J’ai déjà eu maintes fois l’occasion, répondant aux
desiderata de mes correspondants, de bien préciser que le bateau « à tout
faire » n’existe pas. Un bateau est un compromis entre plusieurs tendances
qui s’opposent, et le développement d’une qualité ne se fait qu’au détriment
d’une autre. Il faudra toujours se contenter d’un « à peu près »
s’approchant plus ou moins de l’idéal sans jamais le réaliser. Mais, pour
répondre aux vœux d’une clientèle de plus en plus nombreuse, ne disposant que
d’un faible capital et désirant s’initier aux plaisirs de la voile tout en
conservant les avantages du moteur, il a fallu trouver une solution pratique
permettant de concilier les destinations et les exigences les plus
variées : pêche, chasse, promenade, aussi bien en rivière que sur les
étangs et les eaux maritimes abritées, avec échouage possible sur une plage ou
une berge et transport facile par train ou remorque.
Les architectes navals qui sont des gens d’imagination se
sont penchés sur ces problèmes et nous ont proposé une floraison de compromis
plus ou moins heureux. Sans avoir inventé le bateau à tout faire, à la fois
racer fulgurant et fin régatier, ils nous offrent des bateaux moyens, mais qui
donnent des résultats fort honorables ; et on ne leur demande pas, en somme,
davantage.
La solution classique pour ces petites unités est le
bateau à dérive mobile et à moteur hors-bord. On a ainsi un bateau plat dont le
tirant d’eau presque nul fait un véritable passe-partout. Dès qu’on s’éloigne
des bords et qu’on atteint l’eau profonde, on peut abaisser la dérive et hisser
la voile. Rappelons pour les néophytes que la dérive mobile est une quille
escamotable qui glisse dans un puits et qu’on abaisse ou qu’on relève suivant
qu’on marche à la voile ou au moteur. La suppression de cette dérive dans la
marche au moteur ou même à la voile par vent arrière donne le rendement maximum
qu’interdit la quille fixe dans ces cas particuliers. Avantage encore pour
l’échouage, le bateau à fond plat pouvant être facilement tiré au sec en le
faisant glisser sur 2 ou 3 rondins comme le font les pêcheurs en
Méditerranée.
En adoptant le moteur mobile, dit moteur hors-bord,
qui se fixe par des écrous sur le tableau arrière et qu’on rentre à l’abri, une
fois à terre, avec les avirons, on a une solution vraiment pratique et en fait
très couramment employée par les plaisanciers. Mais certains y sont hostiles,
prétendant que le hors-bord est un outil capricieux qui ne part que lorsqu’il
veut, et qui vous lâche dès qu’il devient indispensable. Ce sont là assurément
de mauvaises langues.
Si ces critiques sont restées longtemps valables appliquées
aux anciens modèles, elles n’ont plus leur raison d’être avec les hors-bord
modernes, qui sont de véritables merveilles mécaniques parfaitement au point.
Pendant la guerre, le Génie américain en fit un fréquent usage dans des
conditions difficiles, et aux colonies ils fournissent un travail souvent très
dur sur les bateaux de service. Mais il n’en reste pas moins que si l’appel au
moteur, au lieu d’être accidentel et limité est fréquent, voire constant, on
donnera la préférence au moteur fixe.
On voit ces moteurs de petite puissance équiper les bettes
de la Méditerranée, bien connues des touristes. Ce sont des embarcations
pratiques pour ces parages et destinées à la petite pêche. À défaut de port, on
les tire chaque soir sur la plage, et, à la fin de la belle saison, certaines
vont hiverner dans un garage. Quelques-unes sont équipées de la traditionnelle
voile latine, peu efficiente par manque de dérive, mais si pittoresque, et dont
les focs qui « picorent » ont charmé Valéry. Mais on peut être poète
et marin sans éprouver une satisfaction particulière à faire le crabe pendant
des heures avec un vent de travers sur une bette désespérément plate, qui dérive
autant qu’elle avance. Si les vents ne viennent pas de l’arrière, il faut faire
appel au moteur ou empoigner les avirons, faute d’avoir une bonne dérive. Cette
lacune a été comblée dans la bette qu’un chantier construit en série et dont
les lignes générales sont reproduites ci-contre. À vrai dire, cette embarcation
est moitié bette et moitié doris.
Une dérive mobile et une voile aurique avec corne, mais sans
gui, simple, pratique et maniable, lui assurent une tenue honorable au vent. Le
gréement permet un démâtage facile et rapide que n’aurait pu donner le gréement
marconi. La surface de voilure atteint 9 mètres carrés, ce qui est
largement suffisant pour cette embarcation de 5 mètres de long. Le tirant
d’eau de 0m,29 donne, dérive abaissée, 0m,65. Une largeur
de 1m,50 assure une stabilité de forme capable de rassurer les
obsédés du chavirement. Enfin ce canot est livré avec un moteur marin fixe de
4/5 CV à refroidissement par air (3.000 tours-minute, réducteur 1/2),
instrument sûr et régulier donnant une vitesse de 13 kilomètres-heure, et
dont le seul inconvénient serait de vous rendre paresseux et de vous faire
négliger cet excellent sport qu’est l’aviron, quand le vent est nul. L’avant
est ponté et peut recevoir les vivres et le matériel de pêche. Banc central
au-dessus du puits de dérive et banc arrière pour l’homme de barre.
Construction simple, mais soignée, répondant à de multiples exigences :
pêche, chasse, promenade, étang, baie, rivière, aviron, voile, moteur,
échouage, etc. Que lui demander de plus ? D’être bon marché, évidemment.
Les constructeurs se sont efforcés d’en réduire le prix en prévoyant le montage
en série de ce canot. Il sera livré, moteur et voile compris, barre en main, à
200.000 francs environ, sous réserve de hausse imprévue. Mais comme le
vent est à la baisse, souhaitons qu’enfin ce vent nouveau nous reste favorable
et nous réserve des surprises heureuses, ce qui nous changera singulièrement.
A. PIERRE.
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