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Les reptiles de notre pays

L’ordre des reptiles comprend :

    1° Les lézards (Lacerta) parmi lesquels se classe l’orvet (Anguis fragilis) improprement appelé serpent-verre parce qu’il n’est qu’un lézard sans pattes ;
    2° Les couleuvres ;
    3° Les vipères.

Les lézards sont ovipares, sauf le lézard vivipare (Lacerta vivipara) — vivipare par conséquent, — et l’orvet, qui est ovovivipare. Les couleuvres sont ovipares, moins la coronelle, qui est ovovivipare. — Les vipères sont vivipares. Ces mots barbares s’expliquent ainsi :

Ovipare veut dire qui se reproduit sous la forme d’œufs, comme les oiseaux (question de coque à part).

Vivipare, que le petit entièrement formé est prêt à sortir de la coque aussitôt l’œuf pondu (ce phénomène se produit au bout de quelques minutes). L’œuf n’est donc plus qu’une enveloppe protectrice.

Ovovivipare peut dire une combinaison des deux systèmes.

Le petit sort tout formé et presque immédiatement, non plus d’une simple enveloppe, mais d’un œuf complet, c’est-à-dire contenant du « vitellus », la matière nourrissante colorée en jaune très clair chez les reptiles.

En raison de l’importance du sujet, nous laisserons de côté les lézards. Nous dirons seulement qu’en France ce groupe, en plus de l’orvet et du lézard vivipare déjà cité, comprend le lézard vert (Lacerta viridis), le lézard des souches ou lézard ocellé (Lacerta agilis) et le lézard des murailles (Lacerta muralis), communément appelé lézard gris ou « larmuse ». Tous sont bienfaisants au maximum.

Donc, dans la broussaille brusquement agitée, presque sous le pied, quelque chose a fui dans un reflet métallique. Un reptile se chauffait au soleil. Qu’était-ce ? Voilà notre question, je vais essayer d’y répondre.

Les couleuvres se reconnaissent par la forme arrondie de la tête et l’aspect harmonieux d’un corps se terminant généralement bien, mais avant tout à un signe infaillible : savoir le nombre des grandes écailles frontales. Toutes les couleuvres possèdent, en effet, sur le dessus de la tête neuf grandes écailles ou plaques très visibles. Chez les vipères, seule la vipère Berus porte seulement trois de ces écailles ; j’insiste donc sur cette question du nombre.

Les couleuvres sont toutes inoffensives. Elles dévorent encore toutes une quantité énorme de rats, mulots, souris, musaraignes, limaces, loches, cloportes, chenilles glabres, courtilières et insectes divers. Cependant, la plupart mordent. Pour ce crime, l’opinion publique les traite d’indésirables et les confond volontiers avec les vipères. Or n’importe qui peut cueillir une couleuvre à la main. Il suffit de la saisir derrière la tête après lui avoir appliqué sur le cou soit une baguette, soit le pied. Si l’on veut une démonstration de style, on peut prendre l’animal par la queue de la main droite, la faire glisser rapidement dans la main gauche formant goulot jusqu’à la naissance de la tête et serrer fortement. En cas de morsure, quelques gouttes d’alcool sur la plaie éviteront toute infection.

Par ordre de taille, la plus grosse des couleuvres est la « verte et jaune » (Zamenis gérnonensis). On l’appelle communément fouet ou giccle, parce qu’elle fouette le sol avec violence au démarrage et saute quelquefois verticalement. Son coloris est splendide. Sur un fond jaune d’or, de longues stries vert sombre courent d’une extrémité à l’autre en rayures parallèles. Les flancs sont écaillés de vert et de jaune alternés. Le ventre est jaune pâle.

Le zamenis atteint facilement 1m,30 de longueur et trois centimètres de diamètre ; j’ai pu noter un cadavre de 1m,65 ayant la grosseur d’un fort pneu de bicyclette. Tout compte tenu d’un gonflement dû à la putréfaction, le spécimen était exceptionnel.

Ce reptile chatouilleux et agressif est, de plus, vindicatif. Si on le frôle de trop près, à plus forte raison si on lui marche sur la queue, il se dresse en soufflant avec rage et cherche immédiatement à mordre. Attaqué, il se jette courageusement sur l’assaillant : chat, chien ou être humain, et le poursuit avec une rapidité incroyable ; j’ai vu des enfants affolés se sauver à toutes jambes sur une distance de cinquante mètres et n’échapper qu’à grand’peine à ses morsures.

Extrêmement abondante dans la région du Sud-Est, la verte et jaune affectionne les talus exposés au soleil, les ronciers, les digues mal entretenues. Elle se tient près de son terrier allongée ou en paquet. Une fois engagée dans un trou, elle s’y cramponne avec une telle force qu’à deux mains il est impossible de l’en sortir sans la mutiler.

