbre, sur un remous, etc.

Apprenez ensuite à guider votre leurre, à le faire passer où vous voulez, dans les bons coins, le long des obstacles, dans les coulées ; ne négligez pas les bords, le vôtre surtout, s’ils sont suffisamment profonds ; ils ont souvent des « caves » abritant de beaux poissons.

Avant de retirer votre leurre, faites-lui décrire quelques mouvements désordonnés, en déplaçant votre scion en tous sens, moulinet bloqué, au doigt même.

C’est en négligeant ce petit exercice que j’ai raté ma plus belle truite au barrage de Parcey, dans la Loue.

Et maintenant, où faut-il pêcher ? Dans quelle partie de la rivière ?

La question est vite résolue si vous avez repéré préalablement quelque beau poisson : que ce soit un saumon, un brochet ou une grosse truite, il ne s’écartera pas de son domaine où il règne en maître, et vous avez de grandes chances de le capturer un jour ou l’autre, à moins que la rivière ne soit très grande.

Dans un cours d’eau inconnu, n’oubliez jamais que plus l’endroit est difficile à pêcher, meilleur il est, pour plusieurs raisons : moins de confrères l’ont exploré par crainte d’y laisser leur appât, et le poisson, plus tranquille, y a élu, de préférence, son domicile.

Avec les leurres protégés décrits le mois dernier, vous limiterez les dégâts, mais souvenez-vous que la perte d’un devon ou d’une cuiller sera compensée par de belles captures au tableau final.

Tout ce que je viens d’écrire peut s’appliquer au lancer léger, comme au lancer lourd, mais, depuis que le moulinet à tambour fixe a été vulgarisé à outrance, le nombre des lanceurs que je décris plus haut a atteint une proportion énorme, si on la compare au nombre de pêcheurs réellement avertis.

Seules, les eaux bien peuplées, les étangs surtout, leur donnent quelques succès qu’ils proclament bien haut, mais le moment est proche où, sauf de très rares exceptions, prendre une belle pièce sera un exploit.

Souhaitons qu’un repeuplement intensif et une surveillance sévère gardent à nos belles rivières, ou plutôt leur redonnent la renommée méritée qu’elles avaient autrefois.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 545