ous avons tous une certaine faiblesse pour les chiens
que nous possédons et dont nous avons adopté la race. C’est humain, mais
l’expérience montre vite qu’en cette matière il ne faut pas être exclusif ni
intransigeant : dans toutes les races de chiens courants, il est
d’excellents sujets, l’important est de savoir choisir et s’en servir.
Il n’est pas impossible, croyons-nous, de parler sans
passion de ce sujet ... brûlant et de se garder des illusions de
l’enthousiasme et du parti pris en considérant le chien courant sous l’angle
absolu de son utilisation à la chasse et en examinant ses qualités et ses
défauts par rapport aux qualités et aux défauts de son maître.
Nous sommes tentés de considérer le chien courant comme un
être vivant dont on n’estimerait que la structure, mais il faut aussi tenir
compte de ses états physiques et de son dynamisme.
Chaque race, comme chaque individu, possède
— électriquement parlant — un potentiel qui lui est propre et qui
n’existe pas dans la race voisine ; certaines ont des qualités de sagesse
— ou de froideur ; d’autres sont enragées de chasse — ou folles tout
simplement ; les unes ont une grande vitesse mais manquent de tenue,
tandis que d’autres sont un peu lentes mais semblent infatigables ; ici
règne la santé, ailleurs les chiens sont délicats : bref un mélange de
qualités et de défauts, la perfection n’étant pas de ce monde.
Et cependant dans la pratique, lorsqu’ils tombent sous le
fouet de maîtres bien différents de caractères et de façons de chasser, mais
qui sont connaisseurs, ces chiens très froids ou très chasseurs réussissent
fort bien.
Je sais que l’on peut me dire : « Il n’y a pas
trente-six façons de chasser, il n’y en a qu’une : la bonne. » Oui,
en théorie, mais dans la pratique ce n’est pas si simple et suivant les
terrains et les animaux on rencontre de grandes différences d’un équipage à
l’autre.
En voulez-vous des exemples ? Voici un veneur du type
« indomptable » ; il est enragé, galope à plein train, est
toujours en queue de la meute, qu’il encourage de ses cris joyeux et de sa
trompe entraînante ; il n’hésite pas à intervenir et joue du fouet et des
éperons. La chasse marche d’un train d’enfer ; il opère le plus souvent
dans un pays difficile, mais peu vif ; parfois il manque dans le change,
mais les autres laisser-courre sont enlevés à pleine allure et les animaux,
affolés et bousculés, sont ramassés assez rapidement. Aussi aime-t-il les
chiens très vites, entreprenants, très chasseurs et même un peu légers s’ils
sont bons.
Ce ne sont pas ces toutous-là qui feraient le bonheur de son
collègue le « pondéré ». Très grave, ayant tendance parfois à couper
les cheveux en quatre et à consulter thermomètres, baromètres et autres
instruments de précision (sans oublier le pendule), il n’a rien d’un petit
« fou-fou ». Il suit de loin, sans bruit, chasse à la muette. Il lui
faut des chiens corrects, chassant uniquement par la voie, il ne tolère aucune
bêtise et conserve ses vieux chiens jusqu’à leur mort. Lui aussi, comme
l’indomptable, exagère ... et moi pareillement, avec intention il est
vrai, pour faire plus facilement comprendre que parmi nous beaucoup recherchent
des chiens cadrant avec leur caractère. Il arrive même que cela s’étend au
physique : j’ai connu des chasseurs trapus et replets dont les chiens présentaient
la même apparence, et des veneurs maigres et élancés qui aimaient des chiens
faits à leur image. Passez en revue vos amis et vous verrez qu’il n’y a pas que
dans mes écrits où chevaux et chiens sont dans le modèle des maîtres.
Faut-il prétendre avec certains veneurs que des défauts que
l’on rencontre plus souvent dans les mêmes espèces de chiens les rendaient plus
propres à la chasse d’animaux déterminés ? « Ainsi les chiens noirs,
dirait le pondéré, bien connus pour leur froideur, sont tout désignés pour être
de parfaits chiens de chevreuil. » Je crois que l’on pourrait traduire
cette affirmation de la façon suivante : « Moi qui ne sais pas
— ou qui n’aime pas — me servir de chiens très chasseurs pour le
courre du chevreuil, je décrète que seuls les chiens froids (les noirs en
l’occurrence) sont de parfaits chiens de chevreuil. » Il est vrai que mon
veneur première manière affirme avec non moins de force : « Tous ces
chiens noirs sont d’une froideur désespérante ; parlez-moi de bons
Poitevins bien chasseurs, voilà des chiens de chevreuil ... »
Le plus curieux, c’est qu’ils ont parfaitement raison tous
les deux ; il serait superflu de rappeler ici les noms des équipages
fameux de Saintongeois, Gascons Saintongeois, chiens Lévêque, etc., qui
s’illustrèrent à la chasse du chevreuil ; aussi vain de faire une liste
des meutes de chiens du Haut-Poitou ou d’Anglo-Poitevins, qui accumulèrent les
succès à cette chasse si fine ; nos deux exagérés ne font que proclamer
leur état particulier ; l’un sait se servir de chiens plutôt froids,
l’autre de chiens très chasseurs.
Il y a mieux encore, certains maîtres recherchent,
inconsciemment semble-t-il, chez leurs chiens des qualités qui compensent leur
défaut dominant ; un qui est chaud et emporté, primera par-dessus tout la
sagesse de sa meute ; un autre, indécis et timoré, aimera au contraire que
ses chiens prennent tout seuls les décisions importantes.
L’harmonie qui doit régner entre l’homme et la meute
explique parfois les étonnants changements de races qu’effectua un propriétaire
de chiens courants : vous l’avez connu élevant et chassant pendant trois
ou quatre ans avec une certaine race de chiens, puis brusquement il s’en sépare
et achète des chiens d’une autre espèce ; parfois il ne s’en tient pas là
et recommence encore une fois, ou plusieurs, ses essais jusqu’au jour
bienheureux où il trouve enfin les chiens qui possèdent, à ce qu’il dit, toutes
les qualités, c’est-à-dire des chiens qui s’entendent avec lui ou qui
conviennent à son territoire ou à l’animal qu’il chasse.
C’est encore dans les races bien équilibrées que les
chasseurs normaux trouveront les vrais bons chiens. Il existe des
« artistes » qui savent se servir d’animaux les plus divers :
ils montent parfois des chevaux impossibles et chassent avec des chiens qui ne
sont pas faits pour le commun des mortels. Le chien chasseur, tout en étant
sage, travailleur, vigoureux et criant est celui qu’un chasseur au chien
courant doit chercher et élever ; s’il est sage, lui aussi, il saura
profiter des avantages de la sélection et des travaux de ses prédécesseurs,
c’est-à-dire qu’il se gardera de pratiquer de ces expériences fâcheuses et de
ces croisements étonnants qui perdent toutes les races, nous ne le dirons
jamais assez.
Guy HUBLOT.
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