La couleuvre d’Esculape (Coluber Esculapi). Moins connue que la précédente, cette couleuvre se rencontre cependant en colonies nombreuses dans certaines stations. Par exemple, au cours de cet été, sans sortir de mon ermitage, j’en ai capturé une bonne douzaine. Elles affectionnent, sous ma boîte aux lettres, une encoignure en plein soleil dans laquelle elles se dressent à la verticale. Cette position est des plus curieuses. Elles semblent maintenues par leurs écailles comme par des ventouses ; je les prends par la queue et je les lâche sur la route nationale. Ce n’est pas sans motif. De juin à juillet, depuis une trentaine d’années, ma boîte est occupée par une nichée de mésanges. Or ces couleuvres, qui grimpent parfaitement aux arbres, sont friandes de jeunes oiseaux. Au sujet de cette surprenante agilité, voici un souvenir. Un jour d’été, la famille réunie célébrait un retour de noces. La table avait été dressée à l’ombre d’un marronnier au moins deux fois centenaire. Un domestique (heureux temps !) venait de servir le café lorsqu’un serpent immense tomba tête première dans une tasse. Peu content, il traversa toute la table dans une invraisemblable projection de cristaux, porcelaines, etc. et liquides les plus divers. L’effet fut merveilleux. La mariée crut prudent de se trouver mal et y réussit parfaitement. Quant à l’intruse (la couleuvre évidemment), elle fut pourchassée et mise en bouillie. C’était une « Coluber Esculapi ».

Ce beau reptile peut atteindre 1m,10. Il est de couleur uniforme brun jaunâtre ou olive avec le ventre jaune pâle. Ses écailles sont d’une irréprochable régularité.

La couleuvre à collier (Tropidonotus natrix). Moins imposante par sa taille que les deux variétés précédentes, la couleuvre à collier est encore un puissant reptile pouvant atteindre un mètre. Comme son nom l’indique, cette couleuvre est caractérisée par son collier blanc jaunâtre. Sa couleur est un gris bleu plus ou moins foncé avec des marbrures sur les flancs et de larges taches noires au ventre. C’est la moins sauvage et la moins mordante de nos couleuvres. Cette douceur de caractère lui vaut d’être appelée « couleuvre des dames », quoique les dames n’aient pas, que je sache, pour elles une affection particulière.

Lorsqu’on la saisit, elle répand une odeur infecte qui provient de la sécrétion de ses glandes cloacales. Cette projection peu élégante n’est pour elle qu’un moyen de défense ; il faut le reconnaître efficace.

Extrêmement vorace, la couleuvre à collier se nourrit surtout de petits poissons qu’elle capture aisément, car elle nage et plonge fort bien. À ce point de vue elle est nuisible, mais elle dévore aussi à l’occasion les rats, musaraignes d’eau, limaces, etc. et les grenouilles, grâce à une bouche d’une extensibilité exceptionnelle. Elle se plaît dans les marais, au bord des ruisseaux et encore dans les jardins, où elle ne peut être qu’utile.

La vipérine (Tropidonotus viperinus). Comme son nom l’indique encore très bien, cette couleuvre, par sa taille, son allure générale, son corps à terminaison brusque, sa couleur, son indolence, se fait prendre pour une vipère neuf fois sur dix et le paye de sa vie. Elle ne dépasse pas 0m,70. Lorsqu’on tient une vipérine sous le pied, elle est évidemment peu satisfaite. Dans sa colère, elle gonfle le cou et sa tête contractée prend alors cette forme triangulaire si caractéristique chez la vipère. Cependant, l’observateur reconnaîtra aisément ses neuf plaques. Elle ne mord pas. Sa coloration, nous l’avons dit, est exactement celle de la vipère, gris noirâtre ou roussâtre avec des marbrures. Elle affectionne le voisinage de l’eau. Lorsqu’on la surprend, elle s’y précipite et plonge immédiatement.

Elle se nourrit de petits poissons, têtards et autres proies aquatiques. Elle s’accommode fort bien de l’altitude, je l’ai rencontrée dans l’un des petits lacs du massif des Sept Laux, soit à bien près de 2.000 mètres.

Lorsqu’on voit au fond de l’eau un reptile immobile, on peut être certain qu’il s’agit d’une vipérine. Au sol, il faut être plus circonspect. Deux fois, trompé par l’ambiance, j’ai bien saisi au cou en fait de vipérine une vipère Berus.

La couleuvre lisse ou Coronelle (Coronella Austriaca). Cette couleuvre, rare dans le sud de la France, est par contre très commune dans le centre. C’est un petit reptile très élégant, ne dépassant pas 75 centimètres. Sa couleur est un brun clair (feuille morte) pouvant aller au rouge brique avec des taches plus foncées. Cette coloration est aussi celle de la vipère Berus. La Coronelle aime les terrains humides. Elle se nourrit surtout de jeunes lézards, mais mange également les rats et autres vermines.

Telles sont nos couleuvres de France, en somme plus utiles que nuisibles. Puisse cette mise au point de leur état civil faire cesser la vaine terreur qu’elles inspirent et leur éviter une injuste destruction.

J. LEFRANCOIS.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 572