Une excellente brochure sur l’ésociculture (c’est-à-dire
l’élevage du brochet ou Esox lucius), signée de Vouga et de Prudhomme,
vient de paraître en librairie. Travail très précis, fait par le grand as de
l’ésociculture M. Vouga, inspecteur général de la Pêche suisse, M. Prudhomme
étant l’introducteur du brochet au Maroc.
L’ésociculture est en effet pratiquée en Suisse depuis
plusieurs années. En France, elle vient de se développer depuis deux ans à
l’étang du Der (Haute-Marne), avec quelques détails techniques nouveaux
mis au point par les spécialistes français.
Tout d’abord, y a-t-il intérêt à développer le brochet en
France ? Incontestablement oui.
Une abondante littérature a toujours présenté le
brochet comme le requin des eaux douces, dévorant son poids de poisson par
jour. Il n’en est rien. Des expériences très précises ont été faites et ont
démontré que le brochet est un excellent utilisateur d’une blanchaille
surabondante et inutile, transformant vérons, petits gardons, petites brèmes de
peu de valeur, en une chair excellente et recherchée.
Naturellement, le brochet est à éviter soigneusement dans
les rivières à truites, mais il a sa place dans toutes nos rivières à poissons
blancs. Les chiffres ci-dessous peuvent être admis. La ponte ayant lieu en
mars, à l’automne le brocheton peut peser de 50 à 300 grammes, la deuxième
année de 300 grammes à une livre et demie. Il peut alors se reproduire.
La troisième année, son poids passe de 600 à 700 grammes
à 1 kilogramme et demi.
Les plus gros brochets, de 10 à 12 kilogrammes, ne
semblent pas devoir dépasser une douzaine d’années.
Pendant ce temps, qu’a-t-il dévoré ? Combien de
kilogrammes de poissons a-t-il dû manger pour grossir de 1 kilogramme ?
C’est ce qu’on appelle le quotient alimentaire. Ce quotient alimentaire est
environ de 3,5 (3kg,500 de poissons blancs pour grossir de 1 kilogramme)
pendant les deux premières années.
Il augmente ensuite et arrive, vers la septième ou huitième
année, à 10, ce qui est normal puisque, à la ration de croissance, doit
s’ajouter une ration d’entretien de plus en plus élevée. Autrement dit, il n’y
a pas d’intérêt à garder de trop gros brochets dans une pêche ou un étang, car
ils coûtent alors trop cher. Remarquons, en passant, que la truite arc-en-ciel,
en élevage, a un quotient alimentaire de 9 à 10, à ses première et deuxième
années.
Indépendamment de toute valeur sportive, un brochet de 3 kilogrammes,
d’une valeur de 800 à 900 francs, a consommé dans sa vie 12 à 15 kilogrammes
d’une inutile blanchaille valant à peine 500 francs à raison de 30 francs
le kilogramme.
D’autre part, la présence du brochet est nécessaire pour
l’équilibre piscicole des eaux. Une rivière, un étang donné, doit avoir une
proportion rationnelle de poissons brouteurs, d’insectivores, de planctonophages
et de voraces pour donner le meilleur rendement.
La vogue du lancer et des pêches sportives a entraîné, dans
nos eaux, un excès de capture du brochet, d’où un déséquilibre piscicole au
profit de la blanchaille qui, pullulant à l’excès, dévore les derniers œufs des
espèces nobles.
Il fallait protéger et repeupler en brochet. C’est ce qu’on
a fait :
— d’une part, en créant une période de fermeture
spécifique pendant la fraie du brochet, c’est-à-dire en février et mars ;
— d’autre part, en faisant de l’ésociculture et en
déversant brochetons et œufs embryonnés de brochet.
Remarquons que, contrairement à une croyance générale, le
brochet est mûr sexuellement très jeune. Normalement, à un an le mâle a du
sperme actif, et à deux ans la femelle donne des œufs fécondables.
J’ai même vu de très petites femelles d’un an donner des
œufs, mais les meilleurs reproducteurs sont ceux de quatre à six ans.
Détruisons également la croyance en deux races de brochets,
les longs et les courts. Les femelles sont, au moment de la fraie, en général
plus épaisses et les mâles plus longs, mais il n’y a en France et dans toute
l’Europe, de Russie et de Finlande jusqu’au sud de la France, qu’une seule
espèce de brochet, l’Esox lucius.
C’est par l’envoi d’œufs embryonnés de brochet, par avion,
qu’en 1938 on l’introduisit au Maroc.
Nous verrons dans notre prochaine chronique la technique de
l’ésociculture.
DELAPRADE.
|