Dans son livre récent sur la Touraine, Maurice Bedel,
qui la connaît bien, écrit : « La lune joue le rôle de premier plan
dans les choses de l’agriculture : elle apporte la pluie ou la sécheresse,
selon qu’il pleut ou qu’il fait beau quand elle est à son quartier
nouveau ; elle est la cause du « blanc » des petits pois ;
elle fait mousser le vin mis en bouteille en mars ; elle est plus
puissante à Chinon, à Montbazon, à Azay, qu’elle ne l’a jamais été chez les
Grecs de l’antiquité, ou qu’elle ne l’est encore chez les indigènes des îles Touamotou. »
Le romancier aurait pu ajouter à sa liste de villes la France entière, car
partout, dans les campagnes de toutes nos provinces, l’astre d’argent est
considéré comme un augure et ses moindres comportements sont notés avec soin
par beaucoup de nos cultivateurs, qui ne font en cela qu’imiter leurs ancêtres.
Un folkloriste, Saintyves, a publié sur cette question un gros volume qui n’a
pas épuisé le sujet, loin de là !
Dès le haut moyen âge, la lune est l’objet de superstitions
vainement interdites par les évêques. Au temps du bon saint Éloy, elle était
fort redoutée ; on croyait qu’elle pouvait troubler l’esprit et, jusqu’au XVIe siècle,
le mot lunatique a été synonyme de fou, ou du moins d’esprit dérangé, de maniaque.
On n’osait entreprendre aucun travail sérieux à certaines de ses phases, et on
était effrayé lorsqu’elle s’obscurcissait. Les bons bourgeois, le soir, à la
veillée, à la lueur du caleil, notant sur un gros cahier de parchemin les faits
divers de leur journée, n’omettaient pas de signaler les accidents lunaires et
leurs répercussions. Voici, par exemple, Jean Maupoint, qui, en 1445, griffonne
sur son livre de raison la réflexion suivante : « Le mardi XIIe
jour d’apvril, après Pasques fleuries (c’est-à-dire les Rameaux), la lune estant
en son plain, entre trois heures et cinq heures après minuict y gela à glace et
très fort. » Un bon Lyonnais, en 1553, laisse à la postérité le témoignage
suivant : « En ce temps fust la lune de fevbrier merveilleusement froyde
et estrange, tellement qu’elle engendra plusieurs maladies, dont les uns
moururent et les autres eschappèrent, et fist que peu de mal aux vignes, non
pas tant qu’on l’eust pensé. »
Laurent Joubert, un grand médecin du XVIe siècle,
récoltant les erreurs populaires, pose cette question : « D’où vient
que le serain de la Lune est plus catarreux que celui du
soleil ? ... » et n’y répond pas !
Les textes relatifs à la « Lune à l’œil brun, déesse
aux noirs chevaux », comme l’écrivait Ronsard dans un de ses jolis poèmes,
abondent ; tous prouvent qu’elle était tour à tour considérée comme faste
ou néfaste suivant ses périodes.
Avant de procéder à l’abatage d’un arbre, on regardait le
ciel, afin d’être d’accord avec Diane. En 1692, à Guillestre, dans les Hautes-Alpes,
on décide de couper le bois, sans en fixer le prix, afin « de profiter de
la lune ». Un auteur du moyen âge explique ainsi la raison de cette
croyance, fort répandue : « Quand la lune est plaine, on ne doit
point coupper les arbres, car les humeurs qui sont obéissans à la lune sont
adonc en leurs forces, et sont si orgueilleuses que nature ne les peult
gouverner. Et de ce, sont engendrez les vers des arbres, qui mangent et percent
le bois qui est très dur ; et le reste demeure en pouidre plus menue qu’on
ne pourroit faire à une lime. » En résumé, et en clair, le taret, ver qui
mange les meubles et les planches, naît de la corruption de chênes ou de hêtres
coupés en temps inopportun. Au XVIIe siècle, l’abbé J.-B. Thiers
dans son Traité des superstitions, après avoir énuméré quelques
coutumes, écrit : « Croire, comme fait Pierre Lenaudière, que le bois
coupé le dernier vendredi de septembre, après 25 jours de la même
lunaison, ne sera jamais mangé des vers, et si on en fait quelque vase ou
quelque meuble, ce qu’on y mettra ne se corrompra jamais. »
La sœur de Phébus, comme la nommait Jean Moréas, agit aussi
sur les malades. En 1768, à Pexora, dans l’Aude, une épidémie faisait ses
ravages dans la paroisse, et le curé écrivit alors : « Au retour de
la lune, la maladie reprit. » En Basse-Normandie, il est d’observation
courante, en clinique campagnarde, qu’à la nouvelle lune les vers intestinaux
renouvellent leurs ravages et que les convulsions infantiles apparaissent plus
fréquemment à cette époque, d’où une médication préventive après la pleine
lune, et Jean Seguin, qui nous apprend ce fait, ajoute :
« L’influence astrale, en ce qui concerne la lune, est peut-être beaucoup
plus exacte que d’aucuns le pensent. »
L’astre nocturne est en étroite liaison avec une foule de
pratiques médicales. Dans le Confolentais, ceux qui sont atteints de verrues
peuvent les faire disparaître en procédant ainsi : dès qu’ils voient la
lune nouvelle, ils doivent la regarder fixement, puis, sans cesser de la fixer,
ils ramassent ce qui leur tombe sous la main et s’en frottent. Ce procédé, peu
coûteux et facile, est, paraît-il, excellent.
Diane est également consultée par les mères de famille.
Selon que la conception avait eu lieu pendant le croissant ou pendant la
déclinaison, on pensait dans les Ardennes, vers 1830, que la femme portait un
garçon ou une fille. Nous retrouvons la même croyance en Haute-Provence, où la
vieille lune engendre fatalement un garçon et la nouvelle, une fille. Dans la
même région, c’est-à-dire dans les Basses-Alpes, le fils doit naître après neuf
lunes et prendre une avance d’un jour par lune ; la fille, elle, n’arrive
qu’au jour prévu. Si le premier accouchement a lieu « de lune
nouvelle », l’enfant qui suivra sera une fille. À l’idée de lune vieille,
déjà unie au sexe mâle se joint aussi celle de force. Enfin, toujours dans le
même département, si on désire — et c’est là on le conçoit le vœu de
toutes les mères — que l’enfant n’use pas trop ses souliers, il convient
de le chausser, pour la première fois, en « lune vieille ». À Liffol-le-Grand,
dans les Vosges, on dit qu’il faut couper les cheveux des enfants en pleine
lune.
Les jeunes filles en quête d’un époux interrogent aussi avec
ferveur :
sur le clocher jauni,
la lune
comme un point sur un i.
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En Picardie, elles disaient autrefois en la regardant :
Lune, ô belle Lune
fais-moi voir en dormant
qui j’aurai pour amant.
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c’est-à-dire, suivant l’ancienne phraséologie villageoise,
comme fiancé.
La météorologie populaire, accorde à l’astre de la nuit une
très large place. Les marins de Cherbourg, à la vue d’un cercle entourant la
lune, avaient coutume de dire :
charme de lune
n’abat ni mat ni hune,
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voulant dire par là que cet accident était peu fâcheux. La
Lune rousse est bien connue et redoutée des maraîchers et cultivateurs. On a
donné de ce phénomène une explication rationnelle. Quand le ciel est clair et
l’atmosphère sèche et transparente — et alors notre planète brille, en
effet, d’un vif éclat — la température des corps soumis au rayonnement nocturne
s’abaisse beaucoup au-dessous de celle de l’air ; si la température n’a
pas été trop élevée pendant le jour, le rayonnement nocturne pourra alors geler
les plantes. Si, au contraire, il y a des nuages, et que, par conséquent,
l’astre maudit — Paul Bourget dixit — reste caché, les semis ne
subiront aucun dommage. Dans cette période si importante de l’année, la Lune
joue donc le rôle de témoin qui indique par sa clarté que l’air est pur et
transparent et, par conséquent, dangereux pour les cultures du disciple de saint
Fiacre.
Ces notations, ces croyances paysannes, si profondément
ancrées dans les populations de nos différentes provinces, ont été tournées en
ridicule et raillées par maints auteurs. Cependant, de nos jours, des savants
ont examiné la question et certains médecins ont pu constater que parfois les
maladies présentaient des rechutes lors des phases de l’astre argenté. Les
pêcheurs commencent à connaître les tables solunaires, c’est à-dire des
périodes d’attraction pendant lesquelles le poisson sort de son apathie et se
jette sur toute nourriture qui lui est présentée.
Le problème, certes, est sérieux et mérite une étude
approfondie. Nous emprunterons à Régine Pernoud, qui a écrit un livre charmant
sur la Lumière du Moyen âge, ce passage que nous approuvons
complètement. Après avoir traité de quelques croyances de cette époque, Régine Pernoud
écrit : « De même, nous nous intéressons de nouveau à l’occultisme et
à l’astrologie. S’il ne s’agit pas là de sciences exactes à proprement parler,
il semble de plus en plus que l’on doive leur attribuer une certaine valeur,
— valeur humaine, sinon scientifique. Personne ne conteste l’influence de
la lune sur le mouvement des marées, et les paysans savent que l’on ne doit
mettre le cidre en bouteilles ou tailler la vigne qu’à des époques déterminées
par les phases lunaires. Est-il tout à fait impossible que d’autres influences,
plus subtiles, soient exercées par les astres ? Parce qu’un certain
charlatanisme peut aisément exploiter ces questions, tout en elles doit-il nécessairement
être affaire de charlatans ? Notre XXe siècle, siècle de
recherches occultes, donnera peut-être raison, sur ce point comme sur tant
d’autres, aux savants du Moyen âge. »
Mais, en dépit des criailleries de certains astronomes
voulant avoir raison contre la météorologie villageoise, la Lune restera
toujours populaire, Jules Lafforgue a joliment célébré la « complainte de
la Lune en province » :
ah ! la belle pleine Lune,
grosse comme une fortune !
La retraite sonne au loin ;
un passant : monsieur l’adjoint ;
un clavecin joue en face,
un chat traverse la place :
La province qui s’endort !
plaquant un dernier accord ...
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Car, en dépit des savants « Cosinus » galonnés,
coiffés de bicornes, Phébée la blonde sera toujours l’amie fidèle des poètes et
de ceux qui se penchent sur la Terre pour lui arracher notre nourriture, mais
ne manquent point cependant, avec sagesse, de consulter le Ciel et de tenir le
plus grand compte de ses avertissements.
Roger VAULTIER.
